Afrique - Somalie : la faim loin des regards

REPORTAGE. Le climat et la guerre compromettent encore la sécurité alimentaire du pays, plongé dans une crise oubliée de la communauté internationale.

Par notre envoyée spéciale en Somalie,

Afrique - Somalie : la faim loin des regards
Afrique - Somalie : la faim loin des regards © Xavier Bourgois pour Le Point

Temps de lecture : 6 min

 

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Sahra Hussein a les traits taillés à la serpe, des pommettes saillantes et des rides qui lui donnent l’air d’avoir passé depuis longtemps les 50 ans qu’elle avoue. Assise dans l’enclos, elle attend. Comme les milliers de personnes qui vont défiler dans ce centre de distribution de nourriture, en une journée, à Mogadiscio, la capitale de la Somalie. Sahra est patiente, elle a mis une heure et demie à venir à pied, depuis le camp de déplacés de Badbaado où elle vit depuis 2011, à l’abri de la famine et des islamistes shebabs. Elle vient tous les jours. «Il y a presque toujours de la nourriture, sauf quand les bateaux sont en retard… Mais je n’ai pas le choix, j’ai huit enfants à nourrir», explique-t-elle.

Qui pense encore à la Somalie ?

Les campagnes de sensibilisation ont plus de 20 ans. «Du riz pour la Somalie», Bernard Kouchner portant un sac sur son épaule, les écoliers appelés à apporter un paquet chacun, c’était en 1992. C’était le début de la guerre civile, après la chute du dictateur Siyad Barré, en 1991. À l’époque, la famine avait fait 220 000 morts. Et puis, la guerre a continué. En 2011, la sécheresse, la mort du bétail appauvrissant encore plus la population et la guerre causent une nouvelle famine. 260 000 morts, 4 millions de personnes touchées, soit la moitié de la population du pays. La crise est aggravée par les shebabs, qui refusent ou détournent l’aide alimentaire provenant de l’Occident haï.

Aujourd’hui, si la situation est moins grave, elle reste préoccupante

«Elle s’était améliorée l’an dernier, mais empire depuis juin ou juillet, nous sommes très inquiets, témoigne Challiss McDonough, porte-parole régionale de Programme alimentaire mondial (PAM), basée à Nairobi, au Kenya. Les récoltes sont inférieures de 30 % à la moyenne, à cause de la sécheresse et des inondations.» Selon un rapport de la FAO, 730 000 personnes font face à un risque aigu d’insécurité alimentaire. Dans le silence le plus complet. «Il y a une fatigue des donateurs, constate Jess Torp, à la tête de l’antenne du PAM à Mogadiscio. Ebola est plus spectaculaire, la Syrie capte presque tous les fonds à cause de l’attention géopolitique. Alors, une guerre livrée depuis des générations, dans un pays africain…» Devant les comptes vides, il faut innover. Jess Torp compte demander à la Turquie, investisseur presque unique et omniprésent dans le pays, d’employer des charpentiers ou des conducteurs formés par le PAM. Une façon de demander de l’aide différemment.

 

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© Xavier Bourgois pour Le Point

Pour les humanitaires, travailler dans un pays en guerre pose des défis permanents

«Nous ne nous déplaçons que sous escorte armée, les bailleurs de fonds grincent des dents quand nous leur présentons les budgets de sécurité», soupire une volontaire d’ONG italienne. Depuis les attaques, l’enlèvement de deux travailleurs de MSF et les bannissements du pays par les shebabs, en 2011, la plupart des organisations sont basées à Nairobi. Seul le personnel local reste à Mogadiscio, les autres font des aller-retour et opèrent «en remote control», à distance. Et puis, il y a les attaques sur les installations ou les populations. «En 2005 et 2006, il y a eu un énorme scandale de détournement de la nourriture, raconte Jess Torp. On retrouvait les sacs au marché… Et nous nous sommes rendu compte que les gens étaient agressés quand ils sortaient, on leur extorquait les sacs. Nous avons donc décidé d’offrir de la nourriture cuisinée. Aux déplacés des camps, mais aussi à tous les habitants qui en ont besoin.» Le procédé est habituellement réservé aux écoles, c’est le premier et le seul pays où il soit généralisé. À Mogadiscio et à Kismayo, le PAM distribue entre 85 000 et 100 000 repas par jour, à travers des ONG locales puisque les agences de l’ONU ont été explicitement menacées par les shebabs.

La visite à l’un des centres de distribution suffit pour comprendre que le besoin est réel

Les femmes se cachent derrière leur voile ou le couvercle de leur bassine, honteuses. Certaines amènent leurs enfants dans le petit dispensaire adjacent, où l’on soigne la malnutrition. D’autres participent à des ateliers où on leur enseigne un métier. Dans la préparation pâteuse versée à la pelle dans les seaux, il faut voir «un mélange nutritif de céréales, de haricots, de porridge, d’huile et de légumes, sur lequel on verse une soupe», explique Abdulaye Mohamud, de l’organisation SORRDO (Somali Relief Rehabilitation Development Organization). Et c’est pour cette mixture que la plupart des déplacés restent à Mogadiscio, au lieu de rentrer dans leur village, souvent en Basse Shabelle. Sahra a fui Barawe, port dont les armées africaines, unies dans l’Amisom, ont pourtant délogé les shebabs en octobre. «Mais je ne veux pas y retourner. Les conditions de sécurité sont mauvaises partout en Somalie, mais là-bas, je n’aurai pas l’assurance d’avoir de la nourriture, comme ici», reconnaît-elle. Mieux vaut le camp que la famine. Or, ces mouvements de population, au gré des attaques, fragilisent les populations urbaines qui doivent accueillir des centaines de milliers de personnes supplémentaires (il y aurait 369 000 déplacés autour de Mogadiscio), tandis que les marchés se vident dans les campagnes.

Outre les facteurs climatiques, c’est bien la guerre, qui affame les Somaliens

Les shebabs, lorsqu’ils sont délogés d’un village par l’Amisom, ne se battent plus mais en coupent les accès. Et aucun camion ne se risque sur les routes. «La plus grande partie du sud et du centre du pays reste à peu près inaccessible, témoigne Gemma Davies, chercheuse pour Amnesty International à Nairobi. Il est difficile de connaître les conditions de vie de la population.» Ces problématiques d’accès mettent les ONG devant des choix difficiles si elles veulent préserver leur neutralité. Sans payer un droit de passage aux shebabs ni apparaître comme les alliées du gouvernement, aidé par l’intervention étrangère. «Nous ne visons pas particulièrement les zones récemment libérées. Nous n’avons pas vocation à faire balayette derrière l’Amisom, estime une humanitaire d’ONG française qui ne souhaite pas être nommée. Nous devons préserver notre indépendance politique.»

Ces derniers temps, les investissements sont en hausse dans la capitale

Mogadiscio a été «libérée» des shebabs en 2011 et connaît des attentats fréquents, mais ils visent des cibles précises, et non la population. Conséquence, le gouvernement tente de récupérer ses terres, pour les vendre. En vidant les camps de déplacés. Comment ferait Dowley Abdi Hussein, 24 ans et six enfants, venue au centre parce que ses filles de 1 an et 1 an et demi ont la diarrhée depuis deux jours ? Ou Amina, 15 ans, dont le fils souffre de malnutrition ? Devant les tables de bois, une fillette se hisse sur la pointe des pieds pour attraper la bassine enfin remplie. Puis trottine vers la sortie, le voile soulevé par le vent, déséquilibrée par le poids trop lourd pour elle. Portant de quoi faire vivre sa famille, pour aujourd’hui encore.