Choses vues dans la France lepéniste

À Hénin-Beaumont, Marine Le Pen fait salle comble à l'entre-deux-tours des départementales. Reportage parmi ces Français qui pensent que le FN "les comprend".

De notre envoyé spécial à Hénin-Beaumont,

Marine Le Pen chaudement accueillie à son arrivée pour un meeting à Hénin-Beaumont, à l'entre-deux-tours des départementales.
Marine Le Pen chaudement accueillie à son arrivée pour un meeting à Hénin-Beaumont, à l'entre-deux-tours des départementales. © SARAH ALCALAY/SIPA

Temps de lecture : 5 min

"Vite, vite, ça va commencer !" Ils arrivent en groupe, en couple ou, pour certains, seuls. On les voit se presser dans les rues sombres et étroites qui entourent la mairie d'Hénin-Beaumont. Il est bientôt 20 heures. On les devine impatients, contents et excités. Et pour cause : Marine Le Pen leur a donné rendez-vous pour un meeting électoral, le seul de l'entre-deux-tours des départementales. Au premier tour, ils ont voté Front national, et ils feront de même dimanche. Ils sont présents parce qu'ils veulent approcher et entendre Marine, tout simplement. Et, qui sait, repartir de là avec une photo. Mais, outre cela, qu'est-ce qui anime donc ces électeurs que Manuel Valls voudrait voir "revenir dans le giron républicain" ? Qui sont donc ces Français que Nicolas Sarkozy tente de séduire en parlant halal et menu des cantines scolaires ?

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À l'entrée de la petite salle des fêtes de la ville, chacun accepte volontiers d'être palpé par un service d'ordre renforcé. La veille, un local de la mairie a été incendié. "À mort, Briois (le maire d'Hénin, NLDR)", pouvait-on lire sur un des murs. "C'est nul, soupire Éric, un jeune Héninois, accompagné de sa mère. Allez, viens, maman, on entre." Dans la salle - parquet au sol, murs peints en gris et boule à facettes - règne une ambiance festive. Inspiré, le technicien du son a programmé des tubes de David Guetta et de la soul des années 1970. Les rangées de chaises se remplissent rapidement.

La foule au meeting de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont ©  SARAH ALCALAY/SIPA
La foule au meeting de Marine Le Pen à Hénin-Beaumont © SARAH ALCALAY/SIPA
Kevin, habillé d'un blazer pour l'occasion, et ses enfants restent debout, faute de place. La famille arrive d'un petit patelin près de Douai, à 10 kilomètres d'Hénin. Dans la vie, Kevin est soudeur. Ses enfants, il en a quatre, deux garçons - qui arborent la même coupe de cheveux : à blanc sur les côtés et cinq centimètres sur le haut du crâne - et deux filles, vont tous à l'école. Les filles s'en sortent bien, dit-il. En revanche, pour les garçons, c'est plus compliqué. "Ils ne savent pas quoi faire." Il raconte la dureté de la vie, les factures qui s'accumulent, l'essence trop chère, les copains qui sombrent dans l'alcool parce que pas de travail. Ses enfants, qui connaissent l'histoire par coeur, pianotent frénétiquement sur leurs téléphones dernier cri. Pour se donner une contenance - au moins l'un d'eux n'a pas de réseau - ou pour répondre à un message Facebook. Comme les autres spectateurs, ils attendent Marine. Pourquoi Marine ? Kevin hausse les épaules : "Elle nous comprend." C'est tout. Ne surtout pas chercher en quoi elle les comprend. Il le ressent comme ça, voilà.

Désillusions et trahisons

Près d'eux, il y a Philippe Broutard, candidat FN aux cantonales à Denain, dans le Nord ("près de 45 %, Monsieur !"). Un véritable Marseillais du Nord, jovial et bavard. Aux revers de sa veste, il porte deux pin's, un drapeau tricolore et la flamme frontiste. Dans les années 1980, Philippe - qui nous invite à l'appeler par son prénom, soit - a voté François Mitterrand. Il était chauffeur routier et, quoi de plus normal, alors, lorsqu'on exerce un métier difficile payé au lance-pierres, que de voter socialiste. Mais, très vite, affirme-t-il, il y a eu les désillusions, les trahisons et "les accords avec l'Europe qui ont détruit l'activité dans la région", notamment celle du bassin minier. De son talon, Philippe frappe fort le parquet de la salle des fêtes : "Vous voyez, là, sous nos pieds, nous avons le meilleur charbon du monde !" décrète-t-il, assurant que Bruxelles, en matière de charbon, a fait la part belle à l'Allemagne.

