Etre l'un des meilleurs connaisseurs de François Hollande n'incite pas forcément à écrire sur lui un essai à l'eau de rose. Le journaliste François Bazin appuie là où cela fait mal et son verbe est tranchant. Comme dans la pub, la première lame soulève le poil: "Au lendemain du 6 mai [2012], passé l'émotion du moment, il est resté égal à lui-même. Et c'est bien là le problème." Et la seconde le coupe: "François Hollande est un président qui voudrait ne pas l'être et qui aspire pourtant à le demeurer. S'il persiste, la logique voudrait qu'il ne le soit bientôt plus." Car Bazin ne croit pas que janvier 2015 marque un tournant du quinquennat - tout juste la gestion réussie des attentats permet-elle au chef de l'Etat de sauver sa "réputation". Son mal est plus profond, qui vient de sa conception des institutions, de l'état de la gauche, de sa personnalité. Place aux extraits.

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Chef de bureau

A force de croire que sa mission est d'abord de restaurer l'ordre ancien, François Hollande a laissé imaginer qu'il fuyait ses responsabilités. Le mur sur lequel il va se fracasser n'est plus celui de l'argent. Le monde de la finance, au fond, est "un ennemi" édenté comparé à celui des institutions. Le choc est d'autant plus rude que le nouveau président n'a pas voulu le voir. Dans le dispositif ô combien classique que François Hollande a installé, au lendemain du 6 mai, tout est faux. A commencer par l'articulation essentielle entre le président de la République et son Premier ministre. Derrière elle, c'est une conception de l'action, de l'animation gouvernementale et, au final, de la médiatisation qui, d'emblée, montre ses limites. [...]

Du chef de clan incarné, ad nauseam, par Nicolas Sarkozy, on passe ainsi au chef de bureau. François Hollande, pas plus que son prédécesseur, n'a trouvé la bonne distance. Dans un registre inversé, il s'enferme dans une pratique du pouvoir qui est d'abord celle de son tempérament. Ce faisant, il prend un risque bien plus grand que son prédécesseur, vu la nature réelle des institutions, refaçonnées par le quinquennat. Déficit de verticalité. Déficit de réactivité. Tout ce que les Français avaient deviné durant la campagne sans freiner leur désir d'alternance leur apparaît soudain, sinon comme une trahison, du moins comme une duplicité propre à conforter leurs premières déceptions. [...]

L'histoire de la courbe est d'un hollandisme chimiquement pur. C'est une manière de renvoyer à plus tard les effets attendus d'une politique qui peine à convaincre. C'est une façon aussi d'expliquer en creux que, sur le front de l'emploi, la situation continuera à se dégrader douze mois encore. En attendant, le président parie sur un retour de croissance qui, même s'il est limité, sera suffisant pour atteindre l'objectif attendu, dès lors que la démographie et les emplois aidés seront là pour faciliter le mouvement. [...] Quinze mois pour assumer entre le rapport Gallois et l'annonce du pacte de responsabilité. Trois mois ensuite pour trouver, avec Manuel Valls, le Premier ministre de cette clarification. Cinq mois encore pour reformater le gouvernement dans une cohérence assumée, avec le départ d'Arnaud Montebourg. Faites les comptes! Le changement dans le changement, sous Hollande, cela fait deux années, venant après une entame de six mois faite de tâtonnements ravageurs. Au total, la moitié du quinquennat. Le miracle, c'est que ça ait tenu aussi longtemps !

Carte d'identité

A chaque étape de sa carrière, François Hollande est un peu comme ces gauchers mal contrariés qui se soumettent aux règles mais en reviennent toujours à leurs vraies habitudes. Cette obstination est une subversion tranquille qui n'est jamais affichée au grand jour. Où qu'ils soient, à la tête du parti ou à celle du pays, les hommes de cette trempe ont une manière bien à eux de croire que, au fond, les institutions ne sont que des cadres vides qu'on peut faire mine d'accepter sans jamais vraiment les respecter tout à fait. Apparemment, ils jouent le jeu. En fait, ils poursuivent leur partie.

La partie de François Hollande, c'est "la lettre volée" d'Edgar Poe. Il l'a mise sur la table en 2012, sans insister davantage. Ce n'était pas grand-chose au regard des enjeux habituels d'une présidentielle. Ce n'était, en fait, rien de moins que sa carte d'identité. Le républicanisme hollandais est d'abord une conception de l'action politique, trop souvent étrangère à cette verticalité qui est la marque du chef et qui, sous la Ve, est l'apanage du président. De même est-elle incompatible avec ces projets de rupture, profondément ancrés dans l'imaginaire d'un certain socialisme à la française.

Ce double décalage fait toute l'étrangeté de François Hollande, si peu président, si peu conforme à l'orthodoxie de son camp, et pourtant tellement fidèle à l'Histoire, qu'il entend incarner lorsque la résistance républicaine lui a offert, lors des drames de janvier 2015, un rôle conforme à sa nature profonde. Ceux qui espèrent, depuis son élection, qu'il saura un jour se remanier lui-même, selon la formule consacrée, n'ont en fait rien compris. Ils prennent François Hollande pour un gamin qui gâche ses dons avec de sales manies. Ou pour un écolier indiscipliné qui, à force d'accumuler les retenues, finira bien par revenir dans le droit chemin. Or, à l'Elysée, précisément, seuls les bons élèves peuvent redoubler. Et puis, surtout, il est vain de croire qu'un président si original puisse tirer un trait sur ce qui constitue son projet réel et son identité véritable. Dans la manière hollandaise, tout est négociable. Sauf lui. Sauf cette boussole républicaine, dont on peut juger qu'elle est obsolète ou tout au moins inadaptée aux nouvelles règles du jeu politico-médiatique, mais à laquelle il tient d'autant plus qu'il n'en a aucune autre.

