Phoolan Devi, la “Robin des bois” indienne, racontée sur France Culture

Défendre les femmes, les pauvres, lutter contre les injustices, et ne pas hésiter à combattre physiquement pour cela. Phoolan Devi a mis en actes ses convictions, tout au long de sa courte vie.

Par Carole Lefrançois

Publié le 09 mars 2015 à 15h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h31

Phoolan Devi est une légende en Inde. Surnommée "la reine des bandits" (un film lui a été consacré en 1994), elle rançonnait les riches pour donner aux pauvres dans les années 1980. Elle fut emprisonnée, et entra en politique après sa libération. Elue au Parlement indien en 1996, elle mourut assassinée en 2001, à l'âge de 38 ans. Cette héroïne des castes défavorisées demeure encore aujourd'hui un symbole du féminisme. L’occasion pour Julie et Jean-Philippe Navarre de dresser son portrait en deux épisodes très cinématographiques, enrichis d'ambiances sonores. Et de faire un état des lieux de la condition de la femme en Inde, à travers une série de documentaires pour Sur les docks sur France Culture.

Pourquoi, depuis une dizaine d'années, vous êtes-vous passionnée pour Phoolan Devi ?

Il y a des figures tutélaires qu'on se choisit autant qu’elles semblent nous avoir choisi. La rencontre avec Phoolan Devi a été pour moi décisive. Elle demeure un modèle de femme auquel je me sens liée : il y a dix ans, un article sur elle a suffi à me saisir. Dans un sentiment d’urgence absolue, j’ai alors traversé tout Paris pour trouver la seule chose qui comptait : son autobiographie. J’étais à la veille d’un voyage en Inde, mon premier, pour rejoindre ma sœur.

“On l’a adulée, respectée et haïe comme hors-la-loi, mais on l’a aussi adulée, respectée et haïe comme députée”

Qui était réellement Phoolan Devi ? Comment a-t-elle évolué une fois entrée en politique ?

Phoolan a été une enfant pauvre maltraitée par ceux de sa propre communauté, puis une hors-la-loi torturée par des castes supérieures, après onze ans d’incarcération. Elle a survécu à toutes ces épreuves, est devenue une légende vivante, et tout le monde s'est emparé de son histoire : artistes, journalistes, politiques, hommes et femmes de basses castes pour lesquels elle incarne le courage et la résistance… Elle a mené une vie publique de femme politique, qui fut une époque de confort matériel ; période brève et entachée de sang. A sa sortie de prison, il est vrai qu'elle a voulu contrôler son image : elle a refusé que l’on se serve d’elle sans son accord, a exigé des parts sur l’adaptation de sa vie au cinéma, a gagné beaucoup d’argent en publiant ses mémoires… Elle a été vivement critiquée, a été l’objet de nombreuses controverses, a suscité beaucoup d’irritations, de fantasmes, de mépris aussi… Ce que je vois surtout, c’est qu’elle a été victime d’abus en tous genres, tout au long de sa vie, et qu’elle les a obstinément dénoncés. Sans doute qu'elle n’a pas réussi à être héroïque en tous points ni sur tous les aspects… Mais je trouve ces attaques bien cruelles, comme si on ne pardonnait pas à cette femme pauvre et illettrée d’avoir voulu être autre chose qu’une femme soumise et apeurée. On l’a adulée, respectée et haïe comme hors-la-loi, mais on l’a aussi adulée, respectée et haïe comme députée. A chacun de se faire son point de vue.

Il existe de nombreux livres et même un film sur son destin hors du commun.

J’ai parcouru tout ce qu’on peut lire sur elle et j'ai vu le film de Shekhar Kapur lors d’un second voyage. Plus récemment, le livre de Dimitri Friedman [Le Dernier Souffle de Phoolan Devi, reine des bandits] a ravivé mon désir de faire quelque chose sur elle. J’ai donc tourné autour de cette personnalité emblématique, meurtrie de l’avoir découverte deux années trop tard pour la voir. Mes documentaires radiophoniques sont ainsi portés par le désir que j’avais d’aller à sa rencontre et de sortir son histoire de l’oubli, le temps d’une écoute.

