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décryptage

Comment contrôle-t-on le casier judiciaire des enseignants ?

L'affaire du directeur d'école de l'Isère, déjà condamné en 2008, relance le débat sur le partage d'informations entre le parquet et l'Education nationale.
par Marie Piquemal
publié le 31 mars 2015 à 16h59
(mis à jour le 31 mars 2015 à 20h34)

L'enseignant de l'Isère, soupçonné de viols sur plusieurs de ses élèves, est radié dès ce mardi de l'Education nationale… Non pas sur la base de l'enquête judiciaire en cours, mais à cause de sa condamnation en 2008. Ce professeur, également directeur d'une école primaire à Villefontaine, avait écopé de six mois avec sursis pour détention d'images pédopornographiques.

D'où cette question : comment se fait-il que l'enseignant, déjà condamné, soit resté à son poste, au contact d'enfants ? Le Premier ministre, Manuel Valls, a reconnu dimanche qu'il y avait eu «des défaillances et sans doute fautes» dans la gestion administrative de son dossier. Les ministres de l'Education et de la Justice ont diligenté une mission conjointe sur «les conditions dans lesquelles la condamnation pénale d'un enseignant a été ou non portée à la connaissance de l'administration publique compétente». Résultats annoncés le 30 avril.

Par ailleurs, mardi en fin de journée, la ministre Najat Vallaud-Belkacem a indiqué que «l'affaire de Villefontaine malheureusement n'est pas un cas isolé», évoquant d'autres cas examinés par ses services. «Nous ne traitons rien à la légère, nous vérifions avec le parquet», a-t-elle ajouté. «La non-transmission par la justice des condamnations à l'Education nationale est plus fréquente que nous le pensions. C'est un vrai problème que nous devons prendre à bras-le-corps.» Elle a fait savoir qu'elle réunirait, avec sa collègue de la Justice Christiane Taubira, les procureurs généraux et les recteurs «pour y travailler ensemble». En attendant, rappel de ce que prévoient (ou pas) les textes.

Un enseignant doit-il avoir un casier judiciaire vierge pour être nommé ?

Comme n'importe quel fonctionnaire, les candidats au concours d'enseignant doivent faire une demande d'extrait de casier judiciaire (bulletin numéro 2), consultable ensuite par l'administration. Mais il n'est pas indispensable que ce casier soit vierge pour être admis au concours. Les condamnations mentionnées sont laissées à l'appréciation de l'administration. L'Education nationale peut considérer que les faits incriminés sont compatibles avec la fonction d'enseignant. Ainsi, illustre le ministère, une peine pour «un gros excès de vitesse dans le passé» n'est pas de nature à compromettre la nomination d'un prof. Le ministère précise que les mêmes règles s'appliquent pour tous les agents de l'Education nationale travaillant au contact d'enfants (par exemple, les surveillants), mais aussi pour les profs contractuels, recrutés parfois à la va-vite, via Pole emploi, pour pallier le manque de titulaires remplaçants.

Une fois l’enseignant en poste, est ce que l’administration vérifie le contenu du casier ?

En tant qu'employeur, l'Education nationale a la possibilité de demander «à tout moment» à ses agents un extrait du casier judiciaire. Dans les faits, «c'est une pratique rarissime», assure Antony Taillefait, professeur de droit public à l'université d'Angers. Le ministère confirme qu'en effet, les vérifications ne sont faites qu'en cas de doute et en aucun cas de manière régulière et systématique.

La justice informe-t-elle systématiquement l’employeur en cas de condamnation ?

Non. Le parquet n’a pas d’obligation légale de signaler la condamnation, sauf dans un cas : si la la peine comprend une interdiction de travailler auprès de mineurs. Là, le procureur informe tout de suite l’employeur (l’Education nationale ou autres) pour que la sanction soit appliquée. C’est la seule situation dans laquelle le parquet est tenu d’informer, et en l’espèce, il ne semble pas que la condamnation de 2008 ait été assortie de cette peine. Dans les autres cas, le procureur est libre d’apprécier s’il est nécessaire ou pas d’alerter l’employeur.

Concernant les agents publics, il existe cependant une circulaire, régulièrement publiée, demandant aux parquets d'«aviser le supérieur hiérarchique d'un fonctionnaire ou agent public lors de l'engagement de poursuites pénales à son encontre ou du prononcé d'une condamnation définitive». Sauf qu'il ne s'agit là que d'une circulaire, «un ordre écrit adressé aux services de la justice par leur hiérarchie», explicite Antony Taillefait. Une circulaire n'a pas de valeur contraignante au sens de la loi. «D'ailleurs, il peut arriver qu'on ne respecte pas volontairement certaines circulaires parce qu'on n'a pas la même appréciation du droit que la Chancellerie», assure Clarisse Taron, avocate générale et membre du Syndicat de la magistrature (classé à gauche). En l'occurrence, pointe-t-elle, cette circulaire du 11 mars 2015 dit un peu tout et son contraire. «Il nous est certes demandé d'alerter l'administration pour toute poursuite pénale engagée mais dans le paragraphe qui suit il est indiqué que cela "ne saurait néanmoins affranchir le procureur de la République du respect des principes du secret et de la présomption d'innocence…"»

Si l’Education nationale est informée de poursuite ou d’une condamnation, que peut-elle faire ?

Quand des poursuites pénales sont engagées, l'agent bénéficie, comme tout justiciable, de la présomption d'innocence jusqu'à la décision de justice. Cependant, l'administration peut suspendre sans attendre un agent pour une durée de quatre mois maximum. Si au cours de ce délai, le juge établit les faits, et condamne la personne pour «un délit contraire aux bonnes mœurs et à la probité», l'article L911-5 du code de l'Education s'applique : l'administration est alors tenue de prononcer une «radiation des cadres», l'enseignant perd son poste automatiquement. Dans les autres cas, l'Education nationale peut engager une procédure disciplinaire, indépendamment du procès au pénal. Et prononcer une sanction, allant jusqu'à la révocation de l'enseignant.

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