“Good Kill”, ce film digne qu’Eastwood n’a pas signé

Par Aurélien Ferenczi

Publié le 24 février 2015 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h31

Lunique statuette ramassée l’autre nuit par American Sniper, le dernier Clint Eastwood, a valeur de symbole : l’Oscar du meilleur montage son est allé comme une médaille du courage aux deux types qui ont passé de longues semaines à recueillir, puis à caler sur les images du film des bruits de fusils d’assaut, mitraillettes, fusils de chasse, lance-roquettes, grenades, etc. Des techniciens à l’ouïe fine, sans doute capables de différencier le son d’une balle amie à celui d’une balle ennemie…

Mais ce sont aussi les petits malins responsables (sous les ordres de Papy Clint) de la première faute de goût du film, impardonnable péché originel : dès la première seconde de projection, sur le logo de la Warner (pas encore passée sous contrôle qatari pourtant), une voix psalmodie « Allah Akbar ». Une prière qui ouvre clairement les hostilités, dit à qui on aura affaire, jouerait presque à faire peur. Pas très digne, vraiment…

Bradley Cooper dans "American Sniper"

Bradley Cooper dans "American Sniper"

Eastwood parachute un héros américain dans une époque où le manichéisme n’est plus possible. Chacun sait qu’il n’y a plus de guerre propre et que le défi « à l’ancienne » que s’impose le héros eastwoodien – avoir la peau du sniper adverse, et puis rentrer chez lui – est pure fiction. L’impossibilité de l’héroïsme est au cœur d’un autre film sur les conflits d’aujourd’hui, qui sonne autrement juste. Good Kill, d’Andrew Niccol (le réalisateur de Bienvenue à Gattaca et Lord of War), qui sortira en France le 22 avril, raconte la guerre d’un type qui tue de très loin. Un ancien pilote de chasse de l’US Air force, désormais aux commandes de drones qu’il dirige à des milliers de kilomètres de distance.

Il agit depuis sa base de Las Vegas, au sein de petites cabines frappées d’extra-territorialité, des habitacles immobiles comme ceux des jeux vidéos, et il appuie sur le lance-roquettes quand les cibles se précisent. Quelles cibles ? C’est le problème, a fortiori quand la CIA s’en mêle, réquisitionnant les unités d’élite de l’armée pour éliminer des suspects : les drones survolent par exemple le Waziristan, au nord-ouest du Pakistan, et il faut obéir aux ordres, imaginer que ces villageois réunis sont bien des terroristes en puissance, et les éliminer, tant pis si des femmes ou des enfants sont dans la zone de tir.

Implacable et documenté, Good kill décrit avec précision les pratiques de l’armée américaine : par exemple, le principe de la double frappe. Vous éliminez d’un missile un foyer de présumés terroristes, mais vous frappez dans les minutes qui suivent au même endroit pour éliminer ceux qui viennent les secourir, et tant pis si ce sont clairement des civils. L’un des sommets du film est le récit d’une opération visant l’enterrement d’ennemis tués plus tôt dans la journée, la barbarie à son maximum – et on est sûr que Andrew Niccol, scénariste et réalisateur, n'a rien inventé. Bien sûr, à tuer quasiment à l’aveugle, ou sur la foi de renseignements invérifiables, on crée une situation de guerre permanente, et on fabrique les adversaires que l’on éliminera plus tard. 

Le personnage joué par Ethan Hawke, avec autrement d’intensité que la bonhomie irresponsable de Bradley Cooper chez Eastwood, peut difficilement ne pas être traversé d’un trouble terrible – a fortiori en retrouvant sa femme et ses enfants le soir chez lui, juste après avoir détruit des familles dans la journée.

Good Kill est un film important parce qu’il montre pour la première fois le vrai visage des guerres modernes, et à quel point ont disparu les notions de patriotisme et d’héroïsme – que risque ce combattant plaqué à part de se détruire lui-même ? C’est aussi un réquisitoire courageux contre l’american way of life, symbolisée ici par Las Vegas, ville sans âme que les personnages traversent sur leur chemin entre base militaire et pavillon sinistre. Ce n’est pas un film d’anticipation. L’horreur que l’on fait subir aux victimes et, en un sens, à leurs bourreaux, c’est ici et maintenant. Une sale guerre, un sale monde.

Cinécure, le blog ciné d’Aurélien Ferenczi
Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus