Regardez “Tchétchénie, une guerre sans traces”, de Manon Loizeau

Clandestinement, elle a filmé une Tchétchénie inféodée à Moscou, des habitants sous le règne d’un despote brutal, Ramzan Kadyrov. Le film poignant glaçant et nécessaire de Manon Loizeau est à voir en avant-première sur Télérama.fr de samedi 28 février à 19 heures et jusqu’au mardi 3 mars à 10 heures, puis sur Arte le mardi 3 mars à 22h35.

Par Olivier Milot

Publié le 28 février 2015 à 19h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h31

Manon Loizeau est une documentariste chaleureuse, courageuse et têtue. Elle a aussi quelques obsessions et l'une d'elle s'appelle la Tchétchénie. Elle consacre à ce petit pays de la fédération de Russie un quatrième film. Aussi poignant que les autres, plus abouti encore. Une gageure. Tourner en Tchétchénie, c’est passer son temps à déjouer la surveillance des autorités ; veiller en permanence à ne pas mettre en danger les rares voix dissidentes qui acceptent de témoigner devant la caméra. Quitter huit fois précipitamment le pays et y revenir autant pour recueillir de nouvelles images, de nouvelles histoires. 

D’emblée, le contraste est saisissant. Les premières images du film nous ramènent dix ans en arrière. La Tchétchénie sort d’une nouvelle guerre contre les Russes. Les morts se comptent par dizaines de milliers, le pays est ravagé, Grozny, sa capitale, évoque Dresde en 1945. Rien à voir avec la « Grozny City » de 2014, cette nouvelle ville aux faux airs de Dubaï, avec ses centres commerciaux rutilants, ses imposantes mosquées et ses avenues flambant neuves.

En Tchétchénie, un cinquième de la population a disparu.

En Tchétchénie, un cinquième de la population a disparu. Magneto Presse

Derrière cette Tchétchénie de carte postale, la peur est omniprésente. Ramzan Kadyrov, le meilleur élève de Vladimir Poutine, règne en autocrate absolu. « La constitution, les lois, le code pénal, tout ça n’a aucune valeur confronté à la phrase “Ramzan a dit”. Si Ramzan a dit : “Tuez-les tous”, eh bien tous seront tués », explique un témoin.

Mais, plus que la description de la violence quotidienne, ce film raconte l’histoire d’une disparition. Kadyrov s’applique méthodiquement à gommer la mémoire de toute identité tchétchène en niant le passé ou en le réécrivant, et en imposant une histoire officielle qui commence avec le règne de son clan et l’arrivée au Kremlin de Vladimir Poutine.

Manon Loizeau a l’âme slave. Elle oppose à la violence de la situation des images parfois empreintes d’une grande mélancolie, que rehaussent encore les notes d’un violoncelle. Sa connaissance du pays lui permet de recueillir des témoignages uniques sur cette autre Corée du Nord. Son film, informé aux meilleures sources, est grave et beau à la fois. Nécessaire aussi, tant la Tchétchénie apparaît rarement sur les radars de l’actualité.

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