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Billet de blog 25 mars 2015

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La loi biodiversité confie la protection de la nature aux banques et à la finance 

Le projet de loi relatif à la biodiversité vient d'être voté en première lecture à l'Assemblée nationale. Malgré les plus vives réserves de plusieurs associations, les députés ont institué des obligations de compensation et des banques de biodiversité qui transforment la nature en actifs financiers.

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Le projet de loi relatif à la biodiversité vient d'être voté en première lecture à l'Assemblée nationale. Malgré les plus vives réserves de plusieurs associations, les députés ont institué des obligations de compensation et des banques de biodiversité qui transforment la nature en actifs financiers.

En instituant des « obligations de compensation écologique » (Section 1A du chapitre II), le projet de loi relatif à la biodiversité offre aux aménageurs et aux industriels la possibilité de remplacer ce qu'ils détruisent à un endroit par un bout de nature supposé équivalent à un autre endroit. Là où la loi de 1976 ne faisait que mentionner la possibilité de compensation sans en déterminer les contours, le projet de loi actuel institue la compensation en politique publique et prend le risque qu'elle serve de dérivatif facile et généralisé aux étapes visant à éviter et réduire les dégradations écologiques. Ce projet de loi crée par ailleurs des banques d'un nouveau genre, des réserves d'actifs naturels gérés par des acteurs privés, auxquels les opérateurs pourront faire appel pour satisfaire « leurs obligations de compensation ».

Voici en six points une analyse des dispositifs de compensation écologique prévus par ce projet de loi voté en première lecture mardi 25 mars par 325 voix contre 189.

1. Instituer la compensation en politique publique

L'article 2 du projet de loi entend préciser le principe « Eviter, réduire, compenser » mentionné dans la loi de 1976. Il est rédigé ainsi : « Ce principe implique d’éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu’elle fournit ; à défaut, d’en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées et réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ». Si ce principe institue clairement un ordre de priorité – il est demandé d'éviter et de réduire les atteintes à la biodiversité avant de les compenser – il ne précise en rien ce qui justifie de passer des étapes « éviter et réduire » à l'étape « compenser ». Avec le risque majeur, et vérifié dans les pays où les logiques de compensation sont les plus avancées (Etats-Unis, Australie, Royaume-Uni etc.), que la compensation serve de dérivatif facile et généralisé aux étapes visant à éviter et réduire les dégradations écologiques.

2. Laisser croire que la compensation peut générer plus de biodiversité qu'elle n'en détruit !

A cette objection, il est répondu qu'il ne faut pas s'inquiéter car le niveau de compensation à atteindre a été précisé dans le projet de loi. Sur proposition de Laurence Abeille, députée EELV, soutenue par le gouvernement, le législateur a en effet introduit deux notions qui visent à exiger que ce qui est compensé soit a minima l'équivalent de ce qui a été détruit. Il est ainsi précisé dans cet article 2 que la compensation « doit viser un objectif d’absence de perte nette, voire tendre vers un gain de biodiversité ». Le législateur exige donc que la compensation crée plus de biodiversité qu'elle n'en détruit. Pour les députés et ONG à la source de cet amendement, ces deux notions doivent servir de garde-fou pour écarter les projets les plus nocifs, sans doute avec l'idée que les aménageurs auront bien du mal à atteindre aucune perte nette, ou même un gain de biodiversité. Avant même de discuter de cette possibilité (voir le point 4), notons que le législateur introduit en droit français l'idée selon laquelle la compensation pourrait donc générer plus de biodiversité (le « plus », ce gain net, étant à préciser tant en qualité qu'en quantité) que la destruction liée à l'aménagement. Ne serait-ce pas le parfait argument pour poursuivre, sous réserve de compenser les atteintes, la construction d'infrastructures et d'aménagements industriels ? Pour quelques autoroutes et aéroports de plus, vous obtiendrez plus de biodiversité ! Formidable, non ? Il n'y aurait donc plus lieu d'empêcher la construction de nouvelles infrastructures puisqu'elle pourrait être à l'origine d'un gain net de biodiversité.

3. Instaurer une équivalence artificielle

Ce type de raisonnement consiste à considérer que ce qui est compensé pourrait être de la même nature que ce qui a été détruit. Ce n'est pourtant pas le cas. Notre-Dame des Landes, Sivens et bien d'autres projets, en France et dans le monde, ont donné l’occasion à des naturalistes et des experts scientifiques de démontrer la faiblesse intrinsèque des mécanismes et projets de compensation et leur incapacité à restaurer de la biodiversité et des territoires dégradés. De nombreux travaux scientifiques soulignent l’échec des dispositifs de compensation et l’impossibilité de récréation de milieux constitués au fil des siècles : on ne remplace pas un arbre vieux d’un siècle par dix arbres âgés de dix ans ou une prairie naturelle ancienne par un pré saturé en nitrates. De plus, si les pertes sont immédiates et définitives, les restaurations, à supposer qu’elles puissent être jugées équivalentes, ne peuvent être que progressives. Bien souvent, elles ne sont même assurées que de façon temporaire. L’équivalence affichée par les promoteurs de la compensation entre des milieux naturels détruits et la reconstruction de milieux artificiels est donc complètement … artificielle. C'est une convention, sans rapport avec la réalité des écosystèmes et des enseignements des écologues.

