Publicité

Pierre Moscovici ou la schizophrénie française

JACQUES DEMARTHON/AFP

FIGAROVOX/ANALYSE-Pour Vincent Trémolet de Villers, les remontrances de Pierre Moscovici au gouvernement dont il fut l'un des membres témoignent de l'incohérence de la vie politique en France.


François BOUCHON/Le Figaro

Vincent Tremolet de Villers est rédacteur en chef des pages Débats/opinions du Figaro et du FigaroVox


C'est une scène inoubliable du Gendarme se marie. Le maréchal des logis-chef Cruchot (Louis de Funès) devient par miracle le supérieur hiérarchique de l'adjudant Gerber (Michel Galabru). Il lui donne les ordres qu'il rechignait à appliquer quelques jours plus tôt. Si Pierre Moscovici, dans son interview d'hier auFigaro, ne dit pas à François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron «vous me regardez là!» en pointant deux doigts sur ses yeux, il s'autorise toutefois quelques conseils précis et circonstanciés. «Insuffisant», «sanction», «agenda législatif», les mots des mauvais carnets de notes jalonnent ses propos. Le commissaire européen est trop intelligent pour s'étonner que les Français s'interrogent devant tant de vigueur et de détermination. Comment celui qui fut pendant près de deux ans le ministre de l'Économie du gouvernement socialiste peut-il s'en prendre ainsi à ceux qui siégeaient avec lui, chaque mercredi, dans le salon Murat? La réponse est limpide: il n'y siège plus. Les contraintes du pouvoir, les perspectives électorales, les promesses insensées à tenir, la pression médiatique sont absentes de sa fonction. Il se trouve, à Bruxelles, libre comme un membre de l'opposition qui aurait l'influence que lui donne la Commission. Ce qu'il pense depuis toujours et ce qu'il est chargé de faire appliquer ne font plus qu'un quand ses anciens collègues continuent de vivre dans une schizophrénie permanente.

Ce « on ne peut rien faire » a des causes multiples. Commençons par la plus visible dans cette affaire : Bruxelles et la Commission européenne. Une partie de notre souveraineté s'y trouve là-bas en partage, et l'on comprendrait qu'un gouvernement hétérodoxe s'en plaigne mais notre ancien ministre de l'Économie (comme l'actuel et comme ceux de la mandature Sarkozy) n'y est en rien hostile. Sans pourtant en suivre les recommandations.

Le basculement de Pierre Moscovici de Paris à Bruxelles est, au fond, un apologue. Il nous fait mesurer le gouffre qui existe en politique entre les mots et les choses. Cette incohérence qui, mois après mois, dévitalise la parole publique et exige, pour celui qui voudrait autoriser les autocars à passer d'un département à l'autre, une énergie herculéenne. Elle nous entraîne au cœur du mystère de l'impuissance française.

Ce «on ne peut rien faire» a des causes multiples. Commençons par la plus visible dans cette affaire: Bruxelles et la Commission européenne. Une partie de notre souveraineté s'y trouve là-bas en partage, et l'on comprendrait qu'un gouvernement hétérodoxe s'en plaigne mais notre ancien ministre de l'Économie (comme l'actuel et comme ceux de la mandature Sarkozy) n'y est en rien hostile. Sans pourtant en suivre les recommandations.

C'est que leur légitimité leur vient de ceux qui les ont élus et qu'ils n'ont pas fait campagne sur la rigueur budgétaire et les mérites du libéralisme bruxellois. En témoigne ce constat répété depuis un an: le président de la République en limogeant Jean-Marc Ayrault et en nommant Manuel Valls a fait sa mue sociale-démocrate. Social-démocrate, François Hollande l'est et sans l'avoir jamais caché depuis 1983! Il a simplement revêtu, le temps d'une campagne, le costume du socialiste pur et dur pour entrer à l'Élysée. Ce costume, il sait qu'il ne doit pas le jeter aux orties s'il veut y rester cinq ans de plus.

Cette angoisse de la prochaine élection est alimentée minute par minute par la société de l'information continue où un sondage, un clash, un fait divers, une polémique transforme la vie politique en divertissement de masse.

Nos élus de droite comme de gauche ont appris à vivre, et même à survivre, au milieu de ces contraintes électorales et médiatiques. Avec quelques recettes: tonitruer quand on est dans l'opposition, invoquer la fragilité du lien social, le compromis quand on est au pouvoir. Il s'agit alors d'occuper l'espace par la force du verbe (Nicolas Sarkozy), par une compassion républicaine et humaniste (Jacques Chirac et François Hollande). Une obsession, une seule: ne rien sacrifier de ce qui pourrait permettre une éventuelle réélection. Une stratégie tellement visible que personne ne croit François Hollande quand il fait dépendre son avenir des résultats de sa politique.

François Bazin dans Les Ombres d'un président(Plon), le brillant essai qu'il consacre au chef de l'État, médite sur cet épuisement. L'alternance, explique-t-il, «exigeait que le nouvel élu sache lui donner un contenu autre que la répétition des formules anciennes», or, poursuit Bazin, ces «formules anciennes» sont «le seul bien commun qu'il partageait avec ses camarades». Elles ont permis à l'heureux d'élu d'atteindre le sommet. Pendant six mois, tout à l'admiration de sa performance, il a laissé filer son mandat. Les trajectoires de David Cameron et de Matteo Renzi en témoignent: c'est dans les cent premiers jours qu'il est possible d'entraîner les gens et de contraindre les choses. Après il est trop tard: on en est réduit à caboter au rythme des remontrances du commissaire Moscovici.

Pierre Moscovici ou la schizophrénie française

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner
11 commentaires
  • Teyras

    le

    Schizophrénie, oui, mais pas Française. Il ne s'agit que de celle de Pierre Moscovici et du PS.
    A mes yeux ils sont davantage hommes de parti qu' hommes d'états. En conséquence laissons la grande majorité de nos concitoyens hors du coup.

À lire aussi