Pour lire François Hollande, de même qu'on lit dans un jeu, il faut, avec lui, faire un pas de côté et sortir d'une histoire qui n'est pas la sienne. C'est pourtant celle que lui renvoient au visage les sempiternels contempteurs de ses prétendues trahisons, et autres amateurs d'outings en tous genres. La vérité de François Hollande n'est pas du côté de Mollet, Blum ou Jaurès. Elle est quelque part du côté de ces républicains de progrès et de gouvernement, plus ou moins radicaux, qui s'appelaient Mendès ou Faure, Herriot ou Painlevé, Bourgeois ou Ferry.

En suivant cette piste, on retrouve, par morceaux, les éléments d'une culture qui peut sembler surannée ou décalée mais dont, à l'évidence, François Hollande considère qu'elle fonde l'identité politique de la gauche et, plus largement, du pays républicain. François Mitterrand, qui n'était pas loin de penser la même chose, a dit un jour, à propos de Michel Rocard, que leur vraie différence était dans leurs lectures: "Il lit Touraine et moi, Braudel." Et Chardonne aussi, mais c'est une autre histoire! Il serait étonnant que sur le chemin de la littérature, même s'il l'emprunte rarement sous sa forme romanesque, François Hollande n'ait pas croisé, un jour ou l'autre, les pas d'Albert Thibaudet. Nul mieux que ce dernier, en effet, n'a su décrire cette sensibilité radicale, cette culture radicale, ce mode de vie radical qui a innervé le corps puissant de la IIIe République, celle "des professeurs", pour reprendre le titre de son plus célèbre opus.

Président chewing-gum

Le carré, pour François Hollande, c'est la fin, donc la mort. On le dit d'ailleurs rond, et ce n'est pas par hasard. Sa manière de faire est celle de la boule rouge qui, sur le tapis vert du grand billard politique, n'avance que par la bande, en rebondissant sur les autres ou en prenant son effet dans l'entrechoquement et l'élan que celui-ci produit. Pour le dire autrement, François Hollande est un joueur qui n'aime rien tant que le contre. C'est pour cela qu'il est si souvent en retard. Son habileté est un réalisme sans fard. On attend que les autres se découvrent. On attend l'événement qui peut intervenir à tout instant. On attend d'autant plus que l'important n'est pas la partie mais le résultat final. Il ne rentre aucune esthétique dans ce jeu de patience. Seule la victoire est belle.

François Hollande, cet amoureux fou du foot, applaudit sans doute aux beaux gestes techniques. Mais, quand il s'agit de lui, il ne déteste pas faire tourner la balle, à l'arrière, comme ces équipes italiennes d'autrefois qui faisaient bâiller le public et endormaient leurs adversaires avant de marquer un seul but. Dans les arrêts de jeu! Jouer sans le ballon et gagner quand même : n'est-ce pas la métaphore possible de tout le quinquennat dans l'attente du rendezvous de 2017?

François Hollande, là encore, reste l'anti-Sarkozy. Ce dernier fonçait tout schuss. Lui avance en zigzag. Le philosophe allemand Peter Sloterdijk a expliqué que, en cela - comme d'ailleurs Angela Merkel -, il était un dirigeant politique "gris", et donc pleinement de son temps, puisque "nous sommes entrés dans l'âge du contournement des obstacles, alors que dans la démocratie classique la politique était l'art de les dominer". [...]

Combien de fois ses proches, depuis 2012, ne lui ont-ils pas conseillé de tenir, devant la nation, ce grand discours qui sache rassurer et entraîner des Français trop dépressifs pour qu'on ne leur impose pas, de surcroît, la potion émolliente du doute? "La boîte à outils, c'est moi. Le grand architecte, ça doit être toi", lui répétait sans cesse Jean- Marc Ayrault. En vain. Les mots de François Hollande peuvent être de compassion et ses gestes, de rassemblement. Mais jamais il ne semble pouvoir globaliser son propos avec une force qui donnerait à l'un de ses discours, en tant que président, un caractère fondateur. Car, pour François Hollande, l'enchaînement des "instants" est précisément ce qui donne de la souplesse à cette chaîne de contraintes qu'est le quotidien du monarque. Lorsqu'il était premier secrétaire et qu'il se sentait pris à la gorge par la conjonction de forces hostiles, il avait coutume de dire que la seule façon de sauver sa peau était de dilater le temps pour empêcher la cristallisation. Dans la course qu'on voulait lui imposer, il cherchait avant tout à espacer les haies, avec l'espoir de reprendre son souffle entre chacune d'entre elles.

A l'Elysée, François Hollande ne procède guère différemment. Au lendemain de l'affaire Cahuzac, alors que la Manif pour tous tenait le haut du pavé et que Jean-Luc Mélenchon rêvait d'un nouveau mois de mai dans la rue, il a mobilisé tout son talent manoeuvrier pour éviter une conjonction dont il devinait, mieux que quiconque, le caractère assassin. C'est à cette occasion, une fois le danger passé, qu'il a ressorti, d'un air ravi, ce mot qui résume sa méthode: "Il fallait chewing- gumer tout ça. Je l'ai fait!" La politique, pour François Hollande, c'est l'art de gérer le temps en lui imposant le rythme qui permet la décantation et évite la rupture. François Mitterrand, qui lisait Retz, disait qu'il fallait "donner du temps au temps". François Hollande, qui chérit Léo Ferré, estime qu'"avec le temps, va, tout s'en va. [...] C'est pas la peine d'aller chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien".

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