Ayrault : "On passe du trop-plein au trop-vide, c’est brutal"

Le choix était risqué et le film est très réussi. Elise Ayrault a choisi de rendre un joli hommage à son père en le filmant et en lui permettant de revenir sur les deux années qu’il a passées à Matignon entre mai 2012 et mars 2014. Le documentaire s'intitule Mon père ce Ayrault et sera diffusé en avril sur France 3.

La fille filmait déjà son père lorsqu'il était en activité et cela donne quelques très bonnes scènes : une partie de foot dans les jardins, ses adieux à son équipe, sa dernière soirée à Matignon ou, juste avant, le moment où il écoute François Hollande annoncer qu’il vient de nommer Manuel Valls pour former un "gouvernement de combat". "La formule ne m’a pas plu, ça voulait dire qu’on faisait quoi avant?" se plaint Jean-Marc Ayrault.

"Est-ce que tu veux que j’envoie ma démission tout de suite?"

Elise Ayrault est allé interviewer François Hollande. Regarder le Président et son ancien Premier ministre raconter leurs versions des choses est un exercice très éloquent. Ayrault est plus libre, plus sincère qu’Hollande. Nettement.

L’ancien Premier Ministre raconte son dernier rendez-vous avec le Président. Le lendemain de la défaite municipale. "Il est devant moi, sans note. Il me dit : 'Le coup est rude, plus que je ne l’avais imaginé, il faut tout changer.'" Lui dit-il qu’il le démissionne? "Il ne me le dit pas clairement." Ayrault continue : "Est-ce que tu veux que j’envoie ma démission tout de suite? Il me dit 'Non et tu n’en parles à personne'. On s’est quitté de manière assez froide". Hollande, qui avait déjà choisi Valls, raconte une version qu’il veut plus chaleureuse : "C'était dur de nous séparer, nous étions comme un couple politique. C’était une décision déchirante pour moi et bien sûr pour Jean-Marc Ayrault". "C’est un choc", avoue, lui, Ayrault.

Il nettoie son camping-car

La passation de pouvoir avec Valls? "J’ai eu l’impression qu’on avait changé de majorité", dit Ayrault. A propos de son successeur, il confie juste "entre nous deux, il n’y a jamais eu de heurt, de relation particulièrement agressive". L’ex-Premier ministre ajoute : "Je pense qu’il y a eu un accord politique 'Montebourg soutenant Valls et Hamon soutenant Valls ' pour prendre le pouvoir (…) Est-ce que le président de la République a accepté de nommer Manuel Valls en sachant ça? C’est un peu un mystère", puis "cet attelage n’a pas tenu. Tout ça ne grandit pas la politique".

Après deux années très remplies, au cœur du pouvoir, Ayrault "tombe de haut". Il redevient simple député de Loire-Atlantique, apprend à cultiver son jardin, nettoie son camping-car et avoue : "Du trop-plein on passe au trop-vide, c’est brutal." François Hollande confie à la fille de Jean-Marc Ayrault : "Il me manque parce que j’ai été très longtemps à côté de lui ou lui à côté de moi". 

(France 3)

Avec le temps, et l’éloignement, Ayrault est plus lucide sur Hollande. On le voit s’emporter contre la réforme territoriale, le soir où le Président voulait marier les Pays de Loire et Poitou-Charentes. La fille filme son père répondant au coup de fil du chef de l’Etat lui disant : "Vous allez dans le mur, je vais m’exprimer, je ne comprends pas cette façon de faire."

Des révélations sur Florange

Mon père ce Ayrault est un film tendre, attachant. Et très intéressant politiquement. Il contient quelques révélations sur l’affaire Florange. Ayrault explique qu'"il y a eu un problème dans cette affaire. Au début le dossier a échappé à Matignon, il était géré par le cabinet du président de la République, par Emmanuel Macron et Arnaud Montebourg en dehors de Matignon. Quand ça a été compliqué, c’est revenu à Matignon et c’est moi qui ai pris le dossier". Puis "Arnaud Montebourg avait tellement fait croire que la nationalisation était une option prise au sérieux par l’Etat que (les ouvriers) y ont cru. Mais en réalité ce n’était pas le cas. C’est assez triste d’avoir procédé ainsi".

Hollande désavoue Montebourg. Le ministre du redressement productif est au bord de la démission. Hollande demande à Ayrault de l’appeler pour le convaincre de rester. Ayrault obéit. Montebourg l’insulte . Et reste.

"Je regrette d’avoir accepté ce que le Président m’a demandé. J’aurais dû laisser Arnaud Montebourg prendre ses responsabilités, on aurait bien vu", se plaint Ayrault. Hollande, qui a demandé un an et demi plus tard à Montebourg de quitter le gouvernement, revient sur cet épisode et avoue : "Arnaud Montebourg a été proche de la démission pour ce qui le concerne et proche d’être démissionné pour ce qui me concerne ou concerne Jean-Marc Ayrault parce qu’il y avait eu une vraie différence d’approche et, sur le plan des comportements, sûrement déjà des leçons à tirer". Mais la gauche venait de revenir au pouvoir. C’était trop tôt. Et puis on ne réécrit jamais l’histoire. On peut juste y glaner des enseignements. Comme la faiblesse de François Hollande face aux anciens candidats aux primaires. Ce qui fait dire à Jean-Marc Ayrault : "Les primaires, c’est la meilleure des choses, mais si on ne clarifie pas les choses, ça peut être la pire des choses". Jean-Marc Ayrault n’a pas tout dit à sa fille. Pendant leurs deux années à Matignon, Jean-Marc et Brigitte Ayrault remplissaient des petits carnets. La famille Ayrault a encore beaucoup de secrets à dévoiler. 

Source: leJDD.fr