Les Jours : il y a une vie après “Libé”

Lancer un nouveau site d'info payant, c'est le défi que relève une poignée d'anciens de “Libération” et quelques autres. Infiltration dans Les Jours, site en devenir.

Publié le 10 mars 2015 à 14h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h32

Déco design industriel, murs faussement défraîchis et savamment peints, longues tables, cuisine ouverte, et des boxes aux verrières transparentes. On se croirait dans un loft de téléréalité. On est dans un atelier de co-working branché, au cœur du 10e arrondissement de Paris.

Sous la verrière du fond, une petite dizaine de personnes, assises sur des chaises, leurs ordinateurs portables sur les genoux. Ces complotistes du journalisme se réunissent dans le plus grand secret, depuis des mois, et dorénavant, tous les jours pour travailler à la création d’un nouveau site d’info payant : Les Jours.

Pour l’annonce officielle du lancement du projet, on avait prévu une interview exclusive des Garriberts, le couple d’ex-journalistes médias stars de Libé, qui nous semblaient être, un peu quand même, les meneurs du projet. Mais face à l’accueil collégial sous la verrière, l’interview a été… collégiale.

Les Jours se sont cooptés : ils viennent de Libé pour la plupart, ils ont entre 30 et 50 ans. Dans une vie antérieure, ils ont « raconté les migrants et les présidents, laissé traîner [leurs] oreilles dans les cités, les mariages gays et la techno ghetto, repéré de bons pifs dans les vignobles et distribué pas mal de bourre-paf à la télé, exploré les cerveaux FN et les coffres-forts helvètes », comme ils l’écrivent sur leur page de présentation.

Sous la verrière, on trouve donc, par ordre alphabétique et non hiérarchique – « ici, c’est kibboutz, il n’y a pas de chefs » Olivier Bertrand, Nicolas Cori, Sophian Fanen, les Garriberts (Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts), Antoine Guiral, Charlotte Rotman… « que des Rolls », plaisante Raphaël Garrigos. Il y en a d’autres, dont on n’a pas le droit de dire le nom encore, parce qu’ils ne sont pas encore tout à fait partis (de Libé ou d’ailleurs), et pas tout à fait arrivés, ce qui revient au même. Il y a aussi un tout jeune entrepreneur, Augustin Naepels.

Les Jours rejettent l’écume. Les protagonistes des Jours font ce constat de plus en plus largement partagé : ces années de course à l’info ont épuisé tout le monde, les journalistes comme les lecteurs. « On veut lutter contre cette infobésité, cette actu sans mémoire. Donner du sens, du temps, de l’espace à des sujets qui nous semblent importants… par exemple, sur Charlie, on s’est dit qu’on aurait pu traiter l’événement vu depuis la banlieue, en restant plusieurs semaines à Grigny. Sur ce crash d'hélicoptère pendant un tournage, on aurait pu faire une enquête sur l'Argentine, cette cinecittà de la téléréalité… » 

L'équipe des Jours (de gauche à droite), Nicolas Cori, Augustin Naepels, Raphaël Garrigos, Charlotte Rotman, Sophian Fanen, Isabelle Roberts.

L'équipe des Jours (de gauche à droite), Nicolas Cori, Augustin Naepels, Raphaël Garrigos, Charlotte Rotman, Sophian Fanen, Isabelle Roberts. Photo : Martin Colombet/hanslucas.com/pour Télérama

Les Jours sont obsessionnels. On n’y trouvera pas de rubriques traditionnelles, l’actu y sera traitée via le filtre d'« obsessions », qui ne sont pas encore toutes définies, mais qui reflètent des problématiques actuelles fortes. Par exemple l’eau, les nouveaux rebelles, la communication, les frontières, les identités, les nouvelles radicalités… aucune obligation de couvrir tel ou tel champs.

« Les questions seront simplement : est-ce qu’on a envie d’y aller ? Pour raconter quoi ? Comment ? A combien ? » Le site, promettent-ils, sera « beau – la mise en scène est importante, pas question d’utiliser de simples photos d’illustration » et à l’écriture un poil relevée… on ne se refait pas, ils viennent de Libé. Ah oui, on devrait y trouver des contributeurs non-journalistes, sociologues, architectes, etc., « mais il n’y aura pas Alain Duhamel », a souri Raphaël Garrigos (qui sourit beaucoup en ce moment).

Les Jours sont numériques et payants. Eux, les dinosaures du papier, suspectés d’être « anti Web » par leurs anciens patrons de Libé, ou en tout cas largement « à côté », disent qu’il n’y a pas eu débat : « faire un site payant c’était une évidence. Médiapart a ouvert la voie, les gens commencent à comprendre qu’on doit payer pour avoir de la qualité. Ils sont mûrs pour accueillir une deuxième génération de pures players. »

Sur les détails, ça reste encore flou : le prix ? « 8 euros, 10 euros par mois ? Trop tôt pour le dire. » Les Jours se lanceront avec vingt rédacteurs à plein temps, cinq pigistes et cinq « fonctions support » (webmaster, etc.). Le socle, ce sera les abonnés : « On voudrait atteindre 25 000 abonnements, d’ici trois ans, pour un budget de fonctionnement de 2,5 millions d’euros. » Et bien sûr, ils recherchent des investisseurs : « On a fait un business plan, on apprend plein de trucs ! raconte Isabelle Roberts, et on reçoit ce qu’on appelle “des marques d’intérêt” ». Ça la fait marrer, ce langage nouveau.

Les Jours seront lancés. euh… Bon, ce n’est pas encore totalement calé, ce sera « dans le courant du deuxième semestre 2015 ». Le temps pour le commando de construire son média, et avec lui, sa communauté de lecteurs. Les journalistes ont prévu des rencontres un peu partout en France, une opération de crowdfunding forcément, et avant tout, pour commencer, cette page, lancée le 10 mars « jour de naissance de Boris Vian. Et de Chuck Norris », a souri Raphaël Garrigos (qui sourit beaucoup en ce moment, on vous l’a peut-être déjà dit). Une page intitulée « Les jours, hier, aujourd'hui, demain », à laquelle chacun peut donc s’inscrire, pour participer de l’intérieur à la construction du projet, tester le site au fil de ses développements. En interactivité permanente, comme il se doit.

Les Jours sont heureux : « On est assez contents », a glissé Raphaël Garrigos en nous raccompagnant à la porte. C’est vrai qu’ils avaient l’air remontés à bloc, les complotistes, sous leur verrière. Allez, y a plus qu’à.
 

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