Billet de blog 23 mars 2015

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Secret des affaires: une dangereuse directive européenne

Une coalition d’ONG des secteurs de la santé, de l'environnement, de la liberté d'expression ou encore de la liberté des travailleurs appelle à une plus grande protection des consommateurs, des journalistes, des lanceurs d’alerte, des chercheurs et des travailleurs – au contraire de ce que prévoit une directive adoptée par la Commission et les chefs d'Etat de gouvernement européens.

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Une coalition d’ONG des secteurs de la santé, de l'environnement, de la liberté d'expression ou encore de la liberté des travailleurs appelle à une plus grande protection des consommateurs, des journalistes, des lanceurs d’alerte, des chercheurs et des travailleurs – au contraire de ce que prévoit une directive adoptée par la Commission et les chefs d'Etat de gouvernement européens.


AMSTERDAM. – Nous nous opposons fermement à l’adoption hâtive par la Commission européenne et le Conseil européen d’une nouvelle Directive sur le Secret des Affaires en raison des dispositions qu’elle contient: 

  • Une définition excessivement large du « secret des affaires » qui permet à une entreprise d’estimer que presque tout peut relever de cette qualification ;
  • Des recours juridiques aux contours très larges, pour défendre les entreprises dont les « secrets des affaires » ont été « obtenus, utilisés ou divulgués de façon illicite », en leur accordant tout un arsenal judiciaire incluant des mesures provisoires et conservatoires, des dommages et intérêts et des « droits au secret »; 
  • Des garde-fous inadéquats qui ne garantiront pas aux consommateurs, aux journalistes, aux lanceurs d’alerte, aux chercheurs et aux travailleurs d’avoir accès à des données importantes qui relèvent de l’intérêt public.

La proposition doit être amendée pour garantir que seules les informations obtenues, utilisées et divulguées par des tiers à des fins commerciales soient protégées en application de la la Directive.

Plus particulièrement, nous partageons tous une grande inquiétude car, en application de cette proposition de directive : 

  • La liberté d’expression et d’information est sérieusement menacée car la proposition de directive ne garantit pas la protection des journalistes et des lanceurs d’alerte. En application de la proposition de directive, les journalistes et les lanceurs d’alerte devront prouver que « l'obtention, l'utilisation ou la divulgation présumée du secret d'affaires ait été nécessaire à cette révélation et que le défendeur ait agi dans l'intérêt public ». Malheureusement, déterminer si la divulgation était ou non nécessaire ne peut bien souvent n’être apprécié qu’après coup. De plus, limiter le droit d’utiliser ou de divulguer des secrets d’affaires à la révélation d'une faute, d'une malversation ou à la protection d’un intérêt légitime permettrait d’appliquer des sanctions alors même que des informations relèvent du domaine public ; tel serait le cas pour des plans sociaux ou des menaces sur la santé et l’environnement. La proposition de directive doit être amendée pour exclure les informations obtenues, utilisées ou divulguées dans l’intérêt public.
  • La mobilité des travailleurs européens sera affectée. La proposition de directive risque de bloquer les travailleurs. Elle engendrera des situations dans lesquelles un employé préférera éviter de travailler dans le même domaine que son employeur précédent plutôt que risquer d’utiliser les compétences acquises auprès de lui et devoir ensuite être poursuivi et en payer le préjudice. Cela freinera les évolutions de carrières, ainsi que la mobilité professionnelle et géographique sur le marché du travail.
  • Les entreprises relevant des secteurs de la santé publique, de l’environnement et de la sécurité alimentaire pourront utiliser la directive pour refuser de se conformer aux politiques de transparence, même si l’intérêt public est en jeu. La proposition de directive devrait être amendée (1) pour garantir qu’elle ne couvre pas d’informations qui doivent, légalement (y compris en application du droit international), être révélées aux autorités publiques en vertu de l’accès public au droit à l’information et (2) que soient exclues les données réglementaires d’intérêt public nécessaires à l’examen public relevant des autorités de régulation.

Santé : Les entreprises de l’industrie pharmaceutique soutiennent que tous les aspects du développement clinique doivent être considérés comme relevant du secret des affaires ; cependant, l’accès aux données de recherches biomédicales par les autorités de régulation, les chercheurs, les docteurs, les patients – spécifiquement les données sur l’efficacité et les effets indésirables des médicaments – est essentiel pour protéger la sécurité des patients, mener des recherches approfondies et des analyses indépendantes. Ces informations permettent également d’éviter de dépenser les maigres ressources publiques pour des thérapies qui ne sont pas plus efficaces que les traitements existants, qui ne marchent pas, ou qui causent plus de mal que de bienfaits.

En outre, la divulgation de recherches pharmaceutiques est nécessaire pour éviter des essais cliniques sur des personnes contraires à l’éthique. La proposition de directive ne doit pas entraver les récents développements de l’Union européenne, qui ont permis d’augmenter la transparence et le partage de ces données.