4. Généraliser une confusion comptable !

Pour compenser, il faut compter. Il faut compter ici des tritons crêtés, là des outardes canepetière. D'une manière générale, il faut compter les espèces menacées à protéger. L'expérience montre que ce n'est pas si simple et que de nombreux choix et approximations peuvent conduire à des résultats fortement dissemblables. C'est encore plus compliqué lorsqu'il s'agit d'évaluer, tant en qualité qu'en quantité, des bouts d'écosystèmes qui sont le fruit d’innombrables et inextricables interactions entre les sols, les cycles biochimiques, les espèces qui les habitent ou encore les fonctions écologiques qu’ils assurent. Quelle est l'unité ? Quelles sont les règles à suivre ? Là aussi, l'expérience montre qu'il existe finalement autant de procédés que de projets de compensation. Le projet de loi impose-t-il des règles pour « compter » la biodiversité ? Pas du tout. Il généralise la compensation mais ne précise absolument pas les conditions d'équivalence entre la biodiversité existante et celle qui serait à recréer.

Chacun invente donc sa propre méthode et l'adapte au projet considéré. Chacun pourra donc déterminer une méthode et des procédures permettant d'obtenir, sur le papier (et uniquement sur le papier) une absence de perte nette, voire mieux, un gain net. Simple choix comptable. Généralement la compensation menée par les aménageurs et les cabinets d'étude se fait à « la découpe » : parcelle par parcelle, espèce par espèce, fonction par fonction. Évaluée et quantifiée pour être comparée aux autres, chacune de ses tranches devient alors interchangeable, la perte de l’une pouvant être compensée par la restauration d’une autre. Ce qui relève plus d’un bricolage que d’une méthode scientifique. Le plus grand arbitraire préside, comme dans le cas de Notre-Dame-des-Landes1, avec des calculs qui conduisent à compenser des mares et les amphibiens qui y vivent par des prairies artificielles.

4. Instituer un droit à détruire

Le message des scientifiques est clair et indiscutable : il faut enrayer la perte de biodiversité pour espérer assurer la pérennité du fonctionnement des écosystèmes. Par exemple, il faudrait définitivement arrêter de détruire les (trop) rares zones humides, des zones qui jouent un rôle clef dans la régulation du cycle de l'eau (purification de l'eau, gestion des trop-plein, etc) tout en assurant un habitat majeur de biodiversité. Plus des deux-tiers des zones humides ont ainsi disparu en France au siècle dernier. Pour assurer l'existence des zones humides restantes sur le territoire, le législateur aurait pu interdire toute nouvelle destruction. Ce d'autant plus que les zones humides servent de tampons fort utiles en cas d'inondations. Une telle interdiction n'a pas été retenue par le législateur. Selon le principe « éviter, réduire compenser » et compte tenu de l'absence de règles d'équivalence, un aménageur aura tout loisir de montrer qu'il ne peut éviter la destruction de la zone humide, et qu'il lui faut donc « compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées et réduites ». A l'interdiction, justifiée, de détruire de nouvelles zones humides est donc substitué le droit de détruire une zone humide sous couvert d'opérer une compensation dont on sait, par l'expérience, qu'elle ne pourra être de nature et de qualité équivalentes. Aux zones humides existantes seront substituées, dans le meilleur des cas, quelques nouvelles mares.

5. Généraliser les banques de biodiversité sans évaluer l'expérimentation en cours

Si le projet de loi ne précise pas les conditions d’équivalence entre les dégradations écologiques et les mesures de compensation, les outils disponibles pour mener cette compensation sont, eux, désignés. Ils ont même été précisés par la rapporteur du projet de loi, Geneviève Gaillard, qui a fait voter une réécriture intégrale des articles 33 A B et C qu'une série d'organisations naturalistes et altermondialistes appelaient à rejeter (voir cette tribune et ce document d'interpellation des députés). Le nouvel article prévoit donc qu'un aménageur ou un industriel soumis à des obligations de compensation « peut y satisfaire soit directement, soit en confiant par contrat la réalisation de ces mesures à un opérateur de compensation (...), soit par l’acquisition d’unités de compensation dans le cadre d’une réserve d’actifs naturels ».

