La Croix : Comment expliquer que malgré la lourdeur de la défaite électorale, l’exécutif maintienne le cap de sa politique ?

Rémi Lefebvre : C’est le paradoxe. Il est sanctionné par les urnes en raison notamment d’une démobilisation des électeurs de gauche, désemparés et déçus par François Hollande, et il est hors de question pour lui de changer de politique économique.

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles il ne peut pas revenir en arrière. Il y a une option idéologique qui a été prise, celle de la politique de l’offre, désormais totalement assumée par le premier ministre Manuel Valls.

Et puis il y a une question de cohérence. On a beaucoup reproché à François Hollande, au début de son quinquennat, de ne pas avoir de cap politique. L’exécutif ne veut pas donner l’impression d’être dans le louvoiement. En apparence, le résultat des urnes semble par ailleurs lui donner raison puisque les listes de la gauche de la gauche ne progressent pas.

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Au fond, comment interpréter le message des urnes ? Les électeurs veulent-ils une politique plus à gauche ou au contraire plus à droite ?

R.L. : C’est toujours compliqué de situer la France idéologiquement car l’opinion publique est très contradictoire. Il y a certes une droitisation de la société sur le plan des valeurs, une aspiration à davantage d’ordre et de sécurité.

Mais il ne faut pas se tromper : les bons scores du Front national doivent aussi être interprétés comme une aspiration des milieux populaires à plus de protection, plus de social. L’attente de radicalité à gauche est aussi portée par le vote FN. Penser que la position de Manuel Valls n’est que le reflet d’une société droitisée est à mon sens une erreur. Les urnes démontrent le contraire.

François Hollande qui doit faire l’union de la gauche en vue des prochaines échéances électorales peut-il rassembler sur cette ligne économique ?

R.L. : Le PS est dans une impasse stratégique et idéologique : il ne peut pas y avoir de victoire aux élections sans union de la gauche, et il ne peut pas y avoir d’union sans réorientation de la politique gouvernementale.

Et comme cette réorientation n’est pas pensée comme possible, la gauche va droit dans le mur aux prochaines élections régionales. C’est la chronique d’une autodestruction annoncée car d’élection en élection, le PS est en train de se décomposer localement. Son congrès peut être le lieu du débat sur la politique économique.

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Objectivement, beaucoup d’éléments donnent raison aux frondeurs puisque cette politique s’est avérée catastrophique électoralement et inefficace économiquement. Mais les partisans d’une réorientation sont divisés. La question est : y aura-t-il, à la gauche du PS, une coalition structurée porteuse d’une alternative ?

François Hollande et Manuel Valls poursuivent-ils dans ce domaine les mêmes objectifs ?

R.L. : Ils sont assez complémentaires, comme on l’a vu pendant la campagne, mais au fond leurs intérêts divergent. Manuel Valls sait que l’appareil socialiste est contre lui, et il a intérêt à ce que celui-ci s’affaiblisse. Il se dit qu’après 2017 et la défaite qui se profile, il pourra recomposer la vie politique sur de nouvelles bases. C’est la stratégie de la terre brûlée.

Alors que François Hollande veut être réélu et pour ça, il lui faudra plus d’unité à gauche. Pour l’instant, il joue la montre. S’il ne peut pas remanier après chaque élection intermédiaire, on peut penser qu’après les régionales, il cherchera un premier ministre plus compatible avec une stratégie d’union. Manuel Valls n’est pas le bon profil pour préparer l’élection présidentielle.