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Philippe Meyer : « Il faut stopper la dérive de Radio France »

Maintenir l’exigence du service public nécessite d’avoir un projet. C’est ce qui manque à la direction de la Maison ronde depuis plusieurs années, explique Philippe Meyer, producteur à France Culture et animateur à France Inter.

Publié le 26 mars 2015 à 13h56, modifié le 19 août 2019 à 13h01 Temps de Lecture 7 min.

Par Philippe Meyer

Les informations publiées semaine après semaine par Le Canard enchaîné ne sont pas pour rien dans la grève de Radio France, mais on aurait tort de croire qu’elles en sont la cause unique ou même principale. D’ailleurs, lorsque, il y a un an, le même hebdomadaire révéla que le premier geste du PDG fraîchement nommé à l’unanimité par le CSA avait été de réclamer à sa tutelle une substantielle augmentation de salaire, aucune vague d’indignation, de réprobation ou même de simple déception ne parcourut la Maison ronde.

C’est qu’en 2014, après cinq ans d’une gouvernance médiocre, à la fois indolente et brutale, confiée par Nicolas Sarkozy à des amis ou à des complaisants, les personnels de Radio France n’accordaient d’importance qu’à une chose : avoir enfin un projet et un patron. Lors de l’arrivée de leur nouveau président, la plupart des collaborateurs avaient, comme ils l’ont aujourd’hui, conscience de l’importance des défis à relever.

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Le premier de tous est de demeurer un service public dans un monde où l’on fait bon marché de l’intérêt général, dans un domaine, celui de l’audiovisuel, où la spécificité des programmes proposés par les sociétés nationales n’a fait qu’aller en s’érodant, et dans un secteur d’activité, celui de la culture, d’autant plus difficile à faire vivre qu’il est devenu une auberge espagnole en même temps qu’une variable d’ajustement budgétaire.

Des talents révélés

A ceux qui doutent de la nécessité d’un service public, il faut rappeler que, tout au long de son histoire, Radio France a justifié son existence en inventant des émissions et en révélant des talents. Pour les talents, il suffit de parcourir les grilles des radios commerciales : on y verra défiler des noms d’animateurs ou de producteurs dont les premiers pas ont été faits sur les antennes du service public, alors que la situation inverse est inexistante ou exceptionnelle.

Quant aux programmes, où, ailleurs que sur nos antennes, aurait pu trouver place Pierre Desproges, où pourrait-on entendre aujourd’hui les feuilletons de France Culture, les comparaisons en aveugle de « La Tribune des critiques de disques », tant de programmes de reportage, tant d’entretiens préparés, tant de portraits fouillés ?

Maintenir et orienter cette spécificité en période d’austérité demande plus que jamais une vision, une volonté et le sens du risque. Ce sont cette vision, cette volonté, ce sens du risque qui ont été si fortement attendus et dont le défaut, pour l’essentiel, explique la grève.

« Certaines méthodes couramment utilisées feraient même rougir dans des entreprises dont le profit est le seul but affiché »

Non qu’il n’y ait pas de raisons matérielles à ce mouvement : d’abord parce que les personnels ont le droit de savoir quel avenir leur est réservé, plutôt que d’en être réduits depuis un an à interpréter des bruits de couloir, des déclarations dans des antichambres, des confidences à des journalistes médias, démenties dès qu’elles soulèvent une difficulté. Ensuite parce que la « gestion des ressources humaines » de Radio France n’est pas digne d’un service public.

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Certaines méthodes couramment utilisées feraient même rougir dans des entreprises dont le profit est le seul but affiché. Certains manquements, s’ils n’étaient pas le fait d’une société dont l’Etat est l’actionnaire principal, conduiraient leurs responsables devant les tribunaux.

Chacun sait que nous sommes entrés dans une période de vaches maigres. Raison de plus pour apporter des réponses stratégiques aux problèmes économiques. Supplier l’Elysée et Matignon de donner à la Caisse des dépôts l’ordre d’acheter l’un de nos deux orchestres pour alléger le budget de la musique entre-t-il dans cette catégorie ? Les musiciens du National ou du Philharmonique n’ignorent pas que, en Allemagne, 37 formations symphoniques professionnelles ont disparu ou ont été contraintes de fusionner depuis 1992, entraînant la disparition d’environ 2 500 emplois de musicien dans un pays qui les protège mieux que beaucoup d’autres.

Mais ne brandir cette réalité que comme une menace ou une fatalité constitue-t-il une politique ? Pourquoi les formations musicales de Radio France sont-elles aussi gravement sous-utilisées, et pourquoi, hors de France Musique, leur travail est-il pratiquement absent des antennes ? On imagine pourtant quels services pourraient rendre ces orchestres et leurs musiciens dans des programmes d’ouverture et d’initiation à la musique classique, au jazz, à la musique contemporaine. On médite l’exemple donné par le travail approfondi et de long terme de l’Orchestre national de Lille auprès des populations les moins instruites de sa région. Plutôt que de les vendre, pourquoi ne pas associer les musiciens à une redéfinition de leurs missions ?

