A trois semaines des élections départementales, Nicolas Sarkozy lance l'offensive contre le Parti socialiste et contre le gouvernement, dans un entretien au Figaro du lundi 2 mars.
L'ancien président de la République tire un bilan catastrophiste de son successeur François Hollande, en citant des chiffres en pagaille. Quitte, parfois, à utiliser des raccourcis ou à avoir la mémoire courte.
Chômage : l'amnésie
Ce qu'il a dit :
« La baisse de 19 100 chômeurs à la fin du mois de janvier dans la seule catégorie A n'est rien comparée à la hausse de 193 400 chômeurs enregistrée au cours de la seule année 2014 et à celle des quelque 590 000 chômeurs supplémentaires depuis l'élection de François Hollande en mai 2012. »
Pourquoi c'est trompeur
En pointant le mauvais bilan de François Hollande dans sa lutte contre le chômage, Nicolas Sarkozy cherche, en creux, à valoriser le sien… qui n'est pas plus flatteur.
Malgré une baisse du chômage en ce mois de janvier, le gouvernement socialiste n'est pas parvenu à réduire de manière durable le nombre de demandeurs d'emploi. Fin 2014, ces derniers, en catégorie A (sans aucune activité), étaient 189 000 de plus que fin 2013, soit un chiffre proche de ce qu'évoque Nicolas Sarkozy. Depuis l'élection de François Hollande, en mai 2012, ils sont 558 400 de plus – et non 590 000 comme l'affirme M. Sarkozy. Les chiffres donnés par l'ancien chef de l'Etat sont donc globalement exacts, ou tout du moins dans le bon ordre de grandeur.
Mais ce qu'il ne dit pas, c'est que son propre bilan n'est pas meilleur. Entre mai 2007, date de l'élection de M. Sarkozy à l'Elysée, et janvier 2010 (pour reprendre une période similaire à celle retenue pour le bilan de François Hollande), le nombre de demandeurs d'emploi sans activité avait augmenté de 520 700. Soit un ordre de grandeur assez semblable. Au terme du quinquennat, en mai 2012, les chômeurs de catégorie A étaient 783 300 de plus qu'en mai 2007.
Impôts : une hausse amorcée sous Sarkozy
Ce qu'il a dit :
« Depuis que François Hollande a été élu, les Français ont été assommés par 40 milliards d'euros d'impôts et de charges supplémentaires. »
C'est vrai mais…
Dès son entrée en fonction, François Hollande a réitéré sa volonté de respecter la réduction du déficit public comme les engagements européens de la France l'y contraignent. Cela s'est traduit par des hausses d'impôts importantes dans les budgets successifs de ces dernières années. Ainsi, plus de 40 milliards d'euros de hausses d'impôts ont été votées, pour les entreprises et les ménages, depuis 2012.
Mais la tendance à la hausse des impôts avait été initiée… pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. En 2011, les plans de rigueur élaborés par le gouvernement Fillon ont conduit à 16 milliards d'euros de hausse cette année-là, à 13 milliards d'euros en 2012 et 1,8 milliard en 2013, selon le rapport sur les prélèvements obligatoires publié chaque année en annexe du budget.
Dépenses publiques : un niveau jamais atteint
Ce qu'il a dit
« C'est encore la première fois que les dépenses publiques représentent 57 % du PIB et les prélèvements obligatoires 45 %. L'écart par rapport aux autres pays européens est devenu énorme : 7 points de PIB (...) par an d'écart en matière de dépenses publiques par rapport à la moyenne européenne et près de 8 points de PIB en matière de prélèvements obligatoires. »
C'EST VRAI MAIS...
Comme le souligne Nicolas Sarkozy, c'est effectivement la première fois que les dépenses publiques atteignent un niveau aussi important, à 57 % du PIB. Mais la tendance n'est pas nouvelle : elles ont augmenté entre 2007 et 2012, quand M. Sarkozy était au pouvoir – avec toutefois une parenthèse de deux années de baisse en 2010 et 2011 (– 0,8 % au total). Sous la présidence Hollande, les dépenses publiques ont continué à progresser.
M. Sarkozy dit vrai quand il parle d'un écart de 7 points du PIB par rapport à la moyenne européenne. Depuis 2009, la part des dépenses publiques de la zone euro reste stable (autour de 50 % du PIB). La France continue donc de creuser l'écart.
Les prélèvements obligatoires (impôts, taxes, cotisations), eux non plus, n'ont jamais été aussi élevés, à 44,7 % du PIB en 2013. Mais l'ancien chef de l'Etat semble oublier qu'il a contribué à cette hausse progressive pendant qu'il était président. Ainsi, après une sensible baisse de 40,7 milliards d'euros entre 2008 et 2009 (notamment due à l'effet de la crise et à la récession en France cette année-là), les prélèvements obligatoires ont de nouveau augmenté à partir de 2009 pour atteindre 43,7 % du PIB en 2012. Cela a représenté une hausse de 94,4 milliards d'euros entre 2007 et 2012.
Il est difficile de comparer les chiffres des prélèvements obligatoires en France et au niveau européen. L'institut européen de statistique Eurostat a une méthode de calcul différente qui aboutit à un niveau de prélèvement légèrement supérieur que celui de l'Insee (47 %). Avec cette source, la France se situe 7 points au-dessus que la moyenne européenne (40,6 %), comme le dit M. Sarkozy.