C'est la grande nouveauté de ce projet de loi : l'aménageur pourra désormais recourir à un « opérateur de compensation », et/ou contribuer au financement d’une « réserve d’actifs naturels », lui permettant de se libérer de ces obligations de compensation. C’est suite à l’intense lobbying mené par la CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, que la notion de « réserves d’actifs naturels » a été introduite dans le projet de loi. La CDC biodiversité est à ce jour le seul opérateur d’une réserve d’actifs naturels en France qui serve de banque de compensation. Cette banque d’actifs naturels se trouve dans la plaine de la Crau, zone de steppe semi-aride dans les Bouches du Rhône. Objet de nombreuses études scientifiques2 et vivement critiquée3 par les associations, cette expérimentation sera donc généralisée avant même d'être analysée et évaluée. A quoi bon expérimenter si le législateur généralise des dispositifs qui ne sont pas évalués en totale indépendance ? Combien de députés se sont-ils sérieusement penchés sur l'expérimentation menée par la CDC-biodiversité au-delà d'auditions convenues de ses dirigeants ?

6. Financiariser la nature pour ne plus avoir à la protéger ?

Ces banques d’un nouveau genre mènent des projets de restauration de biodiversité qu’elles transforment ensuite en unités de biodiversité préservée ou restaurée. Ces banques génèrent donc des actifs biodiversité avant même que la dégradation écologique n’apparaisse. C'est une compensation par l'offre. Pour justifier leurs projets devant les pouvoirs publics, les aménageurs n’ont plus qu’à faire appel à ces banques d’actifs constituées ex-ante et leur acheter quelques actifs biodiversité. Suivant l'exemple des Etats-Unis, ce projet de loi généralise l'utilisation de banques de biodiversité sur le territoire français et confie une part importante de la protection de la biodiversité à des banques et acteurs financiers. Les associations dénoncent un processus de financiarisation de la nature qui, sans même la création préalable ex nihilo de marchés financiers ad hoc, transforme et réduit à la nature en une série d'actifs générés et gérés conformément aux logiques et mathématiques financières.

Cette critique s'est exprimée au sein même de l'Assemblée nationale lorsque l'ancienne ministre de l'écologie, Delphine Batho, a affirmé craindre « un pas dans la direction de la financiarisation de la biodiversité », critique reprise par Laurence Abeille considérant que « ce système d’actifs naturels (…) revient à la financiarisation, à la marchandisation des espaces naturels ». Ségolène Royal, tout en reconnaissant que c'était un « article très important du projet de loi » a tenté de balayer ces réserves en soutenant que « les réserves d’actifs naturels feraient l’objet d’un agrément préalable par l’État, selon des modalités définies par décret » et qu'il ne s’agissait pas « de financiariser la question de la compensation ». Argument difficilement recevable : l'agrément obtenu par la CDC-biodiversité pour sa banque d'actifs naturels dans la Crau n'a pas permis de prémunir le projet des faiblesses intrinsèques des logiques de compensation et de se soustraire aux exigences de rentabilité financière de la CDC-biodiversité. Au contraire, la décision consistant à vouloir de nouveaux projets de banque de biodiversité marque la volonté du gouvernement, et désormais du législateur, de se désengager des dispositifs de protection de la nature pour en confier la tâche à des opérateurs privés, y compris des banques et des acteurs financiers.

Maxime Combes, membre d'Attac France et de l'Aitec,

@MaximCombes sur Twitter

1Un patient et exhaustif travail d’analyse des mesures de compensation prévues à Notre-Dame des Landes a ainsi montré que les surfaces impactées par le projet sont sous-estimées, que les zones humides sont mal caractérisées et sous-évaluées, et que la biodiversité présente est également minorée puisque des espèces ont tout simplement été oubliées (y compris certaines espèces de mammifères, telle que la loutre d’Europe). Le Conseil National de Protection de la Nature et le Collège d’experts scientifiques réunis sur le cas de Notre-Dame des Lances ont vivement critiqué les méthodologies de compensation utilisées.

2Maris V., Nature à vendre. Les Limites des services écosystémiques, Quae, Versailles, 2014 ; Calvet C., Levrel H., Napoleone C. et Dutoit T., « Première expérimentation française de Réserve d’Actifs Naturels : Quels enseignements tirer de ces nouvelles formes d’organisation pour la préservation de la biodiversité ?. Dans Levrel H., Frascaria-Lacoste N., Hay J., Martin G.,Pioch S. (Eds.). Enjeux institutionnels, économiques et écologiques autour des mesures compensatoires pour la biodiversité́, Versailles, QUAE, 2015, à paraître.

3Béchet A. et Olivier A., Cossure : un exemple à ne pas suivre ?, Le courrier de la nature n°284 – juillet-aout 2014, http://www.nacicca.org/IMG/pdf/Courrier_de_la_Nature_no284.pdf

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