Maison mère de deux orchestres symphoniques, Radio France est aussi le premier employeur de comédiens du pays. Y a-t-il secret mieux gardé ? Au lieu d’être mise en avant comme l’un de nos atouts, la fiction souffre d’être considérée comme une inévitable obligation de notre cahier des charges, alors qu’une vision dynamique de ces programmes permettrait de leur donner toute la place que nous sommes seuls à pouvoir offrir.

Radio France s’est taillé une place particulière dans le domaine de la chanson. En matière d’interprétation, d’écriture, de composition, la période est foisonnante. Or le nombre de salles ouvertes à cet art est, lui, en diminution constante, et les quelques petits lieux qui demeurent en activité sont presque tous des parkings dont l’accès est payant. Si l’on ajoute que l’industrie du disque et le show-biz ont mis la main sur la plupart des radios commerciales, on mesure l’importance et l’utilité qu’aurait, à travers l’ensemble du réseau de Radio France, le développement d’une politique d’accueil et de rendez-vous. Or France Inter – dont Jean-Louis Foulquier avait fait la chaîne de la chanson – a supprimé trois des quatre émissions qui lui étaient consacrées et faisaient connaître les talents nouveaux.

Une ambition à conserver

En matière d’affaires publiques, nos antennes généralistes se perdent dans la multiplication d’émissions de plateau bavardes, dont les invités sont en général vus et entendus dans tous les médias, alors que notre force est de pouvoir produire des émissions de reportages et d’enquêtes approfondis, susceptibles d’informer intelligemment nos auditeurs sur le monde dans lequel ils vivent, de les aider à le connaître et à le comprendre.

« Notre force est de pouvoir produire des émissions de reportages et d’enquêtes approfondis »

Ces émissions sont dans notre ADN. Cela est vrai pour toutes les chaînes. Elles ont émaillé aussi bien les productions des rédactions que celles, plus légères, diffusées sous l’étiquette des « programmes ». On les a évoquées glorieusement lors du cinquantenaire, tout en continuant à en contredire ou même à en fouler aux pieds l’esprit et les ambitions. Nous disposons, pour relancer de telles émissions, d’un personnel capable, tant à l’antenne que dans les services techniques ; j’ajouterai même que le savoir-faire de cette dernière catégorie de collaborateurs, véritables travailleurs du son, est gravement sous-employé, et qu’on les cantonne à relayer des bruits de bouche alors qu’ils sauraient saisir et retransmettre les rumeurs du monde et en permettre l’analyse.

Les dernières années ont vu les chaînes, et notamment France Inter et France Culture, se livrer à une concurrence absurde, exacerbée par des rivalités et des ambitions subalternes. Faute de pouvoir justifier cette rivalité par une politique de programmes, chaque direction s’est arc-boutée sur des sondages dont la moindre variation à la hausse, le plus souvent inférieure à la marge d’erreur de ce type de mesure, est célébrée comme un Austerlitz, à grand renfort de trompette.

Radio France ne peut pas se payer de cette fausse monnaie, ni se complaire dans cette autosatisfaction ampoulée, ni se replier dans une crainte frileuse. Son mérite a toujours été de proposer à ses publics – je tiens au pluriel – des émissions dont ils ne savaient pas encore avoir envie. C’est ce qui a toujours donné une saveur particulière à son succès. Nous sommes une radio d’offre, avec les risques que cela comporte, pas une radio de marketing, même si le savoir-faire de ceux qui étudient les audiences peut nous aider à placer au mieux nos propositions dans la grille des programmes.

Au lieu de cela, les rares facilités budgétaires actuelles sont attribuées à une entité dite « multimédia » dont la mission semble être de soulager la présidence de toute responsabilité éditoriale en la gavant de sondages dont les réponses sont induites par les questions, tout en professant que l’avenir de la radio est dans la vidéo !

Enfin la rénovation du bâtiment a été conduite avec une irresponsabilité ubuesque. Elle ajoute à l’appauvrissement des moyens de reportages et d’émissions à l’extérieur une raréfaction des studios et des moyens internes qui met en péril la production et laisse craindre que nous n’entrions dans la situation que connaît la télévision publique, dont les producteurs privés ont fait leur vache à lait, tout en exploitant éhontément le statut de l’intermittence et les ressources de Pôle emploi.

Interrogé sur son projet lors d’une récente assemblée générale, le président de Radio France a répondu que, faute de moyens, il lui était impossible de présenter une ambition. Je crains que ce ne soit là que l’on doit trouver la raison la plus forte d’une déception devenue désarroi avant de tourner à la colère.

Lire notre décryptage : Quelles sont les raisons de la colère à Radio France ?

Philippe Meyer est ­producteur de « L’Esprit ­public » à France Culture.
Sur France Inter, il anime ­chaque samedi « La prochaine fois, je vous le chanterai ».
Né en 1947, il est entré à Radio France en 1982.

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