« Cette année, plutôt que de publier un rapport, on a décidé de passer à l'action. » A l'occasion de la journée mondiale contre la cybercensure, le 12 mars, Reporters sans frontières (RSF) avait pris l'habitude depuis 2008 de diffuser un rapport sur « les ennemis d'Internet ». « Mais ce n'est pas ça qui va pousser la Chine à faire tomber le “great firewall”, son système de censure du Web, explique Grégoire Pouget, responsable du bureau nouveaux médias de l'ONG. On a donc décidé de le faire nous-mêmes. »
L'opération « Collateral Freedom », lancée jeudi 12 mars, consiste à rendre à nouveau accessibles neuf sites d'information censurés dans onze pays, comme la Chine, l'Iran, la Russie, la Guinée équatoriale ou encore l'Ouzbékistan. Comment ? Grâce à la mise en place de sites miroirs, c'est-à-dire des copies hébergées sur d'autres serveurs, à d'autres adresses.
Des copies « imblocables »
Ce n'est pas la première fois que RSF recourt à cette technique. En 2012, l'ONG avait déjà dupliqué des sites censurés de cette façon. Mais les miroirs avaient, pour la plupart, fini par être bloqués par les autorités. Cette fois, en revanche, RSF a renforcé ses défenses en utilisant une autre stratégie, qui rendrait les miroirs « imblocables », selon l'organisation. Un dispositif détaillé par Grégoire Pouget :
« Nos miroirs sont hébergés sur des plates-formes dont les services sont massivement utilisés par les entreprises de ces pays, comme Amazon, Google ou Microsoft. Si les autorités veulent bloquer un de nos sites hébergés par Amazon par exemple, ils devront bloquer tous les sites d'Amazon, ce qui aurait un coût économique trop important. »
Techniquement, les sites miroirs sont donc blocables, mais avec de tels dommages collatéraux que les autorités de ces pays n'oseront pas, parie l'ONG, passer à l'acte.
Cette stratégie, mise au point en 2013 par l'organisation chinoise GreatFire, s'est montrée efficace puisque les sites miroirs qu'elle a créés sont toujours accessibles après plus d'un an d'existence. Elle a depuis décidé de partager ses outils afin de permettre à d'autres, comme RSF, de s'en emparer.

Les internautes mis à contribution
Cette stratégie est-elle contournable ? Pour Grégoire Pouget, les sites miroirs pourraient être confrontés à deux types de difficultés. Les autorités des pays concernés pourraient par exemple avoir recours à des attaques de déni de service, qui consistent à multiplier les requêtes sur un site afin de le rendre inaccessible. Mais les services d'hébergement choisis par RSF sont habitués et assez résistants à ce type d'attaque. L'autre risque serait que ces pays fassent pression sur ces entreprises afin qu'elles cessent d'héberger ces sites miroirs. « C'est le pire scénario qui puisse arriver, redoute Grégoire Pouget. Mais ce ne serait pas terrible pour elles en terme d'image. »
Pour permettre aux citoyens de ces pays de connaître l'existence des miroirs, RSF encourage les internautes à partager massivement leurs adresses sur les réseaux sociaux ou par e-mail. Mais les personnes qui se connecteront à ces sites ne risquent-elles pas d'être repérées par les autorités de leur pays ?
« Comme la connexion sur ces sites se fait en “https”, le trafic est chiffré. Le fournisseur d'accès saura que l'internaute se connecte à un site de Microsoft, mais c'est tout. »
RSF appelle également les internautes qui le souhaitent à participer financièrement à l'opération, pour couvrir les frais d'hébergement des sites miroirs et allonger leur durée de vie. L'ONG espère pouvoir maintenir ces sites plusieurs mois. Et après ? « Si l'opération fonctionne, les sites disposeront des outils pour mettre en place d'autres miroirs, ils pourront trouver leurs propres financements, explique Grégoire Pouget. Nous ne sommes pas des fournisseurs de services, nous proposons des solutions. Ensuite, charge à ceux que cela intéresse de s'en emparer. »
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