Zaldostanov, chef des bikers russes et "frère" de Poutine

Zaldostanov, chef des bikers russes et "frère" de Poutine
Vladimir Poutine et son allié le biker nationaliste, en 2009. (ALEXSEY DRUGINYN / RIA NOVOSTI)

Une semaine avant l’assassinat de Boris Nemtsov, Alexandre Zaldostanov, motard ultranationaliste et orthodoxe, appelait à "exterminer" les opposants au régime. Rencontre.

Par Vincent Jauvert
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La menace était publique et connue de tous. Dix jours avant le meurtre de Boris Nemtsov, Alexandre Zaldostanov, dit "le Chirurgien", déclarait, plein de haine :

La peur de la mort est la seule chose qui peut arrêter l'opposition russe." 

Qui est cet effrayant personnage, omniprésent à la télévision russe depuis un an ?

Un motard de 52 ans, fan de "Mad Max" et du patriarche de Moscou. Poutine l'appelle son "frère". Il l'aime tellement qu'il en a fait, depuis peu, l'égérie de son régime nationaliste – et le chef d'une sorte de garde prétorienne. L'homme, un géant à queue de cheval surnommé "le Chirurgien" en souvenir de ses études de médecine, préside le plus grand club de bikers du pays, qui regroupe quelques milliers de gros bras, des Hells Angels version panslave.

Ce croisé de la religion orthodoxe, interdit de séjour en Union européenne et aux Etats-Unis depuis ses coups de poings en Crimée, se dit investi d'une double mission divine : aider Vladimir Poutine, le "sauveur du monde", à "réunifier l'Ukraine, la Biélorussie et la Russie". Et, surtout, protéger le maître du Kremlin contre "la bête orange", cette révolution populaire que Boris Nemtsov, l'opposant assassiné le 28 février, appelait de ses vœux depuis des années.

La place que ce motard fanatique occupe désormais sur la scène politico-médiatique russe est révélatrice des dérives du pouvoir poutinien – et n'augure rien de bon pour la Russie et pour l'Europe.

Alexandre Zaldostanov avec les Loups de la Nuit. (Valeriy Melnikov / RIA Novosti)Alexandre Zaldostanov en route avec les Loups de la Nuit.
(Valeriy Melnikov / RIA Novosti)

"Tout faire pour les empêcher de nuire"

De Moscou à Vladivostok, tout le monde connaît le charismatique "Chirurgien", son costume de cuir noir, sa Harley Davidson et ses tatouages. On le voit partout, avec ses hommes – les Loups de la Nuit – et leurs grosses motos. Depuis un an, ces inquiétants anges gardiens de Poutine sont de tous les événements, de toutes les célébrations officielles.

Aussi curieux que cela paraisse, ils font partie de la nouvelle histoire russe. En février 2014, ce sont les Loups qui bloquent manu militari l'entrée de la Crimée, première phase de l'annexion de la péninsule. En novembre, à Moscou, eux encore qui ouvrent, en direct à la télévision d'Etat, le cortège de la fête nationale, en brandissant leur drapeau qui mêle étoile rouge soviétique et aigle impérial.

Et le 21 février, un an après le renversement de l'ex-président ukrainien Ianoukovitch, c'est "le Chirurgien" qui, à Moscou, mène la marche anti-Maïdan au cours de laquelle des milliers de manifestants invectivent les nouvelles autorités de Kiev et scandent "on n'oublie pas, on ne pardonne pas". Zaldostanov avait d'abord songé à un slogan plus simple : "Mort aux pédés".

A la tribune, il a prononcé un discours de haine. Il disait vouloir "exterminer" les opposants à Poutine, "la cinquième colonne" et précisait :

Je n'appelle pas à des actions extrêmes, mais il faut tout faire pour les empêcher de nuire."

Une formule très ambiguë, prononcée une semaine seulement avant l'assassinat de Nemtsov.

