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Yamaplace, le Bon Coin des rendez-vous médicaux

Une plateforme propose aux patients de revendre les consultations qu'ils ne peuvent honorer. Une solution aux problèmes des déserts médicaux et des longs délais d'attente. Mais l'aspect mercantile choque.
par Elsa Maudet
publié le 11 mars 2015 à 13h01

Le site n'est pas encore très rempli, mais il vient tout juste de se lancer. Sur Yamaplace.fr, les patients souhaitant annuler un rendez-vous médical peuvent proposer le créneau qu'ils libèrent à d'autres habitants de leur région. A l'inverse, une personne cherchant un rendez-vous rapide chez un praticien peut diffuser sa demande. Finis les délais de six mois pour voir son ophtalmo, son dentiste ou son gynéco. En ce moment, on voit que Bertrand libère sa place chez l'ophtalmo à Clermont-Ferrand, Colette annule sa consultation en cardio à Montluçon, «Jacotin» son rendez-vous chez le radiologue à Beauvais. Certains proposent l'information gratuitement, d'autres contre un café, 3, 5 ou 10 euros.

Car si l'utilisation de Yamaplace est gratuite, l'accès aux informations peut être payant, selon la volonté des personnes déposant une annonce. «C'est pour inciter ceux qui seraient un peu réticents» à partager leur rendez-vous annulé, justifie Wahib Sali, le co-créateur de la plateforme. Ce doctorant en biochimie moléculaire et cellulaire de 32 ans cherchait lui-même un rendez-vous chez l'ophtalmo en urgence, en 2009, en vain. Finalement, un ami lui a cédé le sien. Pourquoi ne pas généraliser la démarche ? D'autant que le problème est récurrent : il faut attendre en moyenne 77 jours avant une consultation en ophtalmologie en France d'après une étude Yssup Research pour Groupe Point Vision, et la question des déserts médicaux se fait de plus en plus problématique. Côté médecins, la démarche peut être intéressante quand on sait que 28 millions de rendez-vous médicaux sont annulés chaque année sans préavis.

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Le site ne garantit en aucun cas que le médecin acceptera un changement de patient, ni même qu'un créneau libre existe réellement. «Comme sur le Bon Coin, c'est avant tout la confiance qui fonde le service. Si vous trouvez un rendez-vous médical qui vous convient, vous fixez un rendez-vous physique avec la personne, comme vous le feriez pour acheter un bien matériel», défend Wahib Sali, qui conseille d'annoncer d'emblée que l'argent ne sera donné que si le médecin accepte l'échange. «Face aux déserts médicaux, c'est le peuple qui reprend la main», se félicite-t-il.

«Une dérive de la société»

«Je découvre ce site avec surprise et consternation. Heureusement que je suis assise, lâche Catherine Mojaïsky, présidente de la Confédération nationale des syndicats dentaires. Lorsque nous fixons des rendez-vous dans nos cabinets, nous avons la liberté de choisir nos patients - et donc de ne pas accepter quelqu'un - et nous calibrons les rendez-vous en fonction du travail à réaliser. Dans les cabinets surchargés, nous avons des listes de patients à appeler en cas de désistement», grince-t-elle.

Surtout, la dimension marchande la fait bondir : «Monnayer son rendez-vous est quelque chose qui me choque énormément. Il y a une dérive de la société par rapport à la santé, on voit le commerce arriver dans notre secteur et c'est très inquiétant.» Le créateur de la plateforme l'assure : «Yamaplace restera gratuit» L'entreprise se rémunère grâce à une autre activité, dans le domaine de la recherche et l'innovation en e-santé, et se revendique simple plateforme de solidarité et même de convivialité face aux déserts médicaux. «Imaginez la dérive : des gens qui commencent à prendre des rendez-vous partout pour dans six mois et qui les revendent quelque temps avant. Certains peuvent en faire un véritable commerce», alerte Catherine Mojaïsky.

«On comprend que certains essayent de trouver des parades, mais là il y a un côté mercantile… Si c'est ponctuel, ce n'est pas très choquant, mais si ça devient un business c'est un problème», abonde Thierry Bour, président du Syndicat national des ophtalmologistes de France (Snof). Il reconnaît par ailleurs que les rendez-vous annulés ne sont pas forcément un souci car ils permettent de prendre des patients en urgence sans finir à pas d'heure.

Du côté du Ciss (Collectif interassociatif sur la santé), qui défend les intérêts des patients, on est loin d'être convaincu. «Ce n'est pas du tout une solution viable, ça va pousser à une sorte de marché noir. Que les gens s'arrangent, c'est bien ; qu'il y ait une intention financière derrière, c'est beaucoup plus problématique, critique le collectif. Les syndicats de médecins se plaignent du nombre important de rendez-vous non honorés, peut-être qu'ils auraient pu mettre en place ce type de service.»

Rappels automatiques par SMS

Des sites comme Mondocteur.fr ou Doctolib.fr permettent de prendre rendez-vous en ligne chez divers praticiens et de voir leurs créneaux disponibles à courte échéance, sur la base d'informations communiquées par les médecins eux-mêmes. Du secrétariat en ligne, en fait. Et surtout une solution qui n'implique aucune transaction financière. «Ces services se concentrent surtout sur la région parisienne, alors que nous sommes présents à l'échelle nationale. Et nous avons accès à des rendez-vous auxquels les médecins ne peuvent pas prétendre, se défend Wahib Sali. La rencontre entre les patients va également permettre d'échanger des informations qu'on n'obtiendrait pas via l'annuaire, comme un descriptif du médecin, de la relation qu'on entretient avec lui…»

Des solutions simples existent pour éviter aux professionnels de santé de se faire poser des lapins : rappels automatiques par texto ou mail, relance téléphonique du secrétariat, refus de fixer des rendez-vous dans un délai supérieur à trois mois… En revanche, pour éviter aux patients les délais infinis, c'est plus compliqué. «On a suffisamment de professionnels de santé, mais il faudrait travailler à les répartir de façon plus harmonieuse, plaide Catherine Mojaïsky. C'est par exemple très compliqué de faire venir des jeunes en Seine-et-Marne, ils veulent tous aller à Paris.» Le Snof demande, lui, une augmentation du nombre d'ophtalmos formés chaque année, un développement de la coopération avec les orthoptistes ou encore la délégation de certains actes aux généralistes ou opticiens. Des changements qui peinent à se mettre en place.

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