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Notre enquête sur l'exécuteur d'Oradour, Georges René Boos

Georges René Boos.
Georges René Boos. © DR
Régis Le Sommier et Denis Trierweiler , Mis à jour le

Le 10 juin 1944, ce citoyen français né en Moselle, engagé volontaire dans la division SS « Das Reich », a participé au massacre d’une population entière à Oradour-sur-Glane : femmes et enfants compris, 642 tués. En 2015, Paris Match avait retrouvé en Allemagne le vieil homme.

Dans la Waffen-SS, comme dans toutes les armées du monde, on place en général aux avant-postes un sergent expérimenté lors d’une opération. Ce dernier va guider l’officier, moins familier du terrain, moins proche des hommes. A Oradour-sur-Glane, le 10 juin 1944, aux alentours de 14 heures, c’est très certainement ce qui s’est passé. Les officiers donnaient les ordres. A la manœuvre, on trouvait les sergents. Parmi eux, un Mosellan, Georges René Boos, né près de Sarreguemines. Ce jour-là, ils sont une trentaine d’Alsaciens lorrains affectés à la 3e compagnie du 1er bataillon du régiment « Der Führer » de la 2e division blindée SS « Das Reich ». Cette compagnie comprend, outre des Allemands, quelques « malgré-nous » , c’est-à-dire des Alsaciens enrôlés d’office dans une armée allemande qui manque d’hommes et servant contraints et forcés sous l’uniforme à tête de mort. Nés majoritairement en 1926, ils ont 17 à 18 ans au moment des faits et sont donc mineurs. Au moindre écart, au moindre soupçon de trahison ou de sympathie profrançaise, c’est la famille restée en Alsace qu’on déporte…

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Pour Boos, c’est différent. Il s’est engagé volontairement dès 1941. Il a choisi son camp très tôt dans la guerre. On pourrait lui trouver l’excuse que, à 18 ans à peine au moment de l’annexion de l’Alsace-Moselle au Reich, il a pu se laisser gagner par les sirènes d’une propagande qui place les siens dans la grande famille du peuple allemand, aux commandes de la nouvelle Europe. S’est-il rallié spontanément au national-socialisme ? A-t-il été influencé par son environnement familial ? Boos s’est jeté à corps perdu dans le nazisme. Avec l’annexion, Georges est devenu Georg, comme tous les Alsaciens et Mosellans obligés de germaniser leur identité ; en intégrant de gré ou de force l’armée allemande, ils sont devenus, aux yeux des nazis, des Allemands à part entière, des « Allemands du Reich ». Lors du procès en 1953, Boos récusera d’ailleurs l’accusation de trahison puisqu’au moment des faits, de par sa qualité de Waffen-SS, il n’était plus français.

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Le 10 juin 1944, la mission était : "Suchen und zerstören", fouiller et détruire

Le 10 juin 1944, la mission fut expliquée à la troupe au lieu-dit de Bellevue, une colline située à 2 kilomètres de l’entrée du village et d’où on aperçoit le clocher d’Oradour . Boos dirige le 6e groupe de la 2e section commandée par l’adjudant-chef Egon Töpfer, le peloton des éclaireurs de la compagnie, une dizaine d’hommes en tout. « Suchen und zerstören », fouiller et détruire. En temps ordinaire, ce genre d’opérations – menées sous la conduite du Sicherheitsdienst (le service de sécurité de la Gestapo) allemand ou de la Milice française – consiste à dénicher les caches d’armes des « terroristes », en fusillant, selon les circonstances, quelques résistants (ou supposés tels) et en incendiant des habitations jugées suspectes. En route vers la Normandie pour « contrer » le Débarquement, la « Das Reich » n’a pas le temps de traquer tous les « terroristes ». Pourtant, à Oradour, ce sera différent. La suite est connue, inscrite comme une plaie ouverte dans le ciel du Limousin et comme un symbole de l’horreur nazie dans l’histoire de France. Lorsque les SS quittent le village vers 21 heures, ils laissent derrière eux 642 victimes parmi les ruines en feu . On a toujours du mal à comprendre pourquoi la « Das Reich » s’est acharnée sur ce bourg, tranquille disait-on, et pourquoi, au sein de la division, des hommes comme Boos se sont révélés de véritables anges de la mort.

