Alternatives écologiques

Climat : « Notre pouvoir d’agir est plus important qu’on ne l’imagine »

Alternatives écologiques

par Maxime Combes

Alors que le monde file vers une augmentation de la température de 4 à 5°C d’ici la fin du siècle, des négociations sur le changement climatique ont repris depuis le 8 février à Genève. Ces discussions, sous l’égide de l’Onu, sont destinées à préparer la conférence internationale de Paris fin 2015. Mais les blocages diplomatiques persistent. De nombreuses multinationales s’opposent, au nom de leurs chiffres d’affaires, à toute mesure contraignante. Alors que faire ? « C’est par l’intermédiaire des milliers d’innovations sociales et écologiques mises en œuvre dans nos quartiers et nos territoires, pour vivre mieux, que nous construisons le monde demain », réagit Maxime Combes de l’association Attac France.

Les négociations de l’Onu sur le changement climatique ont repris cette semaine à Genève. Objectif : nettoyer le texte de 38 pages élaboré en décembre dernier à Lima qui regroupe les différentes options soumises par les États dans la perspective d’un accord à Paris en décembre 2015 (lire l’analyse du texte de Lima). Au milieu de la semaine, le texte avait déjà doublé de volume. Sans grand espoir que les points durs qui n’ont pas été levés ces dernières années ne le soient, comme par miracle, en Suisse. En parallèle, collectivités publiques, médias de communication, multinationales, scientifiques, artistes et show-biz, ONG et militants, chacun à leur manière, se préparent pour ce qui est annoncé par François Hollande comme une conférence « historique ».

En 2009 déjà, Copenhague devait être « historique ». Intervenant juste après l’élection d’Obama et les engagements du G8 de l’Aquila, Copenhague est alors présenté comme « le sommet de la dernière chance », celui qui devait « sauver le climat ». Le retour de bâton a été terrible : Copenhague a substitué la sidération à l’espérance et la résignation à la mobilisation (nos articles). S’en souvenir devrait conduire à plus de modestie et de lucidité quant à la préparation de la conférence de Paris.

Pas d’accord contraignant en perspective

Faire preuve de lucidité nécessite de dire qu’il n’y aura pas d’accord contraignant, juste et à la hauteur des enjeux – rester en deçà des 2°C – à Paris. Si accord il y a, il ne sera pas contraignant. Les États-Unis, pas plus que la Chine, n’en veulent. Si accord il y a, tout le monde en convient, y compris l’équipe de négociation française, il ne satisfera pas aux objectifs de réduction drastiques et immédiats des émissions recommandés par le Giec. Enfin, si accord il y a, il ne sera pas juste : les financements et les transferts de technologie sont insatisfaisants.

Être lucide implique de constater que les négociations climat sont inextricablement mêlées aux recompositions géopolitiques entre les grandes puissances. Les États-Unis voudraient obtenir un nouvel ordre mondial qui détache la Chine, ainsi que d’autres puissances émergentes, de l’alliance des « pays en développement », le G77. Pour la Chine, il n’en est pas question. La Chine accepte volontiers d’être l’égale des États-Unis dans le G2 qui domine la planète mais elle n’abandonnera pas de sitôt ses alliances historiques avec les pays du Sud. Point dur des négociations, la différenciation des États ne se résoudra donc pas d’un claquement de doigt.

« L’avenir du climat ne dépend pas des seules négociations de l’Onu »

Être lucide, c’est aussi convenir de la faible influence des scientifiques, ONG, mouvements sociaux et écologistes, syndicats, collectivités locales ou journalistes sur le cours des négociations. Il est bien-entendu toujours possible de se battre sur la place des virgules – et pour bloquer les propositions les plus inacceptables – mais rien qui ne permette de changer la donne. Depuis qu’elle a perdu tout leadership climatique, l’Union européenne ne peut plus servir d’appui, pas plus que les pays du Sud qui manquent soit d’ambition, soit de pouvoir d’influence. Au contraire des multinationales et des lobbies qui sont désormais incontournables et dont la majorité est rétive à toute transformation profonde des modes de production et de consommation insoutenables.

Faire preuve de lucidité c’est également reconnaître que l’avenir du climat ne dépend pas des seules négociations de l’Onu. Au contraire, à force d’être dans leur bulle, les négociations ont perdu toute connexion avec la réalité. La réalité est celle d’une globalisation économique et financière qui facilite une exploitation sans limite des ressources naturelles. En négociant les accords Tafta (avec les États-Unis) et Ceta (avec le Canada), l’UE sacrifie les exigences climatiques – non mentionnées par les mandats de négociation – au nom de la compétitivité et de l’approvisionnement insoutenable de notre économie en énergies fossiles. Au moment où il faudrait laisser dans le sol une majorité des réserves prouvées d’énergies fossiles, l’UE encourage leur exploitation sans que les négociations climat ne l’en dissuade.

Miser sur les innovations locales, sociales et écologiques

Être lucide sur les négociations n’implique pas pour autant de se résigner. Bloquer Tafta et Ceta serait une grande victoire pour le climat. Prendre au mot les engagements d’« exemplarité » de François Hollande doit aider pour obtenir d’ici décembre 2015 la fin des subventions aux énergies fossiles, l’abandon des projets nocifs pour le climat (aéroports, autoroutes, etc) et l’annulation des permis de recherche d’hydrocarbures encore existants. Au nom de l’impératif climatique et avec un certain succès, la campagne mondiale pour le désinvestissement des combustibles fossiles pousse les universités, collectivités, institutions religieuses, banques à se retirer des énergies fossiles pour préférer le financement « de solutions axées sur les sources d’énergies propres et renouvelables ».

De plus, notre pouvoir d’agir ne se réduit pas à bloquer les projets climaticides. Il est plus important qu’on ne l’imagine. La Sécurité Sociale ne s’est pas faite d’un coup de baguette législative : elle est le fruit d’une riche histoire d’expériences alternatives et citoyennes inscrites dans la construction d’un rapport de force social et politique de longue haleine. La transition énergétique, et par extension la transition écologique et sociale, prendra le même chemin. C’est par l’intermédiaire des milliers d’innovations sociales et écologiques mises en œuvre dans nos quartiers et nos territoires, pour vivre mieux, que nous construisons le monde demain.

Enfin, être lucide impose d’être radical. Aller à la racine des choses et ne pas rester à la surface du clapotis médiatique, comme le propose Naomi Klein dans son dernier livre [1]. Le changement climatique s’inscrit dans une histoire. L’histoire d’un capitalisme prédateur, dominé par les populations riches des pays occidentaux – et désormais des pays émergents – qui soumet notre avenir à la poursuite indéfinie d’un business as usual insoutenable. Il n’y aura pas de grand soir ou de petit matin pour le climat. Pas plus à Paris qu’à Copenhague. Mais ce n’est pas pour autant la fin de l’Histoire. Détachons-nous de la technicité des négociations et servons-nous de Paris2015 comme d’une caisse de résonance pour écrire une nouvelle page, celle « de sociétés plus agréables à vivre, plus conviviales, plus solidaires, plus justes et plus humaines » comme nous y invite le processus Alternatiba.

Maxime Combes, économiste membre d’Attac France

Photo : CC FlickR / Garry Knight

Notes

[1Naomi KLEIN, Tout peut changer, Actes Sud, à paraître Mars 2015