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Billet de blog 25 mars 2015

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« Tapie et la République » : notre démocratie au miroir du scandale

L’affaire Tapie fonctionne comme un miroir : elle révèle jusqu’à la caricature l’opacité du capitalisme français en même temps que les dysfonctionnements de notre démocratie. Voici, en résumé, le fil conducteur du documentaire « Tapie et la République – Autopsie d’un scandale d’Etat » que France 5 diffusera mardi 31 mars à 20 h 40, et Public Sénat ultérieurement, et dont on peut ici visionner, en avant-première, quelques extraits.

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L’affaire Tapie fonctionne comme un miroir : elle révèle jusqu’à la caricature l’opacité du capitalisme français en même temps que les dysfonctionnements de notre démocratie. Voici, en résumé, le fil conducteur du documentaire « Tapie et la République – Autopsie d’un scandale d’Etat » que France 5 diffusera mardi 31 mars à 20 h 40, et Public Sénat ultérieurement, et dont on peut ici visionner, en avant-première, quelques extraits.

Si ce film me tient très à cœur, c’est qu’il est l’aboutissement d’un très long travail. Cette affaire, je la chronique en effet sur Mediapart depuis qu’elle a éclaté, c’est-à-dire depuis que trois arbitres ont alloué, de manière frauduleuse, le 7 juillet 2008, à Bernard Tapie le pactole ahurissant de 405 millions d’euros. Et on approche bientôt du dénouement car, au plan civil, la célèbre sentence a été annulée le 17 février par la Cour d’appel de Paris, tandis qu’au plan pénal, les magistrats chargés du dossier ont mis en examen six personnalités, dont Bernard Tapie lui-même, pour « escroquerie en bande organisée » et vont bientôt achever leur instruction.

L’affaire ayant livré beaucoup de ses mystères, je me suis appliqué depuis déjà plusieurs mois à essayer d’en tirer les premiers enseignements sur Mediapart. On devinera donc sans peine la joie que j’ai eue quand Thibaut de Corday, qui est producteur chez Nova m’a proposé – l’idée est de lui, et je veux lui dire ma gratitude – de réfléchir à un projet de documentaire, cherchant non pas à dresser la saga Tapie – sous un registre « people » qui m’est insupportable, cela a été fait et refait mille fois – mais à réécrire l’histoire pour comprendre en quoi elle est révélatrice de beaucoup des maux dont souffre notre démocratie.

Et c’est ainsi que le projet a vu le jour, grâce au talent de Thomas Johnson, qui nous a tout de suite rejoints pour coécrire le film avec moi, et qui a accepté d’en être le réalisateur. Grâce aussi aux soutiens précieux que nous avons obtenus, dont celui de Geneviève Boyer, à France 5.

Avant de présenter plus en détail les ambitions de ce documentaire (70 minutes), que France 5 va donc diffuser le 31 mars à 20 h 40, et qui fera l’objet d’une diffusion en avant-première ouverte sur inscription aux abonnés de Mediapart le lundi 30 mars à 20 heures, au Forum des Images, voici donc, en exclusivité, quelques rapides extraits de ce documentaire.

Le premier extrait provient du début du documentaire. Alors que Bernard Tapie ne cesse de dire – c’est l’origine même de l’affaire – qu’il a été floué par le Crédit lyonnais lors de la vente pour son compte, en 1993, du groupe Adidas, nous rétablissons les faits, au travers d'une animation graphique (il y a en plusieurs tout au long du film), pour décrypter les arcanes complexes de l’histoire. Cette animation détaille le montage passablement compliqué de l’opération financière et établit que le Crédit lyonnais, loin d’avoir filouté Bernard Tapie, a d’abord cherché à le protéger, ce qui a permis à la banque comme à son client de réaliser une belle plus-value.

Voici ce premier extrait :

Le deuxième extrait provient également du début du documentaire. Il illustre ce capitalisme de connivence qui, du second septennat de François Mitterrand jusqu’au quinquennat de Nicolas Sarkozy, se montre sous son vrai jour dans cette affaire Tapie. Quand Jean Peyrelevade est nommé président du Crédit lyonnais, en 1993, avec pour mission de redresser la banque publique, qui est au bord de la faillite, il entre assez vite en conflit avec Bernard Tapie, que l’établissement a soutenu toutes les années passées à bout de bras. Et quand il se rend compte que l’homme d’affaires a apporté, en gage de ses dettes, des garanties qui n’en sont pas, il exige le recouvrement des créances que la banque détient sur Bernard Tapie, ce qui a pour effet de pousser ce dernier vers la faillite.

