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Au Liban, les bonnes se rebellent

Exploitées, sous-payées, parfois violentées, les employées de maison ont créé leur syndicat. Le ministre du travail l’estime non conforme à la loi libanaise.

Par  (Beyrouth, correspondant)

Publié le 17 février 2015 à 10h05, modifié le 17 février 2015 à 10h50

Temps de Lecture 3 min.

La fondation Caritas Liban offre aux migrants et aux réfugiés une assistance humanitaire à tous les niveaux à travers son Centre des migrants, ici celui de Beyrouth.

C’est une première dans le monde arabe : les bonnes à tout faire du Liban se sont syndiquées. Corvéables à merci pour un salaire de misère, parfois battues, voire violées et poussées au suicide, les employées de maison, d’origine asiatique ou africaine, ont décidé de dire « assez ». Dimanche 25 janvier, dans une salle de mariage de la banlieue de Beyrouth, 200 d’entre elles, issues des communautés sri-lankaise, philippine, bangladeshie ou encore sénégalaise, ont participé au congrès fondateur de leur organisation.

Lire aussi : Rêves et calvaire d'une bonne au Liban (édition abonnés)

Dans une ambiance fiévreuse, où la fierté de redresser la tête se mêlait à la crainte d’être sanctionnée par les autorités, les toutes petites mains de la société libanaise ont élu leurs représentantes. « Leur principale revendication, c’est d’obtenir une réforme de la loi du travail, dont elles sont scandaleusement exclues, explique Castro Abdallah, secrétaire générale de la Fédération nationale des syndicats des ouvriers et des employés au Liban (Fenasol), qui parraine l’initiative. Leur travail doit être mieux encadré, avec des horaires et un salaire décents. Nous autres Libanais, aimerions-nous que nos enfants, qui partent souvent travailler à l’étranger, soient traités comme ces femmes ? »

LE SYSTÈME DE LA KAFALA

Sujana Rana, responsable de Nari, une association de soutien aux Népalaises, a participé à la réunion historique du 25 janvier. Agée de 37 ans, elle en paraît dix de plus. La jeune femme trime depuis sept ans au Liban comme nounou, femme de ménage et cuisinière à plus que plein temps. Avec un beau sourire las, elle évoque la chambre à peine plus grande qu’un placard dans laquelle elle dort, les caprices de ses patrons, qui peuvent la réveiller à 3 heures du matin « parce qu’ils découvrent, de retour de soirée, que le chien a uriné sur le tapis du salon », et tous ses dimanches passés à nettoyer la maison de la grand-mère. « Pendant mes trois premières années ici, je n’ai pas eu un seul jour de congé », soupire Sujana. Le tout pour 135 dollars (119 euros) par mois, quinze de moins que le montant promis à la signature du contrat, à Katmandou.

Les 250 000 domestiques du Liban n’ont pas le droit de changer d’emploi à leur guise. C’est le système de la kafala (tutelle), en vigueur également dans les monarchies du golfe Arabo-Persique, qui interdit aux immigrés de chercher un meilleur emploi sans l’agrément de leur kafil (tuteur) qui, la plupart du temps, est aussi leur patron. Dans les situations d’abus ou de violence, beaucoup choisissent donc de prendre la fuite et, dans le pire des cas, de mettre fin à leurs jours.

KAFA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES FAITES AUX FEMMES

En 2008, l’organisation Human Rights Watch avait comptabilisé un suicide par semaine, la « technique » la plus fréquente consistant à enjamber le balcon. « Bien sûr, la police n’enquête jamais sérieusement sur ces affaires, souligne Bernadette Daou, de l’ONG Kafa, qui lutte contre les violences faites aux femmes. Elle se contente de la version des familles qui, la plupart du temps, affirment que leurs employées étaient “dérangées”. Il n’y a jamais eu de condamnation. »

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Sans surprise, le ministre du travail, Sejean Azzi, du parti de la droite chrétienne Kataëb, a rejeté la création du syndicat, contraire selon lui à la loi libanaise. Mais la Fenasol et les associations de défense des immigrés entendent continuer la bataille. « Nous sommes unies, dit Sujana Rana. Nous ne changerons sûrement pas la loi tout de suite, mais peut-être au moins pourrons-nous changer les mentalités. » Un pari qui, dans son cas, a fonctionné. Depuis qu’elle s’est engagée dans Nari, il y a deux ans, ses patrons ont accepté de lui rendre son dimanche. « Ma madame est fière de moi, dit-elle avec un air espiègle. Elle montre nos brochures à ses amies. Et elle me laisse même partir à des conférences à l’étranger ! »

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