
L’un des centres névralgiques de l’économie soudanaise est un hangar banal niché dans la zone industrielle de Khartoum. Hussein Hassan Ilfadal est le maître de ce lieu qui abrite la troisième raffinerie d’or d’Afrique. Ce quinquagénaire austère qui génère des millions de dollars n’a pas les manières d’un homme d’affaires mais plutôt la méfiance d’un fonctionnaire soudanais qui dirige avec autorité cette entreprise publique inaugurée en 2012 par le président Omar Al-Bachir.
Des camions poussiéreux, venus parfois des zones de conflit du Darfour, du Kordofan du sud, où la ruée vers l’or attise la guerre, déchargent là le minerai. La plus grande partie de la production d’or est artisanale, exhumée par des orpailleurs dépourvus de moyens. M. Ilfadal n’en a cure. Avec ses 52 employés, ses machines à rayon X et de séparation magnétique dernier cri, il s'enorgueillit d’avoir contribué à porter la production du Soudan à 60 tonnes d’or en 2014, contre 34 tonnes l’année précédente. Les lingots qui sortent de ce hangar sont ensuite exportés en grande partie aux Emirats Arabes Unis.
Le capital de cette « cash machine » d’Etat est détenu à 70 % par la Banque centrale, le reste étant réparti à parts égales entre les ministères des finances et celui des mines. « L’or est notre nouveau pétrole, claironne M. Ilfadal, en reprenant la rhétorique officielle qui raisonne dans la raffinerie. Il caresse un lingot d’or : cette nouvelle industrie génère des devises et contribue à la relance économique ».
Selon le gouvernement, près d’un million de personnes travaillent dans ce secteur encore anarchique, qui a pour vocation de remplacer le secteur pétrolier. La scission du Soudan du Sud, devenu indépendant en 2011, a mis brutalement un terme à une décennie de croissance économique du Soudan portée par la production de 500 000 barils/jour. Le pétrole a représenté 92 % des recettes d’exportation et le tiers des revenus d’un Etat qui pouvait ainsi s’affranchir des sanctions économiques commerciales américaines décrétées en 1997. A la création du 54e Etat d’Afrique, Khartoum s’est vue privé de ses pétrodollars.
La quête de devises
Depuis, la croissance proche de 10 % par an s’est muée en une récession (-3,3 %) en 2012. La détérioration de la situation économique s’est traduite par une pénurie de devises conjuguée à une inflation galopante et incontrôlable (plus de 45 % en 2013, selon la Banque centrale). De quoi provoquer des mouvements sociaux et des drames, comme en septembre 2013 lorsque près de 185 manifestants contre la hausse des prix et la levée des subventions sur les carburants ont été abattus par les forces de l’ordre à Khartoum. Sur les marchés, comme à Souk Libya, l’un des plus vastes du continent, la hausse des prix est sur toutes les lèvres.
Aujourd’hui, sur le marché noir de la devise, les cours s’envolent (plus de 9 livres soudanaises pour un dollars, contre un cours officiel fixé à 5?7). Et qu’importe si la Banque centrale a mis en garde les agents de change illégaux, les banques sont vidées de leurs dollars. Depuis février, les expatriés et les Soudanais ne peuvent plus retirer de dollars au guichet de leurs banques. « Une astuce [pour contourner cette mesure drastique] consiste à faire des transferts à des sociétés consentantes qui vous délivrent des dollars en cash », explique un expatrié à Khartoum.
Le secteur bancaire soudanais est exsangue ou presque. Les pertes causées par l’embargo américain entre 1997 et 2014 sont estimées à près de 9 milliards de dollars, selon le gouvernement. Exclu des circuits financiers internationaux, Khartoum est contraint de se tourner vers des intermédiaires ou d'œuvrer sur le marché noir de la finance. « Pour les sociétés étrangères, le problème n’est pas de faire du profit au Soudan, mais de sortir ces profits [du pays], et cela peut être un casse-tête décourageant », confie un homme d’affaires.
L’or ou l’espoir d’un renouveau économique
Pour remplacer le pétrole, le gouvernement a misé entre autres sur l’industrie aurifère qui représente désormais plus de 70 % des exportations contre 10 % avant 2011. « L’or a presque compensé les pertes des revenus du pétrole et a rapporté deux milliards de dollars en 2014, ce qui nous permet de rapatrier des devises », souligne le ministre des finances, Magdi Hassan Yassin depuis son bureau qui surplombe la ville.
Le minerai cristallise l’espoir d’un renouveau économique. « Notre priorité, pour augmenter notre réserve de devises et relancer l’économie, est d’augmenter nos exportations d’or, mais aussi de sucre, de gomme arabique, et moderniser notre agriculture pour ainsi accroître notre productivité de blé et de coton notamment, sans oublier l’élevage », ajoute le ministre.
Telles sont les principales mesures du plan quinquennal de relance économique présenté en ces temps de campagne électorale sans suspense tant Omar Al-Bachir paraît assuré d’un second mandat. Objectif : 7 % de croissance, moins de 10 % d’inflation en 2019 tout en relevant le défi d’attirer des devises.
Khartoum compte s’appuyer sur les institutions financières arabes, son partenaire chinois et, dans une moindre mesure, sur la Banque africaine de développement. Toutefois, l’instabilité économique continue d’inquiéter dans un pays où près de la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté. « La principale menace du Soudan est d’ordre économique », a ainsi déclaré au « Monde » Omar Al-Bachir, lors d’un entretien réalisé à Khartoum fin février.
Dans sa raffinerie de la zone industrielle de Khartoum, Hussein Hassan Ilfadal est certain d’être l’un des acteurs clés de la relance économique du pays. « L’or sauvera et développera le Soudan », veut-il croire.
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