Environnement : La directive doit être amendée afin d’être en conformité avec les obligations internationales imposées par l’Union européenne en vertu de la Convention d’Aarhus, qui empêche les autorités publiques de garder secrètes les informations sur des émissions dans l’environnement et exige une diffusion active des informations permettant aux consommateurs d’être informés des choix en matière d’environnement. Par conséquent, la définition du « secret des affaires » doit être amendée pour retirer du champ d’application de la proposition de directive, les informations sur les émissions et empêcher les entreprises d’utiliser la directive pour refuser de divulguer des informations sur des produits dangereux, tels que des produits chimiques contenus dans les plastiques, les vêtements, produits d’entretien et toute autre activité qui peut causer des dommages graves à l’environnement, à la santé humaine, y compris les informations concernant le déversement de produits chimiques et les fluides utilisés dans l’extraction des gaz de schistes.

Sécurité alimentaire : En vertu du droit européen, tous les produits alimentaires, OGM et pesticides, sont réglementés par l’Autorité européenne de sécurité des Aliments (EFSA). L’EFSA évalue les risques associés aux produits en se fondant sur les études toxicologiques effectuées par les fabricants eux mêmes. L’examen scientifique des évaluations de l’EFSA n’est possible que par un accès complet à ces études. Par conséquent, ces données doivent être exclues du champ de la directive.

Malgré la volonté de la Commission de trouver la « formule magique » qui permettrait à l’Europe de rester dans le jeu de l’innovation, si elle n’est pas amendée, cette Directive va rendre les recherches ouvertes et collaboratives plus difficiles dans l'Union européenne. En fait, les mesures et les recours prévus par la directive risquent de freiner les comportements de libre concurrence, voire de faciliter des pratiques anti-concurrentielles. A cet égard, il n’est guère surprenant que le texte de la Commission ait été élaboré en étroite collaboration avec des multinationales qui le soutiennent fermement.

En Europe comme aux Etats-Unis, des coalitions industrielles (unies au sein de la Coalition pour le secret des affaires et l'innovation) font pression pour qu'une protection du secret des affaires soit adoptée.

Aux Etats-Unis, deux nouveaux projets de loi sont en attente devant le Congrès. S’ils sont adoptés, ces textes permettront d'inclure la protection du secret des affaires dans le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) – en conséquence, il sera par la suite extrêmement compliqué d'abroger ce texte par des moyens démocratiques. Dans la mesure où l'on attend du TTIP qu’il établisse une nouvelle norme mondiale, la présence potentielle d'une protection du secret des affaires peut avoir des conséquences dévastatrices.

Nous insistons auprès du Conseil et du Parlement Européen pour qu’ils amendent la Directive, en limitant strictement la définition de ce qui peut constituer un secret des affaires et en renforçant les garanties et les exceptions pour s’assurer que les données d’intérêt public ne puissent pas être couvertes par le secret des affaires.

Le droit d’utiliser et de diffuser librement des informations doit être la règle, et la protection du secret des affaires l’exception.

Signataires

SANTÉ
Health Action InternationalMedicines in Europe ForumCommons NetworkPublic Citizen (Etats-Unis), European Public Health AllianceKnowledge Ecology International (KEI) Europe, Cochrane Collaboration – Nordic Cochrane Centre, International Society of Drug Bulletins (ISDB), Association Internationale de la Mutualité (AIM), Health Projects for Latvia

SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Corporate Europe Observatory (CEO), GeneWatch UK, European Federation of Food, Agriculture, Tourism Trade Unions (EFFAT)

ENVIRONNEMENT
Berne DeclarationClient Earth, Center for International Environmental Law (CIEL), Commons Network, Health & Environment Alliance (HEAL), The European Environmental Bureau (EEB), NatureFriends International (NFI), Greenpeace EU unit

LIBERTÉ D’EXPRESSION ET LANCEURS D’ALERTE
Collectif français “Informer n'est pas un délit”, La Quadrature du Net, Corporate Europe Observatory (CEO), Article 19, Electronic Frontier Foundation (EFF), European Digital Rights (EDRi), The Foundation for Information Policy ResearchVrijschrift, CEE Bankwatch Network, Transparency International FranceFondation Sciences Citoyennes 

MOBILITÉ DES TRAVAILLEURS
Council of European Professional and Managerial Staff (EUROCADRES), European Federation of Public Service Unions (EPSU), European Trade Union Confederation (ETUC), CFDT CADRES (CFDT for Professional and Managerial Staff), Akademikerna (The Danish Confederation of Professional Associations), AGENQUADRI (General Association of Managers, Professionals and High-Skilled Workers), SacoUNI EuropaAkava (Confederation of Unions for Professional and Managerial Staff in Finland), UnionenTCO (Swedish Confederation of Professional Employees)

CONSOMMATEURS
Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11”), TransAtlantic Consumer Dialogue (TACD).

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