La BBC annonçait le 17 février que son nom avait été tweeté 4,6 millions de fois. L’étudiante Ozgecan Aslan n’avait pas même 20 ans quand elle a été victime d’un meurtre brutal.

Alors qu’elle rentrait chez elle à Mersin [sud de la Turquie], le chauffeur du minibus dans lequel elle était montée a tenté de la violer. Aslan a hurlé, s’est débattue et a aspergé son agresseur de gaz poivré. Son assassin porte des griffures au visage. Rendu furieux par la résistance de la jeune fille, il l’a poignardée. Mais il ne s’est pas arrêté là. Après avoir tué Aslan, il a tenté d’effacer les traces de son acte en coupant les mains de sa victime et en mettant le feu à son cadavre.

“Taisez-vous”

Les chiffres officiels n’ont pas encore été publiés, mais les chercheurs estiment que les meurtres de femmes ont augmenté de 31 % entre 2013 et 2014, et, durant le seul mois de janvier 2015, 26 femmes ont été assassinées dans le pays. Les experts affirment que la composition masculine de la plupart des tribunaux ainsi que le laxisme des lois encouragent les agressions de femmes. Deux éléments inhabituels sont à relever dans l’affaire Aslan. Tout d’abord, devant l’indignation suscitée par cet assassinat, certains partisans traditionnels du Parti de la justice et du développement (AKP, islamiste au pouvoir) ont tenté de faire taire les critiques.

Le 14 février, Cemile Bayraktar, une blogueuse voilée travaillant pour le quotidien pro-AKP Yeni Safak, tweetait : “Pays musulman, viol… ne jouez pas trop les opportunistes : aux Etats-Unis une femme est violée toutes les deux minutes. Alors taisez-vous.” Son tweet a suscité des centaines de réactions indignées. Parmi elles : “Vous nous dites donc que si vous vous faisiez violer, vous ne trouveriez rien à y redire et poursuivriez votre vie comme si de rien n’était ?” Le populaire animateur de télévision Nihat Dogan a également publié un tweet provocateur : “Les femmes qui portent une minijupe et se promènent à moitié nues n’ont aucun droit de se plaindre si elles sont harcelées.”

Campagne spontanée

Mais, pour la première fois, d’autres partisans de l’AKP n’ont pas défendu les scandaleuses déclarations de ces personnalités publiques. Cela est dû au fait qu’ils ne s’attendaient pas à la réaction du président Erdogan. Ses filles ont rendu visite aux proches d’Aslan. Erdogan et sa femme ont également transmis leurs condoléances à sa famille. “Cela aurait pu arriver à n’importe laquelle de nos filles”, a déclaré le président.

Le deuxième élément est la campagne spontanée qui s’est déroulée sur les réseaux sociaux avec le mot clé #sendanlat (racontez votre histoire). Sous ce hashtag, des femmes de toutes les couches sociales turques ont raconté leurs propres expériences de harcèlement sexuel et physique. Plus d’un million de tweets ont été postés. Dévastateurs, ces récits de première main ont montré qu’en Turquie aucune femme n’était à l’abri du harcèlement sexuel ; il touche aussi bien les mineures que les femmes voilées, les femmes âgées que les handicapées, les riches que les pauvres.

La politique de l’AKP est loin de contribuer à faire des rues, et même des commissariats, des endroits sûrs pour les femmes. Les chercheurs ont découvert plusieurs raisons en vertu desquelles un homme pouvait écoper d’une peine réduite en cas de viol ou de meurtre d’une femme. Cette indulgence peut s’appliquer lorsque l’agresseur déclare que la victime “portait un jean, qu’elle rentrait chez elle tard le soir, ou encore qu’elle avait des pilules contraceptives dans son sac à main”.

—Pinar Tremblay
Publié le 21 février 2015 dans Al-Monitor (extraits) Washington