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Mines et métaux

L’ombre des essais nucléaires plane sur la contestation du gaz de schiste en Algérie

A In Salah, dix jours après les affrontements, le calme est revenu, mais la mobilisation contre le gaz de schiste se poursuit. La mobilisation est alimentée par le traumatisme des essais nucléaires français effectués naguère dans le Sahara. Ils ont laissé dans la région des séquelles sanitaires et environnementales durables.

- Alger, correspondance

Plus de dix jours après les affrontements du samedi 28 février et dimanche 1er mars, les informations qui parviennent d’In Salah confirment à la fois le retour au calme et la poursuite du mouvement de contestation contre l’utilisation de la fracturation hydraulique.

Le 4 mars, un communiqué du ministère de la Défense nationale a annoncé que le Commandant de la 6e région militaire (Tamanrasset) s’est réuni à In Salah avec « les représentants de la société civile parmi les citoyens et les notables de la région » et leur a demandé « d’éviter toute forme de provocation ou d’affrontement avec les forces de maintien de l’ordre, de lever le sit-in pacifiquement et de laisser place au retour à la vie normale et ne pas entraver les activités quotidiennes de la population ».

Le Secrétaire adjoint américain au Commerce pour l’Industrie et l’analyse, Marcus D. Jadotte, qui était à Alger le 9 mars, a plaidé pour le gaz de schiste et a proposé l’expertise et la technologie des entreprises américaines pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels en Algérie.

Mais visiblement ouverts au compromis qui conduirait à une solution consensuelle, mais toujours intraitables sur le refus de la fracturation hydraulique, les habitants d’In Salah ont maintenu leur dispositif de contestation sur la Place Somoud (Résistance). La journée du 8 mars a été l’occasion pour les femmes d’In Salah, présentes dans les actions de contestation depuis le début, de montrer une nouvelle fois leur mobilisation et l’enracinement en profondeur de ce mouvement.

On parle d’une « grande manifestation » samedi 14 mars à Ouargla organisée par le Comité populaire contre le gaz de schiste avec la participation de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) et d’autres acteurs politiques. A In Salah, le mouvement de contestation tient à son caractère « sans parti » et à sa forme pacifique.

L’ombre des essais nucléaires français

Le mouvement de contestation engagé par la population d’In Salah contre l’exploration du gaz de schiste n’est pas un combat écologique classique, il est inspiré par une terrible frayeur face à l’impact redouté de la fracturation hydraulique sur la ressource en eau et l’environnement, donc sur la population.

La référence aux essais nucléaires français effectués dans les années soixante dans la région procède d’un réflexe automatique. En décembre 2012, quand Laurent Fabius avait révélé que des sociétés françaises allaient exploiter le gaz de schiste en Algérie, c’est à ce précédent que les Algériens ont pensé, car il s’agissait cette fois aussi, ont-ils compris, d’essais pour trouver une méthode qui se substituerait à la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste.

A l’échelle du Sahara, les distances ne sont pas appréciées de la même manière qu’au nord du pays ; Reggane ou In Ekker, sites des essais nucléaires français, ne sont pas loin d’In Salah, où se trouvent les premiers puits d’exploration du gaz de schiste.

Les deux événements séparés par plus d’une cinquantaine d’années d’intervalle, paraissent également tout proches dans le temps jusqu’à se superposer dans l’esprit des gens d’In Salah.

Depuis quelques années, chaque mois de février, l’actualité en Algérie cède un espace aux explosions et expérimentations nucléaires effectuées par la France dans le Sahara algérien, sous domination coloniale, et inévitablement le débat porte sur leurs conséquences sur la population et sur l’environnement, toujours visibles. Les Algériens ont fini par prendre toute la mesure de cette catastrophe.

Conséquences encore présentes

L’an dernier, le débat a même été alimenté, en partie, par les informations que le quotidien Le Parisien a révélées en commentant une carte déclassifiée qui montre que les retombées radioactives ont été bien au-delà du désert où a eu lieu l’explosion de la bombe atomique, le 13 février 1960.

A certains endroits, a-t-on ainsi appris, les normes de sécurité ont été largement dépassées ; à Arak, près de Tamanrasset, l’eau a été fortement contaminée ; certains radioéléments éjectés par les explosions aériennes, tel l’iode 131 ou le césium 137, qui ont pu être inhalés par les populations, sont à l’origine de cancers ou de maladies cardio-vasculaires.

Un reportage diffusé, en février 2014, par la chaîne publique de la télévision algérienne, a montré des images insoutenables et rapporté des témoignages bouleversants de gens pauvres, handicapés et cobayes à vie d’expériences qui ne sont, dans leurs effets, pas terminées.

Les spécialistes algériens présents sur le plateau pour le débat qui a suivi le reportage, ont dressé un acte d’accusation contre ce qu’ils ont qualifié de « crime d’Etat, permanent », puisque ses effets se font encore sentir et continueront de se produire dans les années à venir.

L’indignation est d’autant plus vive que les archives françaises qui permettent de savoir ce qui s’est passé - combien d’explosions, où exactement, qui a été utilisé comme cobayes, où sont enfouis les déchets,… ? - restent inaccessibles.

En octobre 2013, un professeur français, spécialiste en médecine nucléaire et biophysique, le Pr Abraham Béhar, s’appuyant sur les différentes études réalisées sur le terrain a indiqué que les effets « sont à ce jour apparents sur la santé humaine et l’environnement », ajoutant que la population de la région souffre du cancer, notamment du sein chez les jeunes.

Selon l’APS qui avait rapporté cette information, M. Béhar estime que la population du sud algérien est plus exposée au risque des maladies graves que celle des autres régions, en raison des poussières radioactives « toujours répandues dans les eaux souterraines et la flore », ce qui représente un danger pour la santé humaine et animale.

Et voila que les Français reviennent, dans la même région, pour des essais sur le gaz de schiste ! Les sociétés françaises ont besoin de mettre au point une nouvelle technique pour ne pas avoir à utiliser la fracturation hydraulique interdite par la France sur son territoire. Ce sentiment a été quasi unanime chez les Algériens et la population d’In Salah a été convaincue que c’est ce scénario qui a commencé à se dérouler dans son voisinage.

L’absence de sociétés françaises sur le site, notamment Total, n’a rien changé à son opposition à la fracturation hydraulique même si c’est une société américaine, Haliburton, qui a été choisie pour le faire.

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