Alexandre Zaldostanov et Oleg Tsarev, ancien candidat à la présidentielle ukrainienne, lors d'un rassemblement anti-Maidan à Moscou le 21 février 2015. (DMITRY SERERYAKOV / AFP)Avec l'Ukrainien Oleg Tsarev (à dr.), lors d'un rassemblement anti-Maïdan à Moscou le 21 février 2015. (Dmitry Sereryakov / AFP)

Biceps larges et regard clair

L'homme reçoit rarement et toujours en pleine nuit. Rendez-vous à 2 heures du matin dans son club, le "bike center", un vaste terrain vague situé à 20 kilomètres au nord-ouest de Moscou. A l'entrée, des loups empaillés, une immense croix orthodoxe et des carcasses de camions. "Tenues de sport et de camouflage interdites", dit un panneau. Un haut-parleur crache "Still Loving You" de Scorpions.

Un garde dévisage longuement l'envoyé de "l'Obs", le fouille puis le conduit dans le bar-restaurant du club où il ne le quittera pas des yeux pendant les quatre heures de l'entretien. "'Le Chirurgien' a reçu tant de menaces", dit-il. La veille, on a mis le feu à l'un des bâtiments du centre. "Sûrement des fascistes à la solde des Ukrainiens."

Le "Loup en chef" entre, ses biceps larges comme des cuisses et son regard bleu clair impressionnent. Il sourit aimablement et commande de la vodka, de la Beluga, "la meilleure". Il explique :

Ici, c'est notre territoire depuis quinze ans. Malgré mon dégoût pour l'élite anglo-saxonne, j'ai pensé un temps l'appeler Mad Max City, en hommage à mon film préféré. Il fait un hectare, et, depuis que le président Poutine est venu le visiter, nous avons reçu l'autorisation de l'agrandir encore."

Des shows rock patriotiques

Le "bike center" est un lieu de rencontre pour motards, avec une discothèque et un terrain d'entraînement. "On y construit des motos expérimentales, dit-il. Et c'est ici que nous préparons la scène, les cascades et les effets spéciaux pour nos shows."

Car l'homme est, entre autres choses, un entrepreneur de spectacles, des "Woodstock patriotiques" qui font la joie de Vladimir Poutine – et assurent sa propagande à travers la Russie et le monde slave. Le show du mois d'août dernier à Sébastopol, capitale de la Crimée tout juste annexée, a été diffusé en direct à la télévision d'Etat russe. Un hymne à la gloire de l'intervention russe en Ukraine, financé par le ministère de la Culture. Alexandre Zaldostanov raconte :

C'était une reconstitution du coup d'Etat de Maïdan. Sur fond de rock patriotique, je montrais comment les nazis ont pris le pouvoir à Kiev avec le soutien des Américains."

Et il a vu les choses en grand : "Sur une scène de 500 mètres de long, il y avait 300 artistes qui ont joué devant plus de 200.000 personnes. Les militaires nous ont prêté des chars et de puissants projecteurs." Il a même fait construire des doigts de 8 mètres "pour représenter les mains d'Obama qui tirent les ficelles du monde".

L'étonnant spectacle, diffusé opportunément au moment de la première offensive de l'armée russe dans l'est de l'Ukraine, en août dernier, a connu un grand succès.

Malheureusement, Poutine n'a pas voulu monter sur scène, en guise d'apothéose, juste avant l'hymne soviétique."

Poutine au bike center

C'était le sixième "show patriotique" du "Chirurgien" à Sébastopol, qu'il a dès le début, bien avant l'annexion de la Crimée, conçu comme une opération de propagande pro-russe. "L'idée du premier m'est venue en 2008 quand je suis revenu pour la première fois dans cette ville, vingt ans après y avoir passé toute mon enfance, raconte Zaldostanov." Il poursuit :

Ce jour-là, j'ai compris que je n'avais jamais voulu l'éclatement de mon pays, l'Union soviétique. Alors j'ai décidé de tout faire pour que l'Ukraine, où je suis né, toute l'Ukraine, soit rendue à la Russie. Et donc de monter un show sur ce thème à Sébastopol. Ce qui n'a pas déplu au pouvoir russe, puisque un peu plus tard j'ai été béni par le patriarche en personne."

