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New Delhi asphyxiée par les microparticules

Les ONG demandent au gouvernement de fixer des seuils pour les émissions industrielles.

Par  (New Delhi, correspondance)

Publié le 17 mars 2015 à 08h29, modifié le 19 août 2019 à 13h08

Temps de Lecture 4 min.

New Delhi est la ville où la pollution atmosphérique est le plus élevée au monde, selon l’OMS.

Au début de l’hiver, Rakesh a dû adapter son métier aux nouvelles conditions atmosphériques de Delhi. Lors des pics de pollution, ce guide touristique doit se contenter de décrire les monuments, le doigt pointé vers une brume épaisse jaunâtre, devant des touristes dépités. « Certains d’entre eux ont commencé à se plaindre d’irritation aux yeux et à la gorge, alors les visites de la ville se font de plus en plus dans le car », maugrée le jeune guide. New Delhi est la ville où la pollution atmosphérique est le plus élevée au monde, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

La concentration en particules « PM2.5 », les plus dangereuses, car elles ne mesurent que 2,5 microns et s’infiltrent plus facilement dans les systèmes respiratoires, dépasse de quinze fois le seuil de tolérance fixé par l’OMS. La pollution atteint des niveaux particulièrement élevés pendant l’hiver, quand ces particules fines restent prisonnières de l’atmosphère. Entre le 1er décembre 2014 et le 30 janvier 2015, la concentration en PM2.5 a dépassé les 226 microgrammes par mètre cube, bien au-delà de ce qui a pu être mesuré à Pékin à la même période, dépassant le seuil considéré comme « très mauvais pour la santé ».

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Tous les habitants de Delhi subissent les conséquences de cette pollution : des maladies respiratoires aux allergies, en passant par les crises d’asthme qui réveillent la nuit. Au début de l’hiver, Sadaf, une jeune trentenaire, commençait à avoir le souffle coupé en montant les escaliers. Le 31 décembre au soir, elle s’est assise sur son lit avec l’impression que ses voies respiratoires allaient se bloquer. Prise d’une violente crise d’asthme, elle a été transportée d’urgence à l’hôpital. Des dizaines de patients attendaient comme elle, ce soir-là, de pouvoir passer la nuit sous assistance respiratoire.

Dans une étude publiée par la revue scientifique Environmental Development en décembre 2012, les chercheurs Rahul Goel et Sarath Guttikunda ont constaté qu’en 2010 la pollution provoquait chaque jour entre 20 et 40 décès prématurés dans la capitale et près d’un demi-million de visites aux urgences des hôpitaux.

L’Inde, qui abrite 13 des 20 villes les plus polluées au monde, détient le triste record des décès liées aux maladies respiratoires avec 1,6 million de morts par an. Aucune ville sur la planète n’est aussi meurtrière que Delhi et pourtant le gouvernement préfère relativiser la menace. « La qualité de l’air à Delhi et dans d’autres villes est extrêmement mauvaise, mais ça ne concerne pas l’Inde seulement », a déclaré au mois de février le ministre indien de l’environnement, Prakash Javadekar, ajoutant que « la situation à Delhi n’était pas pire qu’à Pékin ».

 

Générateurs à diesel

« Il devrait y avoir des objectifs stricts d’émissions industrielles à ne pas dépasser. Nous avons besoin d’un plan d’action similaire à celui de Pékin, comprenant un système d’alerte d’urgence qui diffuse au grand public des conseils à la santé en cas de pollution élevée », a réclamé l’ONG Greenpeace jeudi 5 mars. Avec près de 1 400 véhicules mis en circulation chaque jour, le trafic automobile est à Delhi l’une des premières causes de la pollution.

Il y a aussi les innombrables chantiers de construction qui dégagent de la poussière, la combustion des déchets à ciel ouvert, les générateurs à diesel en cas de panne d’électricité, les gardiens qui se chauffent au feu de bois le long des maisons ou des immeubles, ou encore l’activité des usines et des centrales à charbon en périphérie de Delhi. La consommation de ce combustible devrait doubler en Inde d’ici les cinq prochaines années.

La pollution a changé les habitudes des habitants. L’inhalateur pour l’asthme, en vente libre, est désormais dans toutes les poches, et s’utilise plusieurs fois par jour. Les « plantes d’intérieur produisant de l’oxygène » connaissent beaucoup de succès chez les pépiniéristes huppés du sud de la ville. Il y a enfin le masque que l’on glisse dans le cartable des enfants, surtout d’expatriés, avant qu’ils partent à l’école. Ceux qui portent ces masques, surmontés d’un bec de plastique, ressemblent à des gladiateurs tout droit sortis de films d’apocalypse. Une Américaine a eu l’idée d’en importer des modèles roses à petites fleurs pour les filles et des bleus pour les garçons. Elle était en rupture de stock en octobre dernier.

L’inhalateur pour l’asthme, en vente libre, est désormais dans toutes les poches, et s’utilise plusieurs fois par jour.

A l’Ecole française de Delhi, plus de 75 purificateurs d’air ont été achetés, des corridors ont été aménagés entre l’extérieur et les salles de classe. Des relevés de pollution sont effectués régulièrement. L’hiver dernier, les activités sportives à l’extérieur ont été interdites pendant plusieurs semaines. Dans les dîners d’expatriés, on ne parle plus de la « pauvreté en Inde », mais de « la concentration de PM », c’est le nouveau sujet de discussion en vogue.

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« Quel PM fait-il aujourd’hui ? », se demandent les plus inquiets au début de la journée. Les filtres à air qui coûtent au minimum dans les 200 euros ont vu leurs ventes décoller. Il y a aussi l’oxygène vendu par bouteilles de plusieurs centaines de litres, encore plus efficace qu’une plante verte. « C’est malheureux à dire mais la pollution fait augmenter nos ventes car les maladies respiratoires sont de plus en plus nombreuses », témoigne Anand Sharma, le directeur commercial d’Oxygo.

Quant aux pédiatres, certains conseillent aux parents de jeunes enfants de quitter Delhi, le plus souvent possible, et le plus tôt s’ils sont étrangers. Shivani Gandhi, une jeune mère indienne, prévoit de déménager à Goa : « Ma fille est née il y a seulement un an et demi, elle a déjà dû passer dix jours sous assistance respiratoire cet hiver. C’est traumatisant. Rester ici, c’est comme la forcer à fumer des cigarettes. »

En décembre 2014, le quotidien Times of India a publié un article dans lequel des chercheurs expliquaient que l’exposition des femmes enceintes aux microparticules freinait le développement du fœtus et augmentait le risque de mortalité prénatale. Shivani, qui attend un second enfant, sait que la pollution met en danger sa grossesse, mais elle préfère néanmoins ne pas en savoir plus, pour « garder l’esprit tranquille ».

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