Théâtre - Rwanda : le génocide dit par la radio

Deux pièces, "Hate Radio" et "Samedi détente", reviennent sur le génocide. Milo Rau et Dorothée Munyaneza passent par le média radio pour le raconter.

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Une scène de

Une scène de "Samedi détente" de Dorothée Munyaneza.

© Laura Fouquere

Temps de lecture : 4 min

Au théâtre, le génocide rwandais est un sujet récent. Plus récent qu'en littérature, qui depuis l'opération "Rwanda : écrire par devoir de mémoire" lancée dès 1995 par l'association Arts et Médias est régulièrement nourrie d'essais et de fictions autour de cette tragédie. Rwanda 94 (2000) du collectif Le Groupov est la première création théâtrale à faire date. Avec une tournée internationale, de nombreux prix et même une représentation au Rwanda en 2004 dans le cadre de la commémoration du dixième anniversaire du génocide, ce spectacle-fleuve de six heures a ouvert la scène théâtrale au massacre déclenché par la mort du président Habyarimana dans un accident d'avion, le 6 avril 1994.

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Hate Radio déjà passée au Festival d'Avignon

Depuis, quelques dramaturges et comédiens se sont attelés au Rwanda. Parmi eux, le Suisse-Allemand Milo Rau avec Hate Radio – grand succès du Festival d'Avignon en 2013 et repris après au théâtre Nanterre-Amandiers - et plus récemment la danseuse et chanteuse Dorothée Munyaneza avec Samedi détente créée fin 2014, découverte à Paris en janvier 2015 au Monfort. En plus d'être jouées au même moment sur les scènes françaises et européennes, ces deux pièces présentent une grande similitude thématique : toutes deux traitent du génocide à travers l'histoire de la radio. Celle de la Radio Télévision libre des mille collines (RTLM) pour Milo Rau et de l'émission musicale Samedi détente de Radio Rwanda pour Dorothée Munyaneza, qui faisait la part belle à la chanson étrangère.

 

L'approche n'est pas tout à fait neuve : dans Rwanda 94 déjà, le rôle des médias dans l'organisation du génocide était abordé. Mais loin d'être placée au premier plan par le collectif Le Groupov, la radio apparaissait comme un maillon parmi d'autres d'une longue chaîne génocidaire dominée par le gouvernement pro-Hutu et ses idéologues. Milo Rau et Dorothée Munyaneza n'ont pas la prétention d'innover. On n'innove pas autour d'un génocide. Ils ont plutôt cherché à exprimer la modernité de cette tuerie responsable de 800 000 morts. Milo Rau surtout, pour qui "le génocide rwandais est post-moderne : il ne s'est jamais caché derrière une dictature, mais derrière un visage démocratique capable de dire en souriant que la majorité doit exterminer la minorité. Avec son ton enjoué et sa programmation musicale, la RTLM a été un des outils principaux de cette banalisation du mal." Créée en été 1993 à l'initiative de l'entourage du président Habyarimana, cette chaîne diffusait en effet en continu des incitations à la haine interethnique. Sans détour, Hate Radio montre cette violence sur fond de rumba congolaise et de tubes internationaux.

Le Suisse Milo Rau pratique "un théâtre réel"

Élève de Bourdieu, essayiste, journaliste et réalisateur en plus d'être metteur en scène, Milo Rau pratique ce qu'il appelle un "théâtre réel". Sur scène, il convoque les acteurs des épisodes historiques auxquels il s'attache, donne souvent à voir le décor dans lequel ils ont évolué. Comme le procès du dictateur roumain Ceausescu (Les Dernières Heures de Ceausescu, 2009) ou celui des Pussy Riots (Le Procès de Moscou, 2013), le génocide rwandais se prêtait à ce type de traitement. La grande majorité des pièces portant sur le Rwanda – celle du Groupov y compris – ont d'ailleurs une forte dimension documentaire."J'ai pensé Hate Radio comme une pièce muséographique. Après avoir écouté plus de 1 000 heures d'émissions et rencontré victimes et bourreaux, j'ai reconstitué sur scène les studios de la RTLM", précise le metteur en scène. Sur cette scène-studio, trois comédiens interprètent l'émission créée par Milo Rau à partir de toutes les archives étudiées. Toujours par souci de réel, deux de ces comédiens – Diogène Ntarindwa et Nancy Nkusi – ont vécu le génocide. Le troisième, Sébastien Foucault, incarne Georges Ruggiu, le seul animateur blanc de la radio. Le spectateur les entend grâce à des casques, qui créent une singulière impression de distance en même temps que de proximité.

Pour Dorothée Munyaneza, un besoin de formaliser l'horreur

Pour Dorothée Munyaneza, mettre le génocide en pièce est moins politique que pour Milo Rau. Question de distance. Pour elle, poser un geste artistique – sa première chorégraphie, qui plus est – sur cette tragédie répondait à un besoin de formaliser l'horreur. "Je voulais parler d'un moment de mon enfance et d'une enfance qui ne l'a plus été, car la plupart des membres de ma famille et des amis avec qui je jouais et écoutais de la musique à la radio ont été massacrés." Après une introduction où elle et le musicien Alain Mahé posent le cadre de l'émission radiophonique, le témoignage de la chorégraphe prend le pas sur Samedi détente. La radio de Dorothée Munyaneza est aussi réelle que celle de Milo Rau, mais différemment.

 

Dans Samedi détente, les corps disent le génocide autant que les paroles. Avec la danseuse Nadia Beugré, Dorothée Munyaneza est loin de l'idée de banalité du mal exprimée par Milo Rau : tout, dans sa pièce, dit une douleur et son nécessaire dépassement. La radio y est à la fois outil de mémoire et d'oubli. De distanciation et de rappel de la souffrance. "Je voulais parler de la mort en faisant référence à un moment de vie, de partage. Encore aujourd'hui je cherche la distance juste pour partager cette parole", dit la chorégraphe de Samedi détente. Chez elle comme chez Milo Rau, la radio est avant tout un prisme idéal pour dire une dualité, un flou : celui des Rwandais et du monde actuel face à un épisode qui a marqué l'histoire de la violence.

 

 

Pour suivre la suite de la tournée de ces spectacles, aller sur le site Anahi spectacle vivant.