
EUROPE - Entre vouloir et pouvoir, Syriza sait qu'il y a un monde d'écart. Et que ce monde porte le nom de l'Union européenne. Presque un mois jour pour jour après sa victoire électorale triomphale en Grèce, le 25 janvier, le gouvernement grec s'est mis d'accord avec l'Europe sur un délai supplémentaire de quatre mois.
Depuis le 16 février, après dix jours de négociations et quatre Eurogroupe, le gouvernement grec a obtenu ce 24 février vers 15 heures le feu vert des autorités européennes pour un sursis de quatre mois afin d'établir une proposition de rééchelonnement de sa dette et un allègement des mesures d'austérités. Mais à quel prix ?
Aujourd'hui, que reste-t-il au juste de son programme initial ? Que reste-t-il de l'épouvantail de la gauche radicale qui semblait capable de faire sauter l'euro ? Eh bien, disons-le tout net: les lendemains déchantent pour Athènes.
Ce qu'il voulait:Le programme de campagne de Syriza prévoyait d'effacer la plus grande partie de la dette publique, qui s'élève à près de 177 % du PIB. Syriza voulait aussi inclure un "moratorium", soit un délai dans le paiement de la dette pour relancer la croissance, et conditionner le remboursement au retour de celle-ci.
Ce qu'il a obtenu: Sur la dette, le gouvernement grec s'est plié aux principales exigences de ses partenaires européens dès le 19 février. Dans sa lettre à l'Eurogroupe, il insiste sur sa volonté de "collaborer étroitement avec les institutions de l'Union européenne et le Fonds monétaire international". Même s'il ne faut plus parler de Troïka -le mot est devenu tabou-, le simple fait que Syriza accepte ses anciens membres comme interlocuteurs est une concession XXL.
Le ministre grec des finances assure qu'il ne prendra aucune décision "unilatérale qui irait à l'encontre des objectifs fiscaux, de la reprise économique, et de la stabilité financière." Enfin, il s'engage à "financer complètement" toute nouvelle mesure, ce qui est en contradiction avec le volet social de son programme, estimé à 12 milliards d'euros. Bref, la tutelle budgétaire de Bruxelles n'est pas remise en cause. Les électeurs de Syriza ont déjà une sacrée couleuvre à avaler.
Mais c'est encore insuffisant pour Berlin, et les autres partisans de la ligne dure au sein de l'Eurogroupe (Espagne, pays baltes...). Ils réclamaient ce programme détaillé pour valider l'octroi d'un sursis de quatre mois à la Grèce, ainsi que les lignes de crédits qui vont avec.
Ce qu'il voulait: Electricité et repas gratuits pour 300.000 personnes, retour du 13e mois pour les retraites de moins de 700 euros, soins médicaux pour les chômeurs... Syriza avait alloué un budget de 1,9 milliards d'euros au volet social de son programme, le premier sur quatre.
Ce qu'il a obtenu: Le 24 février, peu avant midi, Yanis Varoufakis publie la longue lettre programmatique adressée officiellement à l'Eurogroupe. La veille, les premières fuites, notamment via le HuffPost Grèce, ont laissé entrevoir un volet social important. Las. Sur les quatre chapitres dévoilés ce matin, la "crise humanitaire" arrive en dernier. Le symbole fait mal.
La "récente hausse de l'absolue pauvreté" sera prise à bras le corps promet le gouvernement grec, mais il ne cite que la création de coupons alimentaires comme mesure concrète. Tandis que l'application du Revenu minimum garanti à l'ensemble du pays sera étudiée.
Attention, les moyens humanitaires seront limités. La conclusion lapidaire de la lettre est très claire sur ce point: "Assurer que la lutte contre la crise humanitaire n'a pas d'impact fiscal négatif." Comprenez que la Grèce pourra faire ce qu'elle veut... tant que cela ne coûte pas plus cher.
Ce qu'il voulait: "Nous voulons évidemment des réformes, nous voulons en finir avec la kleptocratie qui ruine ce pays", a déclaré Yanis Varoufakis, le ministre grec des finances alors simple économiste, en mars 2014. Dès le départ, Syriza veut mettre fin au règne de la corruption et de l'évasion fiscale. Il veut aussi plus d'équité, faire payer les riches, relancer l'économie en augmentant le salaire minimum, et en créant 300.000 emplois publics.
Ce qu'il a obtenu: Ouf, enfin quelque chose à montrer à ses électeurs ! Le gouvernement d'Alexis Tsipras pourra présenter les trois principaux chapitres de sa lettre du 24 février comme l'expression de son programme de lutte contre la corruption et la fraude fiscale. Les mesures phares y sont: améliorer la collecte de l'impôt, "faire de la lutte contre la corruption une priorité nationale", ou encore "cibler la contrebande de carburant et de tabac". Les recettes attendues sont de l'ordre de 7 à 8 milliards d'euros.
En revanche, il se gardera sans doute de claironner que le budget de tous les ministères (éducation, défense, transport, collectivités locales, sécurité sociale) sera réévalué. Plus gadgets, le nombre de Ministres sera réduit de 16 à 10, les "conseillers spéciaux" du gouvernement subiront le même sort, etc.
Malin, Yanis Varoufakis a disséminé quelques objectifs sociaux dans ces paragraphes: mettre les riches à contribution, pas de nouvelle réduction des salaires dans le public, mettre fin aux saisies des résidences principales, augmenter le salaire minimum ("dans la mesure où cela préserve la compétitivité"). Mais sans jamais avancer de chiffres...
Conclusion, le gouvernement d'Alexis Tsipras a désormais quatre mois devant lui pour trouver un plan de rééchelonnement de sa dette. Il sait déjà que ses "partenaires" européens sont des durs à cuire, mais maintenant il va en plus falloir gérer le mécontentement que ses compromis ont suscité au sein de Syriza...