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Oradour-sur-Glane
Oradour-sur-Glane © Marc Brincourt

Georges René Boos peut-il l’expliquer ? On le croyait décédé, il n’en est rien. Nous l’avons retrouvé. Il ne nous a pas ouvert sa porte mais a consenti à nous parler près d’une heure depuis sa fenêtre. Cela le faisait rire de nous voir grelotter dehors par – 5 °C. « Si je vous laisse entrer, disait-il en patois rhénan, je n’arriverai pas à me débarrasser de vous. » Boos est un vieillard de 91 ans qui a gardé toute sa tête. Lorsqu’on évoque Oradour, il esquive. « C’est venu de tout en haut, de Berlin, explique-t-il. Les hommes ont été trahis, de tout en haut jusque tout en bas, depuis le sommet, par Adenauer lui-même. » Selon lui, il ne faut surtout rien dire de plus car « on ne doit pas remuer le passé. Je vous dis : “Calme sur le front.” J’ai fait beaucoup, moi, pour l’entente franco-allemande. Vous n’imaginez pas, parce que j’ai fermé ma gueule, et je continuerai à la boucler. » Ce qui ne l’empêche pas de continuer à nous parler. Tout au long de la discussion, l’axe Berlin-Paris et les menaces supposées qui planent sur lui le préoccupent davantage que d’éventuels remords sur sa participation à Oradour. Sa génération d’hommes a enfoui les choses profondément. Elle ne s’épanche pas, n’éprouve pas de compassion. « Je n’ai aucun regret », dit-il sur le sujet.

"Oradour était bien le bon endroit"

Sa fille apparaît soudain à la fenêtre. Elle ne semble pas rassurée par notre présence. « Il ne peut pas tout dire, gémit-elle. Tout ça, c’est du passé. » « Alles ist gut [tout va bien] », la rassure-t-il. Derrière eux, à travers la fenêtre, on devine un lit, un lavabo, une armoire en contreplaqué et, sur le mur, une grande croix chrétienne. Sa femme défunte était très pieuse, nous dira-t-il. « Que s’est-il passé dans l’église d’Oradour ? – Ecoutez, j’ai fait des recherches là-dessus pendant des années. Il y a eu une explosion. Moi, j’ai cherché dans toute la compagnie. Je me demande d’où diable ont pu venir les explosifs… - Appartenaient-ils à la Résistance ? [Une thèse révisionniste attribue l’explosion de l’église et la mort des femmes et des enfants à des munitions cachées par la Résistance dans le clocher.] – Je n’en sais rien. Il y a une chose que je sais – quelqu’un me l’a assuré, je ne vous dirai pas qui – : Oradour était bien le bon endroit. » Boos semble donc écarter l’idée répandue, mais abandonnée par les historiens, que les Allemands se seraient trompés d’Oradour, confondant Oradour-sur-Glane avec Oradour-sur-Vayres, à 30 kilomètres, où se trouvait un solide maquis. Selon lui, ils n’y sont pas allés par hasard.

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« Je n’ai pas assisté à la réunion [de préparation] avant Oradour, et, pour le massacre, mon groupe n’y a pas participé directement. Dans la compagnie où j’étais à 18 ans, ce qui comptait le plus était le contre-espionnage. Avec ça, vous êtes formés pour la vie… Bien sûr que c’était une abomination meurtrière, mais nous, on nous avait menacés : celui qui ne participe pas sera exécuté. C’était comme ça, dans la SS. » S’estimant couvert par ses supérieurs, Boos a donc obéi aux ordres. Contrairement à ce qu’il affirme devant nous, son groupe était bien présent dans le village. Si l’on se réfère à ce qu’il déclare en janvier 1953 devant le tribunal de Bordeaux, il a même dirigé un peloton d’exécution.