Mais au pays du capitalisme de la barbichette, où les hommes d’affaires entretiennent souvent des liens de consanguinité avec le sommet de l’Etat, cela ne peut pas se passer de la sorte. La suite des événements de l’époque, c’est donc Jean Peyrelevade qui la raconte, dans ce deuxième extrait :

Le troisième extrait de notre documentaire explique l’accélération de l’affaire Tapie, au lendemain de la présidentielle de 2012. Longtemps entravée, dans les années précédentes, et même carrément dessaisie au profit d’une justice privée, celle d’un arbitrage, qui de surcroît s’est avéré frauduleux, la justice retrouve son cours normal au lendemain de l’élection présidentielle. Le professeur de droit Thomas Clay, grand spécialiste de l’arbitrage, explique dans ce troisième extrait dans quelles circonstances :

Le quatrième extrait de notre documentaire présente la défense de Bernard Tapie. La scène se passe devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale, en septembre 2008. Lors de cette audition, l’homme d’affaires justifie le pactole de 405 millions d’euros qu’il a perçu, et jure ses grands dieux qu’il en fera « ce que sa conscience » lui dira d'en faire, mais que ce ne sera en aucun cas ni l’achat du Phocéa (le yacht acquis par lui à la fin des années 1980) ni celui de l’Olympique de Marseille :

Le cinquième et dernier extrait illustre la faiblesse des contre-pouvoirs français, face à la toute-puissance du pouvoir présidentiel, et en particulier la faiblesse du contre-pouvoir du Parlement. Ailleurs qu’en France, dans beaucoup d’autres grandes démocraties, un scandale du même type aurait conduit le Parlement à exercer son pouvoir de contrôle. En France, non ! Pour mettre au jour les irrégularités et fraudes innombrables de l’arbitrage, l’Assemblée nationale ne parvient ainsi même pas à constituer une commission d’enquête. Une simple mission d’information est décidée, disposant de pouvoirs très limités. Résultat : quand elle est auditionnée devant cette mission d’information, Christine Lagarde, à l’époque ministre des Finances (pour ne citer qu’elle), peut dire à peu près n’importe quoi. Mais pas la vérité. Illustration :

Ces quelques extraits ne donnent qu’un bref aperçu de notre documentaire mais ils permettent d’en mesurer l’ambition : prendre donc prétexte de l’affaire Tapie, pour prendre la mesure de l’opacité du capitalisme français qui d’une présidence à l’autre n’a guère changé ; pour bien cerner la gravité de la crise qui ronge notre démocratie, le manque gravissime d’indépendance dont souffre la justice ; pour bien apprécier les dérives que génère notre système de monarchie républicaine, qui donne des pouvoirs exorbitants au chef de l’Etat et des pouvoirs faibles sinon dérisoires à tous les contre-pouvoirs ; pour observer que la France se tient à l’écart des grandes réformes qui prospèrent dans beaucoup de grands pays, accordant des droits nouveaux aux citoyens, et faisant de la transparence une obligation pour la plupart des questions d’intérêt public.

En quelque sorte, il suffit de suivre l’histoire de ce scandale Tapie, telle que la présente notre documentaire, pour cerner, en creux, ce que pourraient être les grands ressorts de la refondation démocratique dont notre pays a si fortement besoin. A savoir, une remise en cause du présidentialisme ; des pouvoirs nouveaux pour le Parlement ; une véritable justice indépendante, avec notamment la fin de la tutelle du pouvoir politique sur le Parquet et la suppression de la Cour de justice de la République ; une obligation de transparence renforcée pour tous les documents publics, notamment ceux de la Cour des comptes…

A de nombreuses reprises, le scandale a failli être étouffé ; à d’innombrables reprises, la justice a été entravée. Et même aujourd’hui, alors que la justice a repris son cours normal, il est probable que ceux qui ont commis les fraudes de l’arbitrage seront sanctionnés mais on ne peut pas exclure que les commanditaires de cette fraude restent hors de portée de la justice. Alors, ne serait-il pas urgent de réfléchir à cette refondation démocratique ? C’est à cela qu’invite à réfléchir notre documentaire…

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Voici les principales caractéristiques de ce film :

Documentaire
Durée 70’
Auteurs Thomas Johnson et Laurent Mauduit
Réalisation Thomas Johnson
Production Nova Production (Thibaut de Corday) / Ina, avec la participation de France Télévisions
Année 2015

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 Voici, pour mention, quelques journaux, médias et publications qui ont fait mention de notre documentaire :