L'ancien président Nicolas Sarkozy a été entendu par la police judiciaire dans le cadre de l'affaire Bygmalion, selon nos informations. Son audition est la suite logique de cette enquête sur un éventuel financement illicite de sa campagne présidentielle de 2012. Les juges et les enquêteurs s'interrogent sur son degré de connaissance du tour de passe-passe financier mis en place pour que l'UMP paie ses dépenses en tant que candidat.
Après Jérôme Lavrilleux à la mi-juin, et avant d'autres responsables de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012, les deux experts-comptables du candidat de l'UMP il y a trois ans avaient été mis en examen les 2 et 3 juillet pour usage de faux, recel d'abus de confiance, escroquerie et complicité de financement illégal de campagne électorale.
L'UMP est accusée d'avoir organisé un système de fausses factures pour que les dépenses de campagne de Nicolas Sarkozy pour l'élection présidentielle de 2012 restent inférieures au plafond autorisé par la loi.
En clair : une partie des frais occasionnés par la campagne de M. Sarkozy n'était pas réglée par son association de financement, l'Association pour le financement de la campagne de Nicolas Sarkozy, comme cela aurait dû être le cas. Bygmalion, l'entreprise prestataire de la campagne, les facturait en réalité à l'UMP, au prétexte d'événements plus ou moins fictifs. Le principe permettait à la campagne de M. Sarkozy de ne pas dépasser le montant de dépenses autorisées, tout en bénéficiant de prestations (l'organisation de meetings notamment) indûment facturées au parti.
Officiellement, au lieu des meetings de campagne, ce sont donc des conventions thématiques organisées pour l'UMP qui ont été facturées. Les révélations successives dans la presse ont montré que ces dernières présentaient un coût largement exagéré, parfois même elle étaient fictives, certains de leurs participants – des élus de l'UMP – n'en ayant aucun souvenir, comme le racontait Libération en révélant l'affaire.
Ce présumé montage financier n'a pas empêché la défaite de M. Sarkozy. En outre, le Conseil constitutionnel, confirmant une décision de la Commission nationale des comptes de campagne et du financement de la vie politique, avait invalidé en juillet 2013 les comptes du candidat de l'UMP, constant un dépassement des plafonds de dépenses autorisés – ce qui avait annulé le remboursement des frais de campagne.
Mais les « sages » semblent avoir été loin du montant réel des dépassements : 18 556 175,95 euros de fausses factures, selon les conclusions de l'enquête préliminaire, dont Le Monde a pu prendre connaissance. Soit une campagne au coût total d'environ 41 millions d'euros, bien au-delà du plafond légal de 22,509 millions d'euros.
C'est une filiale de Bygmalion, Event & Cie, qui a organisé les meetings du candidat Sarkozy en 2012 ainsi que plusieurs conventions pour l'UMP.
La société Bygmalion a longtemps été dirigée par Bastien Millot, très proche de Jean-François Copé – elle est aujourd'hui dirigée par Guy Alves, chef de cabinet de M. Copé quand ce dernier était ministre du budget (2005-2007), qui lui a confié l'intégralité de la communication du parti à partir du moment où il en a pris la tête, en 2012.
Son chiffre d'affaires est passé du néant à 20,1 millions d'euros entre 2010 et 2012 grâce à la dernière campagne présidentielle.
Depuis l'automne, les enquêteurs de l'Office central de lutte contre les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) ont entendu plusieurs anciens cadres de l'UMP, de la campagne de Nicolas Sarkozy et de Bygmalion, afin de déterminer les responsabilités des uns et des autres.
Jérôme Lavrilleux Mis en examen
Il était directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy et directeur de cabinet de Jean-François Copé à l'UMP. En mai 2014, au bord des larmes à la télévision, il avait le premier reconnu des « dérapages » financiers pendant la campagne. Il a été mis en examen le 15 juin 2015.
« Il y a eu des factures présentées à l'UMP qui correspondaient à des dépenses faites pour la campagne, une manière de ventiler comptablement ces dépenses », a-t-il expliqué aux enquêteurs, selon les informations recueillies par Le Monde. C'est lui qui a imposé Bygmalion à l'UMP pour assurer la communication et, surtout, qui aurait proposé le système frauduleux, a affirmé aux enquêteurs le directeur adjoint d'Event & Cie, Franck Attal :
« [Début avril], ils me disent que le rythme des meetings va encore s'accélérer mais qu'il y a un problème d'ordre financier lié au plafond de campagne qui va être complètement dépassé. Jérôme Lavrilleux propose alors de facturer des prestations relatives aux meetings de campagne sur des conventions UMP. Il me demande donc de faire des fausses factures. J'ai l'impression que tous les participants à cette réunion sont piégés. »
Eric Cesari Mis en examen
Nommé directeur général de l'UMP en 2008 après le départ de Nicolas Sarkozy pour l'Elysée, ce très proche de l'ancien chef de l'Etat était surnommé « l'œil de Moscou » ou, sans ambiguïté, « l'œil de Sarkozy ».
Selon Jérôme Lavrilleux, interrogé par les enquêteurs, c'est lui qui aurait organisé le système :
« Fin mai 2012, (...) Eric Cesari et Fabienne Liadzé [alors directrice des ressources de l'UMP] m'ont indiqué alors qu'il était impossible de mettre toutes les dépenses dans les comptes de campagne et qu'il faudrait donc ventiler le surplus des dépenses sur le compte de l'UMP. Je ne peux pas vous dire si c'était l'idée de M. Cesari ou s'il me transmettait la décision prise par un tiers. »
Fabienne Liadzé Mise en examen
A la fois directrice financière de l'UMP et responsable du pôle finances de la campagne de 2012, elle est accusée par Jérôme Lavrilleux et Bygmalion d'avoir participé à la fraude comme « exécutante ». Mise en examen pour abus de confiance et faux et usage de faux en octobre 2014, elle aurait réalisé elle-même les fausses factures avec le comptable de Bygmalion, à en croire la version des faits de Franck Attal.
