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« Bibi » ou « Bouji » : les électeurs israéliens appelés aux urnes

En trois mois de campagne, la possibilité d’une alternance conduite par Isaac Herzog s’est imposée.

Par  (Jérusalem, correspondant)

Publié le 16 mars 2015 à 17h24, modifié le 19 août 2019 à 13h08

Temps de Lecture 7 min.

A Tel-Aviv, le 15 mars.

Les élections législatives du 17 mars en Israël ont un écho mondial, en raison de ses implications éventuelles au Moyen-Orient. Une défaite de la droite, veulent croire les partisans de la paix avec les Palestiniens, offrirait enfin un filet d’espoir pour relancer les négociations. En Israël même, malgré les enjeux, la campagne a été marquée par un manque d’enthousiasme évident. Au total, 5 881 696 électeurs sont invités à désigner leurs futurs 120 députés à la Knesset. Il s’agit d’un scrutin national direct, à la proportionnelle, où les électeurs votent en faveur d’un parti, et non d’un candidat au poste de premier ministre, comme ce fut le cas à deux reprises, en 1996 et 1999.

 

Suivre la journée de scrutin sur le compte Twitter de notre correspondant :

 

Le 8 décembre, la 19e Knesset a voté sa dissolution et convoqué des élections législatives anticipées. Ce scrutin, que personne ne souhaitait réellement, à peine vingt-deux mois après le précédent, a été rendu nécessaire, selon le premier ministre Benyamin Nétanyahou, par la paralysie du gouvernement. Son absence de cohésion idéologique serait devenue ingérable. Elle est apparue au grand jour en novembre 2014 lors des débats sur un projet de loi controversé, définissant Israël comme un Etat juif. Deux ministres centristes, Yaïr Lapid et Tzipi Livni, se sont opposés à ce texte, lourd de menaces selon eux pour la démocratie israélienne. Ils ont été renvoyés par M. Nétanyahou.

 

Nétanyahou face au vent du changement

En trois mois de campagne, la possibilité d’une alternance s’est imposée, et c’est déjà en soi une grave défaite pour le premier ministre. Malgré la domination idéologique de la droite dans le débat public, l’Union sioniste a réussi à se maintenir, sans varier, aux environs de 24 sièges dans les sondages. Son chef de file, Isaac Herzog, dit « Bouji » (contraction de buba, « jouet » en hébreu, et de « joujou » ; le surnom lui a été donné par sa mère francophone), s’est allié avec Tzipi Livni, ministre de la justice de M. Nétanyahou et responsable des négociations avec l’Autorité palestinienne il y a encore quelques mois. Longtemps au coude-à-coude, le Likoud, la formation du premier ministre, a chuté dans la dernière phase de la campagne. En interne, la crainte d’un résultat historiquement bas, sous les 20 sièges, s’exprime micros éteints.

Benyamin Nétanyahou livre un combat très difficile, non seulement contre le centre gauche mais contre lui-même, et l’usure du temps. Il n’a formulé aucune proposition, aucune idée nouvelle pendant la campagne, se contentant de prétendre au titre de garant unique de la sécurité nationale. Il accuse également la gauche d’être financée par l’étranger. Ce qui ne manque pas de sel, connaissant sa propre proximité avec le milliardaire Sheldon Adelson, magnat des casinos aux Etats-Unis, qui a créé un quotidien gratuit, Israel Hayom, entièrement dédié à sa cause. Comme à son habitude, le chef du gouvernement a utilisé l’instrument de la peur pour dissuader les électeurs de voter pour l’opposition. Il a aussi fait des appels du pied de dernière minute à la droite nationaliste et ultra-orthodoxe, comme le prouve sa participation au rassemblement de dimanche à Tel-Aviv. Il y a écarté tout retrait ou concession au profit des Palestiniens.

Benyamin Nétanyahou, le 16 mars à Har Homa, un quartier au sud-est de Jérusalem.

Cet extrait d’un post publié le 13 mars sur sa page Facebook donne une idée de la tonalité de ses discours. « Ces organisations étrangères comprennent que la seule chose empêchant un retrait aux frontières de 1967, la division de Jérusalem, l’établissement d’un “Hamastan B” [néologisme péjoratif désignant un Etat dirigé par le Hamas] sur les collines au-dessus de Tel-Aviv, de l’aéroport Ben-Gourion et de l’ensemble d’Israël, et l’acception d’un Iran nucléaire, c’est un gouvernement Likoud. » Mais ce chantage à la sécurité nationale ne semble plus fonctionner auprès d’une majorité d’électeurs. Une forme de lassitude s’est installée à l’égard de « Bibi », qui brigue un troisième mandat consécutif, un 4e après celui de 1996-1999.

Un scrutin très incertain

Depuis vingt ans, à chaque élection, un parti a causé une surprise retentissante dans les urnes. En 2013, la nouvelle formation centriste Yesh Atid avait recueilli 19 sièges, en réussissant à incarner les espoirs du mouvement social de l’été 2011 contre la vie chère. Dirigée par Yaïr Lapid, elle a beaucoup souffert, en termes d’image, de son passage au gouvernement pendant vingt-deux mois. M. Lapid s’est battu en vain pour faire passer la TVA à 0 % lors de l’acquisition d’un premier logement. Mais les observateurs s’accordent à reconnaître la qualité de sa campagne de terrain, concentrée sur les questions socio-économiques.

