LES PLUS LUS
Publicité

Dépenses bloquées, prestataires essorés, départs en série : dans l'enfer de SFR

Depuis son rachat par Patrick Drahi, l’opérateur vit des mois agités. Des méthodes mal vécues en interne.

Matthieu Pechberty , Mis à jour le
Patrick Drahi lors de l'annonce des négociations exclusives entre Altice/Numéricable et Vivendi, pour le rachat de SFR, à Paris, le 17 mars.
Patrick Drahi lors de l'annonce des négociations exclusives entre Altice/Numéricable et Vivendi, pour le rachat de SFR, à Paris, le 17 mars. © Marlène Awaad/ IP3

A l'automne dernier, le nouveau propriétaire de SFR, Patrick Drahi, visite quelques boutiques en passe d'être rénovées en région parisienne. Le directeur du réseau, Frank Cadoret, parti depuis, chiffre les travaux à 100.000 euros par magasin. Drahi, s'appuyant sur le regard noir d'un de ses soldats, lance : "30.000 euros suffiront". En place depuis quatre mois, la nouvelle direction de l'opérateur télécoms a lancé une vaste chasse aux dépenses. La découverte du nouveau siège à Saint-Denis, qu'elle considère trop luxueux, l'a agacée. "Si on était arrivé avant, on n'aurait pas emménagé ici", confie en souriant un dirigeant. Depuis, la conciergerie, symbole du confort, a fermé. En décembre, lors d'une réunion du mercredi matin avec son staff, Patrick Drahi apprend que quinze cadres doivent se rendre à Las Vegas pour la grande messe mondiale de la high-tech. Il refuse et lâche : "Je n'ai pas envie de payer leurs vacances." Aucun ne partira.

Publicité

Le président de SFR est comme ça : direct, parfois brutal à regarder dans les moindres recoins. "Il est sur la bête", résume un concurrent qui l'a vu à l'œuvre chez Numericable. Les notes de frais sont passées au crible, les repas d'équipe interdits. Et la rumeur court qu'il a été jusqu'à réduire le nombre de chemises des vendeurs en boutique… Un comportement qui tranche avec les pratiques du précédent propriétaire, Vivendi. Depuis trois ans, SFR flottait, sans véritable stratégie. Sans réelle prise en main dans un secteur des télécoms bouleversé par l'arrivée de Free . Le contraste est violent. "On a l'impression qu'ils sont là depuis un an, tellement de décisions sont prises", assure Fabrice Pradas, syndicaliste de l'Unsa, qui reconnaît que "Drahi connaît mieux la boîte que les anciens dirigeants".

La suite après cette publicité

Délocalisations des centres d'appels

Début janvier, tous les projets ont été gelés, les factures bloquées et épluchées une à une. Drahi veut dégager 600 millions d'euros par an pour rembourser les 13 milliards de dettes qu'il a contractées pour racheter SFR en 2014. "L'entreprise perd 15% de chiffre d'affaires par an et il n'y a plus de marges. Ça ne peut plus continuer, se défend la direction. Il n'y avait pas de maîtrise des dépenses. Aujourd'hui, chaque euro compte."

La suite après cette publicité

Lire aussi : SFR offre 7,5 milliards d'euros pour racheter Bouygues Telecom

"La ligne directrice est claire : c'est –30% ou on ne paie pas", explique un dirigeant parti il y a peu. L'effet a été immédiat. SFR faisait très largement appel à des consultants : les dizaines de millions d'euros de contrats ont été coupés. Les coûts informatiques, de 200 millions d'euros par an, doivent être divisés par quatre… Les prestataires, comme Sopra ou CapGemini, ne sont plus payés et ont porté plainte auprès du médiateur inter-entreprises, Pierre Pelouzet. Il rencontrera demain la secrétaire d'État au numérique, Axelle Lemaire , pour en parler. "Avec Emmanuel Macron , ils s'inquiètent de ce qui se passe chez SFR", assure un haut fonctionnaire de Bercy. D'autres groupes comme Vinci, Veolia ou Spie sont touchés par les renégociations forcées de contrats. "Les contentieux pleuvent par dizaines", confie un cadre. Des PME, dans la sécurité, par exemple, pour qui SFR pèse 30% ou 40% du chiffre d'affaires, menacent de mettre la clé sous la porte.

