
« A partir du mois prochain, Politico aura, dans les deux centres de décision politique et réglementaire du monde – Washington et Bruxelles –, plus de journalistes qu’aucune autre publication. » Le site d’information américain a montré ses muscles, dans le communiqué qui a annoncé, mardi 17 mars, le lancement de sa version européenne, le 21 avril. Il devrait effectivement avoir une rédaction égale ou supérieure à celle de ses concurrents, médias spécialisés ou grands journaux généralistes.
Lancé en 2007 aux Etats-Unis, Politico revendique aujourd’hui 300 journalistes et s’est imposé comme une source incontournable pour ceux qui veulent suivre de près les réformes en cours et les coulisses de la politique sous la présidence Obama.
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Le site explique vouloir décliner ce modèle en Europe, avec une équipe de 40 à 50 personnes, dont toutes ne seront toutefois pas installées à Bruxelles, certains étant correspondants dans les grandes capitales européennes (Paris, Londres, Berlin…) Son adresse Internet sera Politico.eu.
Une équipe puissante
Dans son communiqué, Politico détaille les noms de onze rédacteurs recrutés à Bruxelles : parmi ces personnes, un ancien correspondant en Pologne de l’hebdomadaire économique britannique The Economist, une journaliste américaine du quotidien tabloïd New York Post, une pigiste berlinoise du Wall Street Journal ou du New York Times… Il y aura aussi des journalistes de European Voice, une agence spécialisée acquise par Politico. L’équipe va être dirigée par Matthew Kaminski, un ancien du Wall Street Journal.
Un autre nom est largement mis en avant par Politico : celui de Ryan Heath, qui aura la lourde tâche de produire l’équivalent bruxellois de « Playbook », la lettre matinale sur les coulisses de la politique américaine, lue par tous les décideurs de Washington et rédigée par la star Mike Allen.
Ryan Heath a un profil « d’insider » absolu puisqu’il a travaillé pour la Commission européenne sous la présidence de José Manuel Barroso et été porte-parole de la commissaire Nellie Kroes. Transfuge de la politique et de la technocratie, il devra faire preuve de son indépendance et éviter le soupçon de conflits d’intérêts.
Entre généralistes et médias spécialisés
Face à cette équipe généreuse, le quotidien économique britannique Financial Times, considéré comme une référence sur les affaires européennes, ne dispose pour l’heure que de cinq personnes à Bruxelles (plus deux basés à Londres mais dédiés à l’Europe). Il envisage de recruter une personne pour renforcer son suivi des questions de concurrence économique. Le Monde a lui deux personnes sur place.
L’irruption de Politico sur la scène européenne souligne les concurrences nouvelles auxquelles les grands médias généralistes sont confrontés : challengés sur Internet par des sites très grand public comme le Huffington Post, ils font aussi parfois face à des publications spécialisées. Politico a ainsi une partie accessible à tous, gratuitement, outre ses lettres payantes sur des thèmes comme l’énergie.
L’agence de presse française AFP a une rédaction importante à Bruxelles, avec vingt personnes dont dix-huit journalistes (rédacteurs et autres métiers), mais elle a une couverture moins spécialisée que celle prévue par Politico.
Du côté des médias spécialisés, le site américain devra compter avec l’Agence Europe, qui est parfois décrite comme le « journal officiel » des institutions européennes. Treize journalistes travaillent pour le site de cette publication quotidienne. Plus modeste, Europolitics se définit comme « le numéro un de l’information européenne indépendante » et a bonne réputation. Créé en 1972, le service a connu divers rachats et édite désormais un quotidien, un service Web et un magazine trimestriel, et propose, comme Politico, du contenu premium payant.
L’agence Euractiv, dédiée à l’actualité européenne, revendique elle 12 rédacteurs à Bruxelles et 40 employés au total, dans 12 pays. Contexte, un pure player français qui se qualifie de « journal des politiques publiques françaises et européennes », a lui deux rédacteurs à Bruxelles et il en recrute actuellement deux autres.
Un modèle économique pluriel
Pour Politico, tout l’enjeu sera de réussir à transformer ces moyens pléthoriques en succès économique. Pour son aventure européenne, la publication a créé une joint-venture avec un partenaire puissant, le groupe de presse allemand Axel Springer.
Politico ne publie pas ses chiffres mais le site serait rentable aux Etats-Unis. Une grosse part des revenus provient de la vente, pour plusieurs milliers d’euros par an, de ses lettres thématiques ; 80 des 300 journalistes américains de Politico sont chargés de les produire. Le reste provient de la publicité qui est insérée dans les newsletters, mais aussi dans les publications papier distribuées gratuitement sur les lieux de pouvoir. Sur ce modèle, 30 000 exemplaires seront ainsi imprimés quotidiennement en Europe, à Bruxelles et dans les capitales. Aux Etats-Unis, ces supports sont truffés de réclames pour des industries ou des lobbies. Enfin, Politico organise des conférences et des événements.
Pour sa fête de lancement à Bruxelles, le 23 avril, le site américain a annoncé la présence du président du Conseil européen, Donald Tusk, du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stollenberg, ou encore du commissaire européen chargé du marché numérique unique, Andrus Ansip. Mais aussi de « quelques chefs de gouvernement ». A confirmer.
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