Boos, lors de son procès.
Boos, lors de son procès. M. Descamps

D’abord, il entend le capitaine Erich Otto Kahn, qui dirige l’opération en tant que chef de la 3e compagnie, lorsque ce dernier annonce, par la voix de son interprète, aux villageois rassemblés sur le champ de foire : « Il y a ici des dépôts clandestins d’armes et de munitions constitués par des terroristes. Nous allons opérer des perquisitions. Pendant ce temps, et pour faciliter les opérations, nous allons vous regrouper dans des granges. » Boos semble évoluer à son aise entre bourreaux et futures victimes. Son groupe escorte une vingtaine d’hommes et les enferme à l’intérieur du garage Desourteaux. Au signal, il relaie l’ordre du capitaine Kahn, l’adjoint d’Adolf Diekmann, commandant du 1er bataillon, qui se trouve à quelques mètres de lui, de faire feu sur le garage. Pour sa défense, Boos dit que lui-même n’a pas tiré. Pourtant, il reconnaît avoir donné le coup de grâce, peu après, à six ou sept mourants, à terre. Le témoignage d’un autre Alsacien – un « malgré-nous » celui-là – le décrit se rendant ensuite à la remise Beaulieu où un autre groupe d’hommes a été massacré pour, encore une fois, abréger les souffrances de ceux qui bougent encore. Boos fait office de « nettoyeur », plutôt efficace d’ailleurs car, à la différence de la grange Laudy d’où six rescapés parviendront à s’extraire, sur les lieux où on le croise, il n’y a pas de survivants. Un peu plus tard, il va abattre à bout portant deux femmes qui ont la malchance de sortir d’une maison en feu au moment où il passe. Un autre « malgré-nous » lui demande s’il était vraiment obligé de le faire. Il le menace du même sort…

Plusieurs Alsaciens affirment avoir vu entrer Boos dans l’église. L’un d’eux pense même que c’est lui qui a apporté la caisse de grenades, à l’origine vraisemblable de l’explosion

Après le massacre, il dit avoir recouvert les corps de fagots et y avoir versé « de l’huile ». Au moment de son audition, on présente aux jurés un chaudron dans lequel un bébé aurait été brûlé vif. L’accusation lui demande s’il a quelque chose à voir avec cette horreur. Il garde le silence. Concernant l’affaire de l’église, Boos affirme que, comme il est infirmier, Kahn lui a donné l’ordre de convoyer à Limoges l’adjudant Gnug, blessé grièvement par la chute d’une pierre au moment de l’explosion de l’édifice religieux. Plusieurs Alsaciens affirment pourtant l’avoir vu entrer dans l’église. L’un d’eux pense même que c’est lui qui a apporté la caisse de grenades, à l’origine vraisemblable de l’explosion. Devant nous, Boos se défend : « Y avait-il des explosifs à l’intérieur de l’église, ou ont-ils été apportés après ? Je ne sais pas. J’ai conduit Gnug à l’hôpital dans l’après-midi, à Limoges, ce qui fait que je n’ai pas pu participer à toute l’histoire. Gnug avait une grave blessure à la tête, il était incapable de parler. Il était artificier et ça m’étonnerait qu’un expert comme lui soit assez idiot pour poser des explosifs sans se protéger. C’est ça qui prouve que c’était bien le bon endroit… Oradour était bien une histoire de représailles. Les Français de l’autre côté ont misé là-dessus, pilotés par Londres : provoquer des représailles d’ampleur. Les Français jouaient les partisans, vous savez combien ils ont tué de gens, et les communistes et l’épuration… Alors c’est très simple, nous avons dit : “Nous allons frapper un bon coup et on aura la paix.” Toute cette saloperie, je ne l’ai jamais digérée. On a utilisé des soldats du front pour commettre un crime, et, ensuite, on a voulu les éliminer en Normandie pour qu’il n’y ait plus de témoins. »