De plus, les comparaisons internationales des prélèvements obligatoires sont toujours délicates. D'une part, la stricte étude de ce paramètre ne tient pas compte des systèmes sociaux spécifiques à chaque pays (sécurité sociale, retraite, etc.), et d'autre part l'Etat a d'autres moyens d'intervenir que l'impôt ou les cotisations, comme le recours à l'emprunt.
La loi Macron n'en fait pas assez pour les entreprises
Ce qu'il a dit :
Nicolas Sarkozy fustige également la loi sur l'activité et la croissance, dite « loi Macron » du nom du ministre de l'économie. Il juge que ce texte ne permettra « [pas] d'augmenter la croissance » et ironise sur une loi trop anecdotique et pas assez en faveur des entreprises :
« Les chefs d'entreprise ont besoin de baisses massives de charges et le gouvernement leur parle de la libéralisation du transport en autocar. Cherchez l'erreur. »
Pourquoi c'est exagéré
La loi défendue par le ministre Emmanuel Macron, dont l'objectif est de déverrouiller les règles qui empêchent l'initiative, la concurrence et la baisse des prix, comporte plusieurs volets favorables aux entreprises, comme la simplification du droit au licenciement. L'article 101, consacré à cette réforme, précise que les indemnités données aux salariés dans le cadre de plans sociaux devront désormais être proportionnelles aux moyens de l'entreprise en difficulté et non plus aux moyens du groupe auquel cette entreprise appartient. Or, une société en redressement ou en liquidation dispose par définition de très peu de moyens, ce qui réduit presque systématiquement les indemnités aux salariés. L'article 101 rend également possible un licenciement plus rapide des salariés.
Ce texte a d'ailleurs été salué par le Medef, principale organisation patronale. En décembre 2014, dans un entretien à RFI, le président du pôle entrepreneuriat du syndicat, Thibault Lanxade affirmait que « ce que propose aujourd'hui Emmanuel Macron [allait] véritablement dans la bonne direction ».
Au sujet de la loi Macron, Nicolas Sarkozy accuse également le gouvernement d'avoir voulu « régler le sort des notaires », alors que le ministre de l'économie a cédé à la pression des professions réglementées en renonçant, début février, au dispositif tarifaire prévu au départ pour les professions juridiques.
Croissance : trois années en berne pour la France
Ce qu'il a dit :
« Depuis que les statistiques existent, c'est la première fois que la France enchaîne trois années de croissance quasi nulle : 0,3 % en 2012, 0,3 % en 2013 et 0,4 % en 2014. »
C'est vrai
Après une croissance de 2,1 % en 2011, l'Insee a observé une progression quasi-nulle du produit intérieur brut (PIB) pendant trois ans d'affilée : 0,3 % en 2012, 0,3 % en 2013 et 0,4 % en 2014. Depuis 1950, date des premières statistiques de l'institut disponibles sur l'évolution du PIB, c'est effectivement la première fois que le pays enregistre une croissance durablement aussi faible.
Cependant, Nicolas Sarkozy a lui aussi connu des années compliquées au cours de son quinquennat. La croissance économique, qui s'établissait à 2,4 % en 2007, a chuté en 2008 à 0,2 % avant d'être très nettement négative en 2009 (– 2,9 %) au plus fort de la crise économique mondiale. Ces deux années difficiles ont été suivies d'une reprise, avec une croissance de 2 % en 2010 et 2,1 % en 2011.
Un « 49-3 » à l'usage restreint par… Sarkozy
Ce qu'il a dit :
« L'article 49-3 ne pouvant être utilisé qu'une seule fois par session parlementaire, cela veut dire que d'ici au 1er juillet, le gouvernement ne pourra plus faire passer de réformes. (...) En cinq années, nous n'avons pas retiré un seul texte sous la pression de la rue ou utilisé une seule fois l'article 49-3 au Parlement. »
C'est plutôt vrai
Face au mécontentement d'une partie des députés socialistes « frondeurs » face à certaines dispositions de la loi Macron, le gouvernement a utilisé l'article 49, alinéa 3 de la Constitution. Ce dernier permet de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement pour faire adopter un texte : soit la motion de censure est rejetée et le projet de loi est ainsi adopté en bloc, soit, dans le cas inverse, la loi est rejetée et le gouvernement est renversé, ce qui oblige le président à nommer un nouveau premier ministre. Cette « arme » part du principe que des députés de la majorité pourraient voter contre un texte du gouvernement mais sans aller jusqu'à le renverser.
Au cours de son quinquennat, Nicolas Sarkozy n'a effectivement jamais utilisé le « 49-3 ».
Depuis la révision constitutionnelle de 2008 portée par… Nicolas Sarkozy, l'utilisation du « 49-3 » a été limitée. Son usage n'est désormais autorisé qu'une fois par session parlementaire pour une loi ordinaire – mais il peut l'être pour les textes budgétaires. Il est donc vrai que le gouvernement ne pourra plus utiliser ce procédé pour une loi autre que le budget, avant la fin de l'actuelle session parlementaire, qui court jusqu'en juillet.
Seul bémol : Nicolas Sarkozy affirme que le gouvernement ne pourra plus « faire passer de réformes ». C'est exagéré : le gouvernement bénéficie encore d'une (faible) majorité, qui pourrait être mise en défaut uniquement dans le cadre de textes divisant jusque dans son propre camp, et non pour l'ensemble des réformes.
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