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

Les centres d'appels sont au bord de l'asphyxie. Le leader, Teleperformance, court après 40 millions d'impayés. "J'ai dû envoyer un avocat pour récupérer une facture d'un million d'euros, explique un petit acteur. Drahi nous demande –35% donc on va arrêter de bosser avec lui." Tout le secteur, déjà ébranlé par l'arrivée de Free, souffre à cause de ces méthodes. "Orange, Bouygues et Free menacent aussi de renégocier leurs contrats", se plaint la fédération professionnelle. Les téléopérateurs craignent surtout que SFR délocalise ses centres d'appels au Portugal. En rachetant Portugal Telecom il y a deux mois, Patrick Drahi s'est engagé à créer là-bas 4.000 emplois dans les call centers. Son groupe, Altice, promet que cela ne concernera pas la France…

En quelques semaines, 55 directeurs ont été évincés

Les salariés aussi subissent ce changement brutal. En quelques semaines, 55 des 70 directeurs qui gagnaient plus de 150.000 euros par an ont été évincés du jour au lendemain. Avec, toutefois, de gros chèques à la clé. Une centaine d'autres cadres ont suivi. Sans compter les salariés. "Ces trois derniers mois, le service informatique a reçu 250 ordinateurs rendus…", raconte un responsable de SFR pour évaluer le nombre de départs réels. "SFR vit un tremblement de terre dans une ambiance délétère", explique le syndicat Smile. Les réorganisations du service informatique, du réseau et de l'équipe "entreprise" sont en cours. Le service marketing est abandonné ; celui de l'innovation, démantelé.

Des dizaines de personnes sont "en mobilité" sur des postes dont ils ne veulent pas ou attendent d'en avoir. Une manière de les pousser à partir. "Le message est "soyez contents d'avoir un job", explique un syndicaliste. Il y a beaucoup de départs individuels, négociés avec la direction." Tous les moyens sont bons pour contourner l'accord conclu avec le gouvernement de ne pas supprimer d'emplois pendant trois ans. Malgré ces secousses, les syndicats restent très discrets, même les plus durs, la CGT et FO. "Il y a une anesthésie syndicale chez SFR, constate un élu. Les salariés ont peur pour leur job." Peut-être aussi car, il y a quelques mois, la direction s'est adjoint les services de Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy et spécialiste des négociations avec les syndicats. "Certains syndicalistes ont conclu des accords avec la direction pour avoir des primes et des augmentations de salaire", lâche un représentant du personnel. La guerre syndicale, dernier signe d'une ambiance pourrie chez SFR. 

Source: JDD papier

Contenus sponsorisés

Sur le même sujet
Immeuble parisien.
Economie

Qu’est-ce que le logement intermédiaire ?

L’ANTISÈCHE. Le logement intermédiaire est une catégorie de logements. De quoi s’agit-il ? Chaque jour, le JDD répond à une question pas si bête que ça, pour mieux comprendre l’actualité.

La firme se classe dans le top 10 des entreprises du service numérique mondial.
Economie

Qu’est-ce qu’Atos ?

L’ANTISÈCHE. Leader européen de la cybersécurité et partenaire informatique mondial des Jeux olympiques et paralympiques, l’entreprise Atos est aujourd’hui en difficulté. De quoi s’agit-il exactement ? Chaque jour, le JDD répond à une question pas si bête que ça, pour mieux comprendre l’actualité.

La France conserve sa note au niveau "Aa2" avec des perspectives stables.
Economie

Immobilier : du mieux du côté des taux

Moody's maintient la note de crédit de la France à Aa2. De son côté, Fitch, qui avait réduit sa note d'un cran l'année précédente, la conserve cette fois à AA –. Maël Bernier, porte-parole de Meilleurtaux, décrit les conséquences qu'aurait pu avoir une décision différente sur les taux d'intérêt.

Publicité