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Marché de l'art : la performance artistique se collectionne-t-elle ?

Par définition éphémère, les performances sont considérées comme des œuvres à part entière. Travaux préparatoires (dessins, maquettes), photos et vidéos, les traces du happening se référencent et se vendent.

Comment garder, acheter, exposer, soit faire renaître l'éphémère? Voilà un tour de magie qui prend de l'ampleur à l'heure où la performance devient un classique, pour ne pas dire une mode, voire un bien consommable. «La performance est un art incarné, donc immatériel par essence. La photo ou le film en constituent souvent les traces ou les empreintes. Ces images sont vendues par les galeristes comme des œuvres à part entière, explique Guillaume Piens, commissaire général de Art Paris Art Fair, dont l'édition 2015 se tiendra du 26 au 29 mars au Grand Palais. Il y a tout un débat pour savoir si l'on doit considérer ces images comme de l'art ou du document. Ce sont de vraies œuvres, car les photos de performances, réalisées avec la complicité du créateur, sont porteuses de la vérité de son geste.»

« La performance pose effectivement la question des suites commerciales qu'elle induit »

Le galeriste Georges-Philippe Vallois

«La performance est difficilement assimilable pour le marché de l'art. Il faut créer des “produits dérivés” qui sont les vidéos en éditions limitées. Mais il manquera toujours le rapport direct entre le spectateur et l'acteur. C'est comme regarder un opéra ou une pièce de théâtre filmés. Les sensations sont différentes, il ne reste que des traces», lui répond la galeriste Nathalie Obadia, qui a présenté les vidéos charnelles de l'Américaine Chloe Piene. Sans peur ni reproche, cette blonde platine au regard d'acier est la digne fille d'Otto Piene, cofondateur du groupe Zero, mort en juillet dernier.

«La performance pose effectivement la question des suites commerciales qu'elle induit. Dans la plupart des cas, il reste comme “objet commercial” à la galerie des vidéos, des photos, des dessins préparatoires. Dans les années 1960-1970, ces vidéos sont souvent des documentations qui deviennent parfois - avec le temps et le succès de l'artiste - des éditions limitées que le marché a entre-temps validées. C'est le cas de Paul McCarthy qui a entrepris depuis vingt-cinq ans l'inventaire des photos de ses performances, réalisées plus de dix ans auparavant», renchérit Georges-Philippe Vallois, qui expose en galerie les «actes» ironiques de Pilar Albarracin. L'Andalouse frondeuse recrée aussi El Rocio au Palais de Chaillot, avec ses catafalques, ses œillets rouges, ses Vierges habillées comme des poupées.

Contre-exemple plus concret? «Les Tirs de Niki de Saint Phalle étaient, dit ce passionné d'art et de débats, des actions fabuleuses, à la fois très violentes, innovantes et en phase avec le climat de crise (en Algérie) de l'époque. La forme - tirer sur des tableaux -, le titre guerrier - Feu à volonté - donnaient à ce “happening” une pertinence politique, intellectuelle et formelle extrêmement rare. L'objectif est cependant clair: créer des tableaux. Ce qui est loin d'être le cas de beaucoup d'autres.»

« Une galerie vend aujourd'hui le protocole de l'œuvre pour la faire réadapter ou réactiver »

La curator Sang A Chun

«Nous pouvons commercialiser la performance de trois façons: achat de la performance elle-même (soit le protocole de celle-ci permettant sa reproduction sous conditions très spécifiques); achat de sa documentation: vidéo, pièce sonore ou photographies; achat d'œuvres issues de la performance (les installations). Aujourd'hui, nous arrivons à bien vendre les performances. Inimaginable, il y a quelques années!», précise le galeriste du Marais, Alex Mor, atout colombien du duo Mor-Charpentier pris au vol entre Arco à Madrid et Armory Show à New York.

«Une galerie vend aujourd'hui le protocole de l'œuvre pour la faire réadapter ou réactiver», renchérit la Coréenne Sang A Chun, curator portée par la poésie et les arts plastiques, messagère toujours entre Séoul, Biennale de Gwangju (coup de coeur pour Young In Hong) et Centre culturel coréen à Paris.

Le Rêve d'Arachné, une performance d'Agnieszka Ryszkiewicz et Sophie Bocquet

L'acte gratuit peut aussi le rester. «Nous avons accueilli des performances et nous les avons offertes au public. Il n'y a pas eu de ventes», nuance la galeriste danoise du Marais. L'idéaliste Maria Lund accueillera le 12 avril à 17 heuresLe Rêve d'Arachné, une performance d'Agnieszka Ryszkiewicz et Sophie Bocquet dans le cadre de l'exposition de Didier Boussarie, «La Nuit elles tissent».

«Seule vente possible? Il s'agit soit de vendre une forme de participation, un billet pour y assister. Ou de vendre la trace, à savoir une forme de documentation vidéo, photo… Ou encore de vendre un véritable film aux qualités artistiques requises pour préserver et transmettre au mieux le sens de la performance. Or, je suis plutôt partisane de l'idée de la performance qui existe uniquement en direct dans un contexte spécifique. Je crois que c'est sa nature en tant qu'irruption incontrôlable qui ne serait jamais deux fois pareille!»

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