En cette période de défiance aigüe à l'égard de la classe politique, c'est un sujet sensible, qui n'a pas manqué pas d'affoler le compteur de l'indignation. Selon l'association Contribuables associés, les parlementaires français se seraient mis d'accord à l'unanimité pour se voter un « parachute doré », en « doublant l'indemnisation des élus à la fin de leur mandat ». Une information reprise par de nombreux sites des sphères libéral-conservatrice et d'extrême droite, qui a également rassemblé plus de 11 000 signatures autour d'une pétition de Contribuables associés, au mépris des vérifications factuelles les plus élémentaires qui s'imposaient.
Ce que dit Contribuables associés :
Que la loi sur le statut de l'élu local adoptée par l'Assemblée nationale le 19 mars à l'unanimité prévoit de doubler de six mois à un an la durée d'indemnisation des élus en cas de défaite électorale. Qu'il obligera une entreprise privée à réintégrer l'élu à la fin de son mandat, la privant de sa liberté de recrutement.
En outre, l'association s'interroge sur le hasard du calendrier qui veut que la loi ait été votée à quelques jours des départementales, qui annonçaient une défaite sévère pour le PS, mettant en danger des centaines d'élus socialistes.
Pourquoi les critiques sont exagérées
Le site Slate.fr a très bien expliqué pourquoi parler de « parachute doré » était approximatif et excessif, en s'appuyant notamment sur les remarques publiées sur Twitter par Pierre Januel, collaborateur des députés écologistes à l'Assemblée.
Première précision : contrairement aux raccourcis de Contribuables associés et de ses relais, la « loi visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat » ne concerne pas tous les élus mais, comme son nom l'indique, les seuls élus locaux. Toutefois, comme l'association le souligne, la plupart des parlementaires (qui ont voté le texte) exercent aussi un mandat local et pourraient donc théoriquement en bénéficier.
Ensuite, le « parachute doré » en question n'est pas attribué à tous les élus locaux défaits électoralement. Cette « allocation différentielle de fin de mandat », qui existe déjà depuis longtemps, est réservée aux élus battus qui se retrouvent à Pôle emploi (or, comme le rappelle le rapporteur PS du texte, Philippe Doucet, un mandat électoral n'ouvre pas le droit à des indemnités chômage) ou reprennent une activité professionnelle leur rapportant des revenus moindres que leur indemnité de mandat local.
Premier gros bémol : un parlementaire (député ou sénateur) qui perd son mandat local conserve son mandat national, et la rémunération qui va avec, et qui est supérieure à celle du mandat local. Donc des députés ou des sénateurs qui perdraient leur mandat local ne bénéficieraient pas de la mesure dénoncée par « Contribuables », car ils gagneraient trop à côté, grâce à leur indemnité parlementaire et/ou leurs activités annexes.
Ce que la récente loi a changé, ce n'est pas le montant de cette indemnité, comme certains l'ont dit, mais la durée pendant laquelle les élus peuvent y prétendre : un an au lieu de six mois.
Le montant reste inchangé sur les six premiers mois : au maximum 80 % des anciennes indemnités de mandat de l'élu, avec une dégressivité si l'élu retrouve un travail moins bien payé. La nouvelle loi prévoit que le taux passe à 40 % pour les six mois supplémentaires qu'elle ajoute.
En outre, pour être tout à fait complet, il faut noter que la loi ne fait pas que des « cadeaux » aux élus : elle impose aussi une modulation des indemnités des élus locaux en fonction de leur absentéisme, ce qui peut entraîner un manque à gagner pour les moins assidus.
L'« obligation » pour les entreprises de réintégrer l'élu à la fin de son mandat n'a encore une fois rien de nouveau. Cela s'appelle le « droit à la réinsertion », un système qui autorise depuis longtemps les élus à « suspendre » leur contrat de travail pendant leur mandat et à bénéficier, à leur retour, d'une réintégration – avec, s'ils le souhaitent, un stage de remise à niveau, une formation professionnelle et/ou un bilan de compétences. Cette disposition est censée inciter les personnes de la société civile à s'engager dans la vie politique sans craindre de compromettre leur carrière professionnelle.
La nouvelle loi se contente d'étendre le droit à la réinsertion aux élus des communes de plus de 10 000 habitants (contre 20 000 jusqu'à présent) et à le rendre applicable pendant au maximum deux mandats, au lieu d'un. Si la réintégration d'un salarié au terme de 12 ans d'absence peut ne pas plaire à l'employeur, il ne s'agit en aucun cas d'une question de « recrutement », car le salarié est toujours sous contrat, même s'il ne travaille plus dans l'entreprise.
De même, le « congé électif », qui permet à un salarié d'être libéré une vingtaine de jours lorsqu'il est candidat à une élection, est étendu par la nouvelle loi aux communes de plus de 1 000 habitants, contre 3 500 actuellement. Enfin, le texte place les élus locaux les plus importants (maires et adjoints de grandes communes et membres des exécutifs départementaux et régionaux) qui conservent leur activité professionnelle sous le statut des « salariés protégés », à l'instar des délégués syndicaux – rendant beaucoup plus difficile leur licenciement.
Contrairement aux insinuations de la pétition de Contribuables associés, on ne peut guère soupçonner les parlementaires d'avoir fait voter cette réforme du statut de l'élu local pour anticiper leur défaite, ou celle de leurs amis, lors des élections départementales des 22 et 29 mars. En effet, la proposition de loi est dans les tuyaux du Parlement depuis novembre 2012.
En outre, la nouvelle loi n'entrant en vigueur qu'au 1er janvier 2016, elle ne sera pas applicable pour les élus battus lors de ces élections départementales, ni même lors des régionales de décembre 2015.
La gestion de l'indemnité de fin de mandat des élus est confiée depuis 2002 à la Caisse des dépôts et consignations. Pour la financer, un Fonds d'allocation des élus en fin de mandat (FAEFM) est alimenté par une cotisation obligatoire des collectivités territoriales. Mais comme très peu d'élus recourent à ce fond, celui-ci est en excédent d'environ 3,5 millions d'euros. Résultat : depuis 2010, le montant de la cotisation a été réduit à... 0 %. Depuis cette date, le FAEFM ne coûte donc plus rien à la collectivité, à l'exception de ses frais de gestion, d'un peu moins de 50 000 euros par an.
Si la réforme augmentera mécaniquement le nombre de bénéficiaires et les montants versés, le surcoût devrait donc être limité.
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