Les tutelles de Radio France n’ont pas tardé à réagir, deux jours après les révélations sur les frais de rénovation du bureau de Mathieu Gallet. Selon les informations du Monde, une enquête a été diligentée, jeudi 19 mars, par les ministères de la culture et des finances pour vérifier les dépenses de la présidence, de la direction générale et du comité directeur de Radio France. La mission doit rendre ses conclusions dans une quinzaine de jours. Son périmètre d’étude sera notamment les frais de réception, les voitures de fonction et les frais de mission.
Mardi soir, Le Canard enchaîné avait révélé que 105 000 euros avaient été dépensés en frais de rénovation du bureau du PDG. La direction avait expliqué que 70 % de ce budget correspondait à des frais de rénovation de boiseries en palissandre, une essence rare, ce qui s’apparente à de l’entretien de patrimoine, et que ces travaux avaient été décidés avant l’arrivée de M. Gallet. Néanmoins, ces révélations ont profondément marqué l’entreprise, confrontée à des exigences d’économies. Cinq syndicats ont engagé une grève illimitée, jeudi.
Jeudi, dans les couloirs de Radio France, on évoquait aussi cette Peugeot 508 choisie pour remplacer la Citroën C6 de Jean-Luc Hees, dont M. Gallet souhaitait changer la sellerie. La direction de l’entreprise dément que le nouveau PDG ait demandé ce changement de sièges et explique que le renouvellement du véhicule était logique, le précédent comptant 125 000 km au compteur pour une valeur Argus tombée à 6 000 euros.
« Problème de légitimité »
À la Maison ronde – le siège de Radio France à Paris –, ces différents éléments ont nourri l’ironie et, parfois, la colère des personnels. Surtout, pour les syndicats, ils constituent une arme majeure alors qu’une grève potentiellement longue a commencé.
Lors d’une assemblée générale jeudi matin, le comportement de M. Gallet a fait partie des sujets de discussion. « Il y a désormais un problème de légitimité du président », a ainsi lancé Philippe Ballet, délégué UNSA. Décrit comme un « gestionnaire », parlant plus volontiers aux médias qu’aux collaborateurs de son entreprise, le PDG a ainsi été affublé de l’étiquette « bling bling » lors des échanges. Sa décision, jeudi soir, d’annuler un concert prévu à l’Auditorium – alors que les musiciens grévistes avaient dit vouloir jouer – et de fermer le bâtiment au public, laissant l’orchestre improviser un récital dans le hall, a créé l’incompréhension.
« Nous nous réjouissons de la mise en place de cette enquête, déclare Jean-Paul Quennesson, délégué SUD et membre de l’Orchestre national. Il y a à l’évidence des dépenses qui ne s’imposaient pas ou auxquelles on pouvait surseoir. La priorité doit être donnée aux outils de production et non de réception. L’Etat réagit vite car ces informations sont dévastatrices pour la parole du PDG. »
« Si l’enquête ne porte que sur les frais de mission ou de réception, c’est frustrant, nuance Renaud Dalmar, délégué CFDT. Nous avons un problème majeur qui est le chantier de rénovation de la Maison de la radio, dont les coûts ont dérapé, c’est cela qu’il faudrait contrôler. »
« Purger le sujet »
De son côté, la direction s’affiche tranquille et voit dans cette enquête une opportunité de sortir de la polémique. « Cette mission est une bonne chose, indique Catherine Sueur, directrice générale déléguée. Cela devrait permettre de purger le sujet. » L’espoir est aussi celui d’une levée rapide de la grève. Mathieu Gallet devait s’adresser aux salariés de Radio France, vendredi à 11 heures.
Le calendrier est serré. À la direction comme au gouvernement, l’heure est aux « arbitrages » sur les mesures d’économies, mais aussi les grands axes stratégiques de Radio France pour les cinq prochaines années. Aux yeux du gouvernement, il est indispensable qu’on ne puisse pas attaquer l’exemplarité de la direction de l’entreprise pendant cette période.
Débat au CSA
La direction du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) garde ses distances. Elle rappelle qu’elle ne dispose pas des comptes financiers de Radio France et que c’est le ministère de la culture qui exerce la tutelle. Le président Olivier Schrameck n’a donc pas appelé Mathieu Gallet pour évoquer les travaux qui ont fait polémique. « Le CSA régule les radios et les télévisions, pas les bureaux des présidents », abonde une source en interne.
C’est pourtant le CSA qui a nommé M. Gallet, au terme d’une procédure censée tourner la page des nominations de l’ère Sarkozy. Comment juge-t-il son action, après un an de mandat ? Là encore, la présidence souligne que le CSA est une autorité collégiale, dont les membres n’ont pour l’instant pas débattu du bilan de Mathieu Gallet, et ne devraient en principe pas le faire avant le point d’étape prévu fin 2015.
Le CSA fait le choix de la prudence et d’une lecture juridique de son rôle et de celui de la tutelle, plutôt que de réagir à chaud. Une décision qui semble fondée sur le pari que la situation peut s’arranger pour Mathieu Gallet. Car les difficultés du président de Radio France pourraient être imputées indirectement au CSA qui l’a nommé.
Une autre source au CSA a un avis plus sévère et inquiet : « Mathieu Gallet donne le sentiment d’un homme assez seul, et qui est peu épaulé par les ministères, à la culture mais aussi à Bercy. On a l’impression d’un homme qui a du mal à faire face à la tempête. » Le CSA s’est-il donc trompé en le choisissant ? « La question se pose », estime cette source, rappelant « l’espoir » de renouveau et de gestion sérieuse suscité par sa candidature. « Mathieu Gallet a-t-il l’étoffe d’un patron d’audiovisuel de service public, dans cette période troublée pour le pays ? Nous allons le voir », conclut-on. Pour le CSA, les tensions autour de la présidence de Radio France sont en tout cas un élément de pression supplémentaire, au moment où il gère un dossier très sensible : la nomination du patron de France Télévisions, au plus tard le 22 mai.
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