Il raconte en outre la difficile cohabitation, à Denain, près de Valenciennes, entre les habitants de longue date, y compris d'origine étrangère, et les Roms "que la maire PS a sédentarisés". Le chômage y est de 20 % et beaucoup de jeunes tournent en rond, comme d'ailleurs leurs pères, dont certains ne font plus rien depuis la fermeture, en 1988, d'Usinor, la grande usine de métallurgie. Mais Philippe insiste pour dire que les Denaisiens, malgré les difficultés, "font belles apparences. Ils sont dignes", mine-t-il la tête haute et le dos droit. Politiquement, il renvoie l'UMP et le PS dos à dos. L'hypothèse d'un vote Sarkozy ne l'enchante guère : "Lui, comme on dit ici, c'est un grand diseux et un tiot (petit, NDLR) faiseux." Quant au vote PS, il ne se donne même pas la peine de répondre. Sa moue réprobatrice parle pour lui.

"On se moque de nous, de nos candidats, de nos physiques"

Dans la France lepéniste du Nord, blanche et populaire, il y a également Hervé, 28 ans, qui travaille dans la "logistique" et gagne 1 300 euros par mois. Il vote Marine, car il en a "assez de voir des gens qui ne foutent rien et qui, grâce aux aides, vivent aussi bien que des travailleurs". Pour lui aussi, la vie est dure, car il doit assister son père, ancien mineur de fond atteint de la silicose - maladie pulmonaire due à la poussière de charbon. "Il perçoit 930 euros par mois, c'est misérable", déplore Hervé. Sa voisine, Marie-Ange, se présente comme "une oubliée" du système et veut témoigner du mépris des notables locaux, mais aussi des médias et des élus nationaux : "On va parfois chercher des explications psychologiques à notre vote FN. Mais quoi ? On est des fous, c'est ça ? On se moque de nous, de nos candidats, de nos physiques."

Marine Le Pen lors de son meeting d'Hénin-Beaumont, le 25 mars ©  Michel Spingler/AP/Sipa
Marine Le Pen lors de son meeting d'Hénin-Beaumont, le 25 mars © Michel Spingler/AP/Sipa
La salle bascule soudain dans l'obscurité. Au micro, un militant annonce l'arrivée de Marine Le Pen. La présidente du FN fend la foule, accompagnée du maire Steeve Briois. Durant sa prise de parole, elle tapera sur Valls ("Naboléon !" hurle un spectateur) et Sarkozy ("Petit Napoléon !"), elle évoquera les résultats de dimanche, pronostiquera la victoire du FN dans quatre régions en décembre prochain. Elle aura également un mot pour ces candidats FN qui sont "bouchers, chauffeurs de taxi, mères de famille" et que "l'UMPS méprise". Dans la salle, tout le monde acquiesce. Même les enfants de Kevin, qui ont daigné lâcher leurs portables.

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Commentaires (25)

  • Mama Bea

    Peut-être ne cherchent-ils pas plus à comprendre ce que MLP a comme programme ; pour ces habitants, l'essentiel est de voir un nouveau parti et sans doute pas à creuser ce que le fond du FN vaut vraiment. Peut-être confondent-ils miracles et mirages !

  • Germin69

    Il ne faut pas s'étonner qu'un pays arrivé au bout du bout de son laxisme (hausse d'impôts comme seules réponses à l'envolée des charges indues, multiplication des strates locales régionales, nationales, aucune réforme de fond depuis des lustres pour restaurer une compétitivité indispensable dans une économie mondialisée, basse politique du PS pour faire monter le FN et donc, en affaiblissant la droite, arriver au pouvoir en 81, ait envie de renverser la table.
    Les politiques traditionnels n'ont pas le choix s'ils veulent continuer à exercer le pouvoir, il va falloir enfin prendre les décisions courageuses et impopulaires, dans un bref délai, pour restaurer notre compétitivité et jeter les bases d'un nouvel avenir.

  • justinien10

    Je comprends parfaitement le désespoir des électeurs du FN, inquiets et appauvris par 40 ans de politiques ineptes.
    Mais les solutions proposées par le FN nous conduiraient à la catastrophe !
    Philippot à vanté, par exemple, la politique de l'Argentine, alors que ce pays est en ruine, avec 40% d'inflation, 25% de chômeurs, 0% de croissance, des pénuries partout et des magasins vides. Et c'est la même politique «nationale» qu'il veut appliquer !
    Le FN à un programme économique d'extrême gauche, totalement irréaliste.
    La solution se trouve chez nos voisins qui réussissent, comme l'Allemagne : diminuer les dépenses de l'État et donc les impôts, simplifier le droit du travail, simplifier la carte administrative du pays, concentrer les aides sociales sur la formation professionnelle, limiter les carrières politiques à un ou deux mandats.
    Le protectionnisme, le retour au Franc, feraient de la France une grande Grèce, sans le soleil.