"Fouiller et détruire", tels étaient les ordres.
"Fouiller et détruire", tels étaient les ordres. © M. Brincourt

Pourtant, ils ne sont pas tous morts, loin s’en faut. Dans l’apocalypse d’Oradour, si Boos n’est pas le donneur d’ordres, il a été l’exécutant zélé, le sergent expérimenté, l’homme de terrain. Au soir du massacre, la nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans la région. Au niveau de l’état-major de la « Das Reich », on se rend vite compte de l’épouvantable bavure. Le colonel Stadler, qui dirige le régiment « Der Führer », avait ordonné à Adolf Diekmann de se rendre à Oradour pour prendre des otages dans le but de les échanger contre un officier SS capturé la veille par la Résistance. Rien de plus. Stadler ordonne une enquête interne et promet à Diekmann, en tant que plus haut gradé présent, la cour martiale. Selon certains, Diekmann réagit en envoyant certains éléments – on peut penser les plus fiables – de la 3e compagnie à Oradour pour, dit-on, maquiller le crime. Et qui va faire la sale besogne ? La 2e section. Dès 4 heures du matin, le 11 juin, Boos est à Oradour où il va se révéler aussi efficace pour creuser les fosses communes qu’il l’a été la veille pour abattre les hommes, les femmes et les enfants qui vont les remplir. « J’ai personnellement déblayé l’église, explique-t-il au procès. […] Je portais des gants pour cette besogne. Je prenais les cadavres et les restes, je les sortais de l’église et les mettais dans un tombeau creusé à cet effet. » Cela étant, peut-on raisonnablement admettre que les Waffen-SS étaient à ce point naïfs pour penser maquiller de la sorte la destruction complète d’un bourg et la mort de plusieurs centaines de ses habitants ?

De tout cela, il dit qu’il a « payé sa dette ». On ne peut pas lui donner tort. Il n’est pas comme ces officiers qui coulaient des jours tranquilles de l’autre côté du Rhin sans avoir jamais à répondre de leur crime. « Kahn était bien tranquille, au sec. Il se promenait, assure Boos avec un sourire. Lammerding (le commandant de la division) montait son entreprise en bâtiment… Moi, j’ai trinqué pour eux. » Son cas n’a rien à voir avec celui de Werner Christukat, un jeune Allemand présent à Oradour qui, depuis 1944, n’avait jamais été inquiété et a été inculpé l’an dernier. La justice allemande vient d’abandonner les poursuites. Chargé de garder les camions, il n’était pas du calibre de Boos. Mais Boos a déjà purgé sa peine. Il a fait quatorze ans de prison. Il n’y a plus rien à dire. Lui-même insiste sur ce point : « Ne remuez pas tout ça. Moi, j’ai donné à l’époque ma promesse à Nussy-Saint-Saëns que je ne parlerai jamais », nous dit-il en référence au magistrat qui présidait au procès de Bordeaux à l’issue duquel il fut condamné à mort. Cette remarque contient une information capitale. « Nussy-Saint-Saëns voulait la paix, explique-t-il, par égard pour les survivants. Il m’a regardé, et nous nous sommes compris. Certains points n’ont tout simplement pas été évoqués, et c’était bien comme ça. Et l’histoire, on me l’a mise sur le dos, à moi. Mais j’ai eu des conditions de détention très agréables en France. J’étais sous bonne garde et, avant tout, bien protégé. » Pour un condamné à mort, ce traitement de faveur est étonnant. Ses remises de peine rapides le sont tout autant. Un an après son procès, sa peine de mort est commuée à de la prison à vie avec travaux forcés, et, l’année suivante, réduite à vingt ans. Georges Boos conclut : « J’ai été condamné à mort pour avoir porté les armes contre la France et ses alliés, pas le moins du monde à cause d’Oradour. J’ai été libéré en 1959. »

Découvrez la vidéo filmée par Paris Match lors de notre rencontre avec Georges René Boos, l’exécuteur. 



Georges René Boos est décédé le 25 septembre 2015.

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