La direction du Monde et ses journalistes protestent contre les propos de l'un des actionnaires du groupe, Pierre Bergé. Mardi 10 février, ce dernier a accusé le journal de « populisme » pour avoir « jeté en pâture le nom » de personnalités mises en cause dans l'enquête dite « SwissLeaks », laquelle met au jour le système international d'évasion fiscale mis en place par la filiale suisse de la banque HSBC.
Plus précisément, Pierre Bergé a déclaré sur RTL : « Est-ce le rôle d'un journal de jeter en pâture le nom des gens ? C'est du populisme. C'est fait pour flatter les pires instincts. (…) Ce n'est pas pour ça que je leur ai permis d'acquérir leur indépendance. Ce sont des méthodes que je réprouve. »
En réaction, la Société des rédacteurs du Monde a diffusé un communiqué mercredi pour dénoncer « cette intrusion dans le contenu éditorial » :
« La Société des rédacteurs du “Monde” est très fière du traitement de l'affaire SwissLeaks par les équipes du journal et du site. L'investigation, la critique et la liberté de jugement font partie de nos missions fondamentales.
Comme il en est coutumier, Pierre Bergé est sorti de sa réserve au mépris du pacte qu'il a cosigné avec les autres actionnaires en 2010. Cela n'a pas empêché et n'empêchera pas les journalistes de travailler sereinement en toute indépendance et responsabilité.
Nous condamnons avec force, comme les fois précédentes, cette intrusion dans le contenu éditorial. Le rôle des actionnaires est de définir la stratégie de l'entreprise, et non de tenter de peser sur le sens de l'information. »
La direction du journal a, elle aussi, publié un communiqué le même jour. « Les déclarations publiques d'un de nos actionnaires ne sauraient remettre en cause l'indépendance éditoriale de la rédaction », a-t-elle rappelé.
« Nous, membres de la direction du “Monde” et de sa direction des rédactions, déplorons les attaques portées par Pierre Bergé contre les journalistes du “Monde”. Nous sommes fiers que notre rédaction ait été à l'origine de l'enquête internationale menée par l'ICIJ sur le dossier HSBC.
Nous sommes honorés que la qualité de ce travail ait été reprise et saluée par les médias du monde entier. Nous assumons les choix éditoriaux qui ont été faits au cours de cette enquête et lors de sa publication.
Le travail d'investigation, mené dans le respect des principes déontologiques, se trouve au cœur de la pratique journalistique telle que nous la concevons. Pierre Bergé ne partage visiblement pas cette conception.
Pour notre part, nous continuerons de diriger ce journal et d'animer cette rédaction dans le respect des valeurs rappelées dans la Charte d'éthique et de déontologie du groupe Le Monde, signée en 2010 par les actionnaires du groupe. Les déclarations publiques d'un de nos actionnaires ne sauraient remettre en cause l'indépendance éditoriale de la rédaction, que nous continuerons de faire respecter scrupuleusement.
Signé : Gilles van Kote, Jérôme Fenoglio, Françoise Tovo, Luc Bronner, Marie-Pierre Lannelongue, Arnaud Leparmentier et Cécile Prieur »
Matthieu Pigasse, autre coactionnaire du groupe Le Monde et vice-président de la banque Lazard, avait, lui aussi, demandé mardi 10 février à ne pas tomber dans la « délation », se disant toutefois « fier » du travail d'investigation du Monde.
Consultez tout le travail d'enquête mené par Le Monde sur SwissLeaks
Voir les contributions
Réutiliser ce contenu