Puis Poutine lui-même est emballé. La rencontre entre le "leader national" et le biker remonte à 2009, deux jours avant le premier show à Sébastopol auquel Poutine, qui est alors Premier ministre, décide d'apporter publiquement son soutien. Comme s'il caressait déjà l'idée d'un tournant ultranationaliste pour son régime et peut-être même d'un retour de la Crimée dans le giron russe.

Ce soir-là, il est venu au 'bike center'. J'étais stupéfait. Il m'a offert un drapeau russe et nous avons longuement discuté."

Les deux hommes se séduisent l'un l'autre. "J'ai tout de suite senti qu'il aime son pays et le comprend. Parmi tous les chefs du Kremlin, il est celui dont la vision est la plus vaste depuis Staline. Comme moi, il pense que la Russie est le seul pays qui peut sauver le monde de la déchéance morale", confie ce chrétien qui a la ferveur des convertis : il a consommé toutes sortes de drogues au risque d'"en mourir", jusqu'à une rencontre décisive avec un prêtre orthodoxe au début des années 1990.

En Crimée à moto

Le tsar et "le Chirurgien" deviennent vite inséparables. Le motard reconnaît :

Il voulait profiter de ma notoriété chez les jeunes nationalistes, mais il y a autre chose, une connivence."

Les deux amis sur leurs motos lors d'un festival de bikers, en août 2011. (Ivan Sekretarev / AFP)Les deux amis à moto lors d'un festival de bikers, en août 2011.
(Ivan Sekretarev / AFP)

Et voilà les deux quinquas, l'ex-anar et l'ancien KGBiste chevauchant, dès que possible, leurs Harley Davidson en tête d'une colonne des Loups de la Nuit, sur les routes russes, jusqu'à Novossibirsk. Ces virées – souvent retransmises à la télévision – confortent l'image de macho de Poutine. Elles lui servent aussi à délivrer un message géopolitique.

En 2012, le président russe fait poireauter pendant quatre heures son homologue ukrainien Ianoukovitch qui l'attend à Kiev pour une visite officielle. La raison de cette humiliante attente ? Avec ses amis Loups, Poutine est en train de sillonner la Crimée, comme si, deux ans avant son annexion, la péninsule ukrainienne était déjà propriété de la Fédération de Russie. Zaldostanov répète d'ailleurs :

Là où sont les Loups, là est la Russie."

Pantalon de cuir au Kremlin

La bande de motards participe aussi du soft power de leur pays – et de la propagande de Poutine – en Europe de l'Est et dans les Balkans, où leurs shows et leurs défilés, des sortes de "prides" panslaves, sont très célèbres. En novembre dernier, ils accompagnaient le maître du Kremlin lors de sa visite d'Etat à Belgrade.

Poutine saisit toutes les occasions pour honorer le très utile et très dévoué "Chirurgien". En 2013, il lui remet une médaille "pour son activité dans l'éducation patriotique des jeunes". Quelques mois plus tard, il le désigne comme l'un des porteurs officiels de la flamme olympique aux J.O de Sotchi - jeux que l'opposant Nemtsov a dénoncés comme "les plus corrompus de l'histoire".

Alexandre Zaldostanov reçoit une médaille des mains des Vladimir Poutine en mars 2013. (RIA-NOVOSTI POOL/ MIKHAIL KLIMENTYEV)Alexandre Zaldostanov décoré par Vladimir Poutine, en mars 2013.
(Ria Novosti / Mikhail Klimentyev)

Le président russe flatte le fidèle Zaldostanov. Il lui téléphone régulièrement et l'invite au Kremlin. "Je suis le seul qu'on laisse entrer avec des bottes, des chaînes et un pantalon en cuir", lance le biker en rigolant. Parfois, le président l'appelle pour l'inviter à se joindre au dernier moment à un dîner avec des chefs d'Etat étrangers.

Il le choie parce qu'il sait qu'un jour il pourra de nouveau avoir besoin de lui et de ses Loups, peut-être même pour sauver son régime. "Ceux qui sont contre le président sont des ennemis de la Russie, donc les nôtres", prévient Zaldostanov en raccompagnant l'envoyé de "l'Obs" à l'entrée de son "territoire". Les amis de Boris Nemtsov sont prévenus.

Vincent Jauvert, envoyé spécial à Moscou

Vincent Jauvert
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