L’autre force qui devrait peser est la Liste unie des partis arabes. Pour la première fois de l’histoire, ces formations ont surmonté leurs ambitions et leurs divergences idéologiques. C’est la peur de ne pas franchir la nouvelle barre de 3,25 %, indispensable pour entrer à la Knesset, qui les a motivés. En cas de forte mobilisation chez les Arabes israéliens (20 % de la population), ils pourraient atteindre jusqu’à 14 sièges, selon les sondages. M. Nétanyahou a beaucoup insisté, au cours de la campagne, sur cette menace, comme si les Arabes israéliens n’étaient pas tout à fait des citoyens à part entière mais une « cinquième colonne ». La Liste unie ne s’est pas focalisée sur le conflit israélo-palestinien, préférant parler de la lutte pour les droits égaux, entre juifs et arabes, à l’intérieur d’Israël. Elle refuse d’envisager sa participation à un gouvernement de centre gauche, pour ne pas être contrainte de cautionner la poursuite de l’occupation en Cisjordanie, voire une nouvelle guerre dans la bande de Gaza. Mais ses députés voteraient en faveur d’un gouvernement alternatif à celui de la droite.

Ayman Odeh, chef de file de la Liste unie des partis arabes, le 13 mars à Acre.

La surprise pourrait aussi surgir par le bas. Deux partis, Israël Beiteinou, du ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman, et Meretz (gauche), flirtent avec la barre des 3,25 %. M. Lieberman a axé sa campagne sur son plan de résolution du conflit israélo-palestinien, consistant en un échange de territoires et de populations. Cette stratégie, aggravée par un scandale majeur de corruption, n’a guère fonctionné. Quant à Meretz, il est victime à la fois de la quasi-disparition du « camp de la paix », provoquée par la lassitude de négociations stériles avec les Palestiniens, et du réalisme de nombreux électeurs. Mus par le rejet de Nétanyahou, ils cherchent l’efficacité en votant, sans enthousiasme, pour le duo Herzog-Livni, à la tête de l’Union sioniste. L’échec de ces deux petites formations aurait une signification importante dans l’arithmétique des alliances. De même que le score des partis briguant les voix des religieux.

L’incertitude demeure aussi au sujet de l’affaiblissement annoncé du Likoud. Au cours des derniers jours de campagne, le premier ministre a insisté sur la nécessité du vote utile pour empêcher un retour de la gauche au pouvoir. Sera-t-il entendu ? Si la formation du premier ministre tombait sous les 20 sièges, comment s’organiserait le report des voix ? Les petites formations ultra-orthodoxes et le Foyer juif de Naftali Bennett espèrent attirer son aile radicale. Au contraire, les déçus plus modérés du Likoud pourraient être séduits par une nouvelle formation, Koulanou, lancée par un ancien ministre de M.Nétanyahou, Moshe Kahlon. Celui qui fut ministre des télécommunications avait conduit la libéralisation du secteur de la téléphonie mobile. Dans un pays où le coût de la vie est un sujet majeur, l’argument compte. Dès à présent, M. Nétanyahou promet le poste de ministre des finances à celui qu’il avait chassé du Likoud.

Le jour d’après

Les sondages de sortie des urnes donneront les grandes tendances dès 22 heures, mardi 17 mars. Les calculatrices chaufferont à cet instant. On entrera dans la phase traditionnelle des négociations, en vue de former une nouvelle majorité. Il faudra réunir 61 sièges sur 120. L’affaire est extrêmement complexe, en raison de l’affaiblissement continu depuis trente ans des deux piliers historiques de la politique israélienne, les travaillistes et le Likoud. Les autres formations profitent de cette phase pour monnayer chèrement leur soutien, en obtenant des portefeuilles ministériels, des postes-clés dans les cabinets et les administrations. Le parti arrivé en tête ne parvient pas toujours à mener cette opération à bien. En 2009, le parti centriste Kadima, dirigé par Tzipi Livni, avait un siège d’avance sur le Likoud. C’est ce dernier qui est parvenu à constituer une majorité.

Isaac Herzog, le 15 mars à Tel-Aviv.

L’émiettement du champ politique, avec l’apparition de formations servant de véhicule politique à leur chef de file, comme Koulanou pour Moshe Kahlon, oblige tout candidat au poste de premier ministre à des contorsions. En 2013, Benyamin Nétanyahou a dû réunir autour de la même table l’extrême droite et les centristes de Yesh Atid, qui avaient obtenu la non-inclusion des ultra-orthodoxes. Si Isaac Herzog était chargé par le président de former une majorité, il se trouverait face à un casse-tête semblable.

Le président Reuven Rivlin commencera formellement les consultations après la publication des résultats officiels par la Commission électorale centrale, le 25 mars. Il doit charger la tête de liste ayant le plus de chances de réunir 61 voix de s’atteler à la tâche, pour laquelle elle disposera d’un délai maximum de quarante-deux jours. Ses rapports exécrables avec Benyamin Nétanyahou, qui a voulu l’empêcher d’accéder à la présidence, sont à prendre en compte. Déjà, un désaccord se profile entre les deux hommes, sur l’hypothèse d’un gouvernement d’union nationale. « Le président ne peut pas demander et ne demandera pas la formation d’un gouvernement d’unité, et je compte sur lui pour agir en vertu de ses prérogatives », a souligné M. Nétanyahou dans un entretien radiophonique.

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