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L’immobilier de luxe à Londres, vecteur de blanchiment

Une étude révèle que dans les quartiers les plus chers, jusqu’à 9 % des propriétés sont détenues par des sociétés offshore, cachant l’identité de leurs propriétaires.

Par  (Londres, correspondance)

Publié le 03 mars 2015 à 13h53, modifié le 19 août 2019 à 13h16

Temps de Lecture 3 min.

A Westminster, 9,2 % des propriétés sont possédées à travers des sociétés offshore. La proportion est de 7,3 % à Kensington et Chelsea, et de 4,5 % à la City.

L’immobilier de luxe à Londres « devient un refuge pour l’argent volé du monde entier », selon un rapport publié, mercredi 4 mars, par Transparency International. Si le phénomène est connu, l’association de lutte contre la corruption lève pour la première fois un coin du voile sur son ampleur. Elle révèle que 40 725 propriétés à Londres sont possédées par des sociétés enregistrées dans les paradis fiscaux, cachant l’identité réelle de leur détenteur. Cela représente plus de six kilomètres carrés de la capitale britannique, selon une analyse exclusive du Land Registry (la base de données enregistrant les propriétés).

Dans les quartiers les plus chers, cette pratique est désormais monnaie courante. A Westminster, 9,2 % des propriétés sont possédées à travers des sociétés offshore. La proportion est de 7,3 % à Kensington et Chelsea, et de 4,5 % à la City. Ces sociétés sont presque toutes enregistrées dans les paradis fiscaux de l’aire d’influence britannique : îles Vierges britanniques (34 %), Jersey (14 %), île de Man (8,5 %), Guernesey (8 %), Panama (3,5 %)…

Bien sûr, l’utilisation d’une société offshore pour acheter une propriété ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit de blanchiment d’argent, ni même d’évasion fiscale. Mais la police britannique confirme que l’immobilier de luxe à Londres est l’un des « canaux » préférés pour légitimer des sommes volées.

« Dans presque toutes nos enquêtes de corruption internationale, nous trouvons des propriétés de luxe », explique Jon Benton, le directeur de l’unité anti-corruption de Scotland Yard. Pour ce rapport de Transparency International, il a accepté pour la première fois de publier les statistiques de son travail.

Entre 2004 et 2014, son unité a ouvert des enquêtes de corruption sur des propriétés à Londres d’une valeur totale de 180 millions de livres (250 millions d’euros). Mais de l’aveu même de M. Benton, « il ne s’agit très probablement que de la partie émergée de l’iceberg ».

Pour la police, les enquêtes sont particulièrement compliquées à mener. Il est difficile de pousser les îles Vierges britanniques à révéler l’identité du détenteur d’une société, par exemple. Les forces de l’ordre britanniques concentrent donc la moitié de leurs enquêtes sur Jersey, qui coopère avec le Royaume-Uni.

Impression de ville fantôme

Dans certaines rues des beaux quartiers de Londres, la nuit, l’impression de ville fantôme domine. Une grande partie des appartements et des maisons de luxe est inhabitée. Pour leurs propriétaires, il ne s’agit que d’un investissement, dans lequel ils passent quelques semaines ou quelques mois chaque année.

Saïd Kadhafi était de ceux-là. Le fils de l’ancien dictateur libyen possédait une magnifique villa d’une valeur de 12 millions d’euros à Hampstead, un chic quartier surplombant Londres. Avec 700 mètres carrés, sept chambres et cinq salons, une piscine intérieure et un cinéma privé, elle était parmi les plus luxueuses de sa rue, surnommée « l’allée des millionnaires ».

Sans la révolution libyenne, son réel propriétaire n’aurait jamais été démasqué officiellement : la maison avait été achetée par Capitana Seas Limited, une société enregistrée aux îles Vierges britanniques.

Pourquoi Londres attire-t-elle autant le blanchiment d’argent ? L’explication vient partiellement des liens historiques avec les paradis fiscaux. La présence à la City d’armées d’avocats, de fiscalistes et de banques d’affaires aide également. Mais c’est aussi la respectabilité d’une grande capitale européenne qui séduit.

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« Souvent, le blanchiment d’argent s’accompagne d’un blanchiment de réputation, souligne Nick Maxwell, l’auteur du rapport de Transparency International. Les acheteurs de biens immobiliers embauchent aussi une agence de communication, pour faire leur promotion. »

M. Maxwell épingle aussi le rôle des intermédiaires, qui rendent le blanchiment d’argent possible. Pour chaque transaction immobilière, au moins un agent immobilier, un notaire et une banque ont été mobilisés. Si les établissements bancaires semblent prendre le travail de lutte contre le blanchiment d’argent de plus en plus au sérieux, les agents immobiliers sont en revanche particulièrement passifs. Car la loi ne leur demande que de se renseigner sur le vendeur, pas sur l’acheteur. Ce dernier est en principe supervisé par son notaire.

Transparency International pointe cependant une lueur d’espoir. « Nous sommes à un tournant », espère M. Maxwell. Le Royaume-Uni est en train de passer une loi pour créer un registre des bénéficiaires d’entreprise. Il ne sera donc plus possible d’acheter une propriété anonymement. Du moins pour les entreprises enregistrées au Royaume-Uni.

Pour l’instant, cette loi ne s’appliquera pas aux paradis fiscaux. Néanmoins, le G20, lors de sa dernière réunion à Brisbane en novembre 2014, a entériné le principe de registres de bénéficiaires d’entreprise dans chacun de ses pays membres. Il reste à les mettre en place, mais c’est peut-être le début de la fin d’une ère d’immunité.

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