Chroniques

Le pepperoni devient partisan

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Par Paul Krugman

Que nous disent-donc les contributions de ce dernier cycle électoral ? Il n’est pas vraiment surprenant d’apprendre que les démocrates sont le parti des travaillistes (ou de ce qu’il en reste) et de la justice : les syndicats et les avocats sont les groupes d’intérêts pro-démocrates les plus importants. Les républicains sont le parti du pétrole et de l’agroalimentaire : ils dominent les contributions des industries extractives et de l’agroalimentaire. Et ils sont surtout le parti de la pizza.

Si, si, c’est vrai. Un article récent de Bloomberg rapporte que les entreprises de pizza les plus importantes sont devenues férocement partisanes. Pizza Hut donne, et c’est remarquable, 99 pourcent de ses contributions aux républicains. D’autres acteurs de l’industrie servent aux démocrates une part un peu plus grande du gâteau (pardon, je n’ai pas pu m’en empêcher) mais de manière générale, la politique de la pizza ces temps-ci ressemble à celle de, disons, du charbon ou du tabac. Et la partisannerie de la pizza nous en dit long sur ce qui se passe dans le monde politique américain dans son ensemble.

Pourquoi la pizza, la pizza, devrait-elle être un point de discorde ? La réponse immédiate à ça c’est qu’elle se retrouve prise dans la guerre de la nutrition. Le corps politique de l’Amérique est devenu bien plus lourd ces cinquante dernières années et bien qu’il y ait débat sur ce qui en est la cause, une alimentation non équilibrées – et notamment le fast-food – est évidemment le suspect principal. Ainsi que le note Bloomberg, certaines parties de l’industrie alimentaire ont répondu à la pression des agences du gouvernement et des militants de l’alimentation en tentant d’offrir des options plus saines, mais le secteur de la pizza a choisi de se déclarer en faveur du droit d‘ajouter encore du fromage.

La rhétorique de ce combat est quelque chose de familier. Le lobby de la pizza se décrit lui-même comme le défenseur de choix personnels et de responsabilité personnelle. Leur argument, c’est que c’est au consommateur de décider ce qu’il ou elle veut manger et nous n’avons pas besoin d’un état paternaliste pour nous dire ce qu’il faut faire.

Voici un argument que bon nombre de gens trouvent persuasif mais il ne tient pas vraiment la route une fois que l’on regarde ce qui est vraiment en jeu dans ces débats de pizza. Personne ne propose une interdiction sur la pizza, ni même une limite sur ce que des adultes bien informés devraient manger. Bien plutôt, le combat implique des choses comme des obligations d’étiquetage – donner aux consommateurs l’information pour faire des choix éclairés – et le contenu nutritionnel des déjeuners servis dans les écoles, c’est-à-dire les décisions ayant trait à l’alimentation qui ne sont pas prises par des adultes responsables mais prises pour des enfants.

Au-delà de ça, quiconque a déjà été confronté à des problèmes de poids – ce qui représente certainement la majorité des adultes américains – sait que s’il y a bien un domaine dans lequel la rhétorique facile du "libre de choisir" ne s’applique pas. Même si l’on sait très bien que l’on va regretter très vite cette part supplémentaire, il est extrêmement difficile d’agir en fonction de cette certitude. La nutrition est l’un de ces domaines pour lequel un choix plus large peut être néfaste parce qu’il mène trop souvent à de mauvais choix en dépit des meilleures intentions et elle est comme le tabac – pour lequel il y aurait beaucoup à dire pour un état paternaliste.

Ah, et l’alimentation n’est pas un simple choix personnel non plus ; l’obésité impose des dépenses importantes sur l’économie toute entière.

Mais l’on ne devrait pas s’attendre à ce que de tels arguments ne gagnent du terrain. Tout d’abord, les fondamentalistes des libres marchés ne veulent pas entendre parler de qualifications de leur doctrine. De plus, avec les grandes entreprises impliquées, le principe d’Upton Sinclair s’applique : il est difficile de faire comprendre à un homme quelque chose lorsque son salaire dépend du fait qu’il ne doit pas le comprendre. Et de plus, il s’avère que la partisannerie nutritionnelle va chercher encore plus loin dans des problèmes culturels.

Il est clair qu’il y a un vrai lien entre les styles de vie et l’orientation partisane : les états les plus lourds ont tendance à voter républicain et la tendance vers le GOP est particulièrement prononcée dans ce que les Centres pour le contrôles des maladies et la prévention appellent "la ceinture de diabète" des états, la plupart du sud, qui souffrent le plus de ce problème de santé particulier. Ce n’est pas une coïncidence que les responsables de ces régions aient conduit la révolte contre les efforts entrepris pour rendre plus sains les repas servis dans les écoles.

A un niveau encore plus profond, les experts de santé disent peut-être que l’on a besoin de changer notre façon de manger, mettant en évidence les preuves scientifiques, mais la base républicaine n’aime pas trop les experts, les sciences ou les preuves. Les discussions à propos de la politique de nutrition font ressortir une colère pleine de venin – dont une grande partie va en direction de Michelle Obama, qui est à la tête de la réforme des repas servis dans les écoles – voilà qui est vraiment trop familier si vous avez suivi le débat sur le changement climatique.

Ainsi, la partisannerie de la pizza ressemble à une plaisanterie mais ce n’en est pas une. C’est plutôt un cas d’école dans lequel on trouve un mélange de grosses sommes d’argent, d’idéologie aveugle et de préjugés populaires qui rendent l’Amérique toujours moins gouvernable.

Paul Krugman

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