Pierre Chassat Mis en examen
Il était directeur de la communication de l'UMP, et directeur adjoint du cabinet de Jean-François Copé, aux côtés de Jérôme Lavrilleux. Mis en examen pour abus de confiance et faux et usage de faux, sa signature aurait été nécessaire pour valider les factures des conventions thématiques qui ont servi à couvrir les dépenses de la campagne présidentielle – ce qu'il dément.
Guillaume Lambert Mis en examen
C'était le directeur de la campagne de Nicolas Sarkozy. Selon nos informations, il était la « courroie de transmission » entre la réunion stratégique quotidienne de la campagne et l'UMP.
Jérôme Lavrilleux témoigne notamment du fait que MM. Lambert et Attal (patron d'Event & Cie) lui ont explicitement indiqué « qu'il était impossible de mettre toutes les dépenses dans les comptes de campagne et qu'il faudrait donc ventiler le surplus des dépenses sur le compte de l'UMP ».
Philippe Briand Mis en examen
C'était le trésorier de campagne. Aujourd'hui député et maire UMP d'Indre-et-Loire, il dément fermement avoir été au courant des fraudes, faisant valoir qu'il ne faisait que signer les chèques pour l'organisation des meetings, sans en être l'ordonnateur. « A aucun moment je n'ai donné d'ordre là-dedans. Je n'ai fait que valider les devis et les transmettre pour paiement », s'est-il défendu.
Philippe Blanchetier Mis en examen
Il était le trésorier de l'association de financement du Club des amis de Nicolas Sarkozy. Egalement avocat de l'UMP, il a défendu Nicolas Sarkozy devant la Commission des comptes de campagne, qui avait invalidé les comptes de l'ancien président. On ignore ce qui lui serait précisément reproché.
Bastien Millot Mis en examen
Cofondateur de Bygmalion, il est proche de Jean-François Copé, dont il a été le directeur de cabinet à Meaux. Sans nier l'existence des fausses factures, il a affirmé que Jérôme Lavrilleux n'avait « pas monté tout cela tout seul » et qu'il n'avait été « qu'un rouage dans une organisation plus large », sous-entendant que M. Copé aurait pu avoir été mis au courant par M. Lavrilleux de l'affaire. Bastien Millot a été mis en examen le 1er octobre 2014.
Franck Attal Mis en examen
Patron de la filiale événementielle de Bygmalion, il a témoigné ainsi des pressions et des demandes de l'équipe de campagne : « Je me souviens avoir rencontré, début avril, à l'UMP, Fabienne Liadzé [directrice des ressources de l'UMP], Jérôme Lavrilleux et Eric Cesari [...]. Et c'est là qu'ils me disent que le rythme des meetings va encore s'accélérer mais qu'il y a un problème d'ordre financier lié au plafond de campagne qui va être complètement dépassé. Jérôme Lavrilleux propose alors de facturer des prestations relatives aux meetings de campagne sur des conventions UMP. Il me demande donc de faire des fausses factures. »
Guy Alves Mis en examen
Autre cofondateur de Bygmalion, il a été mis en examen le 1er octobre 2014. Il justifie d'avoir accepté les fraudes pour pouvoir payer ses sous-traitants : « Je suis face à une demande de franchissement de la ligne jaune, c'est-à-dire accepter des fausses écritures. Mon choix est alors soit d'accepter ces irrégularités ».
Matthieu Fay
Comptable de Bygmalion, il a affirmé aux enquêteurs avoir facturé à l'UMP 35 conventions, pour environ 300 000 euros chacune. Il est ressorti libre de sa garde à vue, en octobre 2014.
Le président-candidat avait toutes les chances de connaître l'existence de ces fausses factures. Plusieurs éléments vont dans ce sens :
- Une note de Pierre Godet, l'expert-comptable qui signait les comptes de campagne, adressée à Nicolas Sarkozy, le 26 avril 2012, soit cinq jours après le premier tour. Cette note mentionne que les dépenses prévisionnelles ou engagées pour le premier tour (18 399 000 euros) sont déjà supérieures au plafond autorisé (16 851 000 euros).
- Un entretien entre le président-candidat et Jean-François Copé, alors patron de l'UMP. En témoigne un SMS de Guillaume Lambert à Jérôme Lavrilleux, déjà évoqué par Le Figaro, dans lequel le premier explique au second : « Nous n'avons plus d'argent. JFC en a parlé au PR [président de la République] ».
Jérôme Lavrilleux assure de son côté qu'il a gardé Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé dans l'ignorance, « pour éviter les conséquences politiques prévisibles ».
L'UMP est pour le moins dans l'embarras. L'enquête préliminaire semble éliminer la piste de l'enrichissement personnel ou du détournement de la part du « clan Copé », mais indique bien qu'il s'agissait ici de financer une campagne présidentielle dont les budgets explosaient les plafonds autorisés.
Elle corrobore en outre l'explosion des dépenses de l'UMP pour 2012, visible dans ses comptes officiels.
L'information judiciaire ouverte pour « faux, usage de faux, abus de confiance et tentative d'escroquerie » pourrait déboucher sur d'autres chefs de poursuite, notamment celui de fraude électorale, passible de 3 750 euros d'amende et d'un an de prison.
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