“Phoolan a des sœurs, des héritières symboliques”

Qui avez-vous rencontré pour réaliser ces émissions ?

J’ai donné à la voir par la parole de ceux et celles qui l’ont connue : des membres de sa famille, son frère, une de ses sœurs, sa mère, mais aussi celui qui l’a accueillie trois mois durant à sa sortie de prison. A cette occasion, il a recueilli son témoignage, celui qui a donné corps à son autobiographie mise en livre par deux rewriters – Phoolan étant analphabète. J’ai réussi aussi à parler avec son dernier mari. Via des archives, Phoolan Devi parle de la condition des femmes en Inde. Entendre sa voix, c’est écouter toutes celles dont elle fut et demeure le porte-parole.

Vous avez également interviewé diverses personnalités qui abordent la place de la femme dans la société indienne d’aujourd’hui…

Oui, car j’avais aussi à cœur d’entendre ces femmes bien vivantes qui luttent et résistent face à cette société si violement patriarcale. Notamment Urvashi Butalia, une historienne auteur d’un magnifique livre sur la partition entre l'Inde et le Pakistan par le prisme de témoignages, la romancière Kishwar Desai qui dénonce et questionne cette condition des femmes dans des polars corrosifs, l'activiste Ranjana Kumari, très engagée sur le terrain social, ou encore Martine van Woerkens qui, dans l'ouvrage Nous ne sommes pas des fleurs, rend hommage aux féministes indiennes. Phoolan a des sœurs, des héritières symboliques. Ces femmes ne se reconnaissent peut-être pas toutes dans la violence de ses actes, mais l’admirent pour sa persistance à refuser l’inacceptable, pour sa révolte indéfectible.

“L’Inde croît à toute vitesse, et les jeunes femmes d’aujourd’hui étaient toutes petites lorsqu'elle a été assassinée”

Que reste-t-il du combat féministe de Phoolan Devi, et quelle image a-t-elle auprès des jeunes générations ?

Nous avons parfois entendu des réserves émanant des élites sur la dimension illégale de son action lorsqu’elle était bandit. Ou encore un peu de pitié à son égard... Parfois de la surprise, comme si cette personnalité était jugée déjà un peu désuète, voire sans grand intérêt particulier. Finalement on se souvient peu d'elle. L’Inde croît à toute vitesse, et les jeunes femmes d’aujourd’hui étaient toutes petites lorsque le film La Reine des bandits est sorti, ou lorsqu’elle a été assassinée. Je crois que sa mémoire a été un peu ensevelie. Un signe de cela : le procès de son meurtrier n’a eu lieu qu’en août 2014, neuf ans après sa mort. Je veux bien que la justice soit lente mais là, on peut penser qu’il s’agit d’une volonté politique. En revanche, dans l’inconscient populaire et en particulier chez les femmes, elle demeure un modèle fort.

Lors de votre reportage, avez-vous pu mesurer le décalage de l'évolution de la femme dans la société, selon qu'elle vit à la campagne ou à la ville ?

Le troisième volet de cette série fait le point sur ces questions tout en retraçant l’histoire de la lutte des femmes au cours du siècle passé. Le viol d’une jeune étudiante des classes moyennes à Delhi, en 2012, a eu un immense retentissement national et mondial. Le recensement de 2011 a été également une nouvelle occasion de constater l’immense et inquiétant écart entre le nombre de garçons et de filles sur le territoire. La question de la violence faite aux femmes est constante dans le débat public aujourd’hui en Inde et, si on y regarde d’un peu plus près, elle existe depuis longtemps. L’écart géographique, social, culturel et économique entre l’Inde des villes et l’Inde rurale demeure encore très fort.

A écouter
Moi, Phoolan Devi, du village aux ravines et Moi, Phoolan Devi, de la geôle au Parlement, deux documentaires diffusés dans Sur les docks, sur France Culture, lundi 9 et mardi 10 mars à 17h.
Jusqu'au jeudi 12, Sur les docks est consacré à l'Inde.

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus