Aveu de faiblesse ou coup de force? En brandissant, mardi 17 février, l'article 49-3 pour faire passer à tout prix la loi Macron, Manuel Valls a bien été contraint de reconnaître au grand jour qu'il n'est plus soutenu par les siens. C'est un constat d'échec cuisant pour le chef du gouvernement: "l'esprit du 11 janvier" s'est fracassé, sa majorité est fracturée.
Pourtant, le Premier ministre, loin d'être entamé, s'est appliqué à montrer qu'il n'en ressort que plus déterminé. Immédiatement, il s'est invité au JT de TF1 pour déminer et faire valoir sa version de l'histoire: celle d'un vrai capitaine qui, dans la tempête, face à la mutinerie, ne lâche rien.
L'œil perçant, la mâchoire serrée, plein de ce charisme ombrageux qui fait sa cote dans les baromètres de popularité, il a tenu un discours plus martial que jamais. "Nous ne pouvions pas jouer aux dés avec un texte aussi important, donc j'assume et j'engage ma responsabilité", assène-t-il.
"Nous avons besoin d'autorité pour redresser le pays. Ce que les Français attendent, que le gouvernement agisse, et ne perde pas du temps dans des débats stériles", fustige-t-il à l'adresse des frondeurs.
Et de conclure, pour enfoncer le clou: "Les réformes vont se poursuivre avec l'autorité nécessaire. J'ai du carburant pour continuer, personne ne peut douter de ma détermination. Je n'accepte pas l'immobilisme, les conservatismes. Nous continuerons les réformes jusqu'au bout, jusqu'en 2017."
Affronter pour avancer
Autorité, autorité: c'est son message. Dans le récit de cette folle journée de mardi à l'Assemblée, autant François Hollande a tenté, jusqu'à la dernière minute, de convaincre les récalcitrants, d'arrondir les angles, de compter et recompter les voix une à une, autant Manuel Valls, sans états d'âme, s'était vite décidé à partir à l'affrontement face aux frondeurs qui le défiaient.
"Le président n'aime pas le conflit, mais le Premier ministre, lui, part volontiers au combat s'il croit que ça peut faire avancer le schmilblick", glisse un proche.
Après tout, Manuel Valls a l'habitude d'être en minorité: ses idées sociales-libérales en ont longtemps fait un quasi-paria au PS et lui ont valu d'obtenir le plus petit score à la primaire (5,6%). Ex-conseiller com' au cabinet de Michel Rocard (lui-même mal-aimé de son parti), il l'a vu, alors Premier ministre, ne pas hésiter à user 28 fois du 49-3!
"Valls pense déjà à la suite, grince un de ses détracteurs. Il peaufine auprès de l'opinion son image de grand réformateur, qui ne recule ni ne cède." De fait, au-delà de la dramaturgie de cette décision, c'est une lecture de la pratique du pouvoir qui transparaît.
Pour le Premier ministre, par ces temps de stagnation et de frilosité, l'on ne peut réformer qu'en rupture, dans une logique de commando… et d'aggiornamento idéologique assumé. Ne propose-t-il pas ouvertement de rebaptiser le Parti socialiste?
Savoir composer
Sauf qu'il reste encore deux ans à gouverner et que la capacité du chef du gouvernement à faire bouger les lignes dans son camp sort sérieusement affaiblie de cet épisode.
La gauche du PS a prouvé sa capacité de blocage, elle ne va plus se priver de l'exercer. Or le recours à l'article 49-3 est un pistolet à un coup: il ne peut être utilisé qu'une fois au cours d'une session, hormis les lois de finances.
S'il est sincère dans sa volonté de réforme, Valls devra montrer qu'il ne sait pas que ferrailler, mais aussi composer… quitte à chercher sa majorité au-delà de la gauche? Prochain test dans l'Hémicycle: le projet de loi Rebsamen, qui doit réformer les seuils sociaux.
Gaëlle Macke pour ChallengeSoir