Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Les 282 jours de Napoléon

Restaurée, la plus célèbre des statues de l’Empereur retrouve, jeudi 2 avril, l’hôtel des Invalides, après un exil de neuf mois. Mais ce déplacement n’a pas permis de dissiper tous ses mystères.

Par 

Publié le 31 mars 2015 à 13h26, modifié le 19 août 2019 à 12h58

Temps de Lecture 8 min.

Détail de la statue de Napoléon, réalisée par Charles Marie Emile Seurre en 1833, après sa restauration. Jeudi 2 avril, le restaurateur du Musée de l'armée profitera du grutage de l'oeuvre pour réaliser des prélèvements afin de déterminer si la tête de la statue a été sectionnée lors du siège de Paris par les armées prusses.

Ils rêvaient de «  bouger Napo » depuis des années. Thierry Proenca et Franck Valente, manutentionnaires experts en déménagement d’œuvres d’art, ont fini par être exaucés, le 24 juin 2014. Ils ont élingué, gruté et transporté le souverain impérial ou plutôt l’une de ses statues. Pas n’importe laquelle, la plus célèbre de toutes, celle qui figure en bonne place dans les manuels d’histoire et trône au centre de la galerie supérieure de la cour d’honneur de l’hôtel des Invalides, à Paris, depuis 1911. Napoléon y est représenté en colonel des chasseurs à cheval de la garde, avec bicorne, redingote et, naturellement, main glissée dans le gilet. C’est l’image du Petit Caporal, proche de ses soldats, que le sculpteur Charles Emile Marie Seurre (1798-1858) a symbolisée.

Il reprendra sa place, jeudi 2 avril, remis à neuf pendant ses 282 jours d’exil. Les deux hommes de MP Transports & Manutention, une PME basée en Seine-et-Marne, vont redéposer aux Invalides, sans cérémonie particulière, ce bronze de 4 mètres de haut qui pèse près de 5 tonnes. L’Empereur voyagera couché et bâché pour passer sous les tunnels des quais de Seine et rejoindre son piédestal, via le pont… d’Austerlitz.

Ternie, abîmée, la statue exposée à la poussière et aux pigeons n’avait jamais été restaurée depuis cent quatre ans. Hasard du calendrier ? En cette année 2015 où les Anglais s’apprêtent à célébrer avec gourmandise le bicentenaire de la défaite française à Waterloo, le Musée de l’armée a jugé bon de redonner du lustre à la représentation de celui que le duc de Wellington se plaisait à appeler « Buo-na-par-té ».

« Un vrai mythe »

Chez MP Transports, on est fier de participer à l’aventure. L’entreprise, dont les ouvriers manipulent en général du matériel de BTP, a développé avec succès le transfert d’objets artistiques et historiques. « Nous avons déjà déplacé Le Pouce de César pour la Fondation Cartier et Le Triomphe de Silène, l’une des plus grandes statues du jardin du Luxembourg, à Paris, explique Nathalie Barbé, responsable du service manutention. Le Musée de l’armée est l’un de nos fidèles clients. Nos équipes y ont déplacé des chars et des centaines de pièces de canon. » C’est donc vers la PME que l’institution se tourne pour déménager l’Empereur. « Nous allions enfin nous attaquer au symbole des Invalides. Vous imaginez notre stress, il n’était pas question de se rater, se rappelle Thierry Proenca. L’année dernière, lors de la dépose, nous avons eu un petit cours d’histoire par les gens des Invalides. Cette statue, c’est un vrai mythe. »

Gommage à la poudre de noyau d’abricot dispersée à faible pression, dépoussiérage, puis pose de plusieurs couches de cire microcristalline afin de conserver la patine du bronze et le protéger contre la corrosion

L’œuvre, mondialement connue, attise la convoitise des collectionneurs les plus fous. Dès son déménagement, Napoléon a donc été reclus dans un hangar à l’abri des regards indiscrets et laissé aux soins de Diana Da Silva, une restauratrice de 29 ans dont ce fut « le premier rendez-vous avec une œuvre monumentale ». Gommage à la poudre de noyau d’abricot dispersée à faible pression, dépoussiérage, puis pose de plusieurs couches de cire microcristalline afin de conserver la patine du bronze et le protéger contre la corrosion : en tout, près de cent heures de travail seront nécessaires à la cure de jouvence du chef militaire, pour un budget de 5 310 euros.

Les visiteurs des Invalides doivent lever les yeux pour admirer la statue et sa silhouette légendaire. Examinée de près dans le hangar de MP Transports, elle livre un peu de ses secrets. Sur sa base, on découvre des graffitis, une dizaine de signatures, « peut-être celles d’anciens grognards », avance Sylvie Le Ray-Burimi, 45 ans, conservatrice en chef du patrimoine au Musée de l’armée. Les détails de la sculpture sont saisissants, qu’il s’agisse de la surpiqûre de la redingote ou des plis d’usure des bottes volontairement dessinées crottées.

« Réalisme du champ de bataille »

Charles Marie Emile Seurre, Prix de Rome en 1824, est très attaché à l’Empire. Et l’Empire le lui rend bien. De retour de Sainte-Hélène, où il est resté aux côtés de Napoléon jusqu’à la fin, le général Bertrand, grand maréchal du Palais, aurait prêté au sculpteur l’épée d’Austerlitz ainsi que les vêtements du chef des armées (bottes, redingote, chapeau) pour qu’il s’en inspire. « L’artiste a désiré montrer un souverain humanisé, celui dont le peuple aimait le regard plein de détermination. Nous sommes dans le réalisme du champ de bataille », commente la conservatrice. Un choix dont Balzac se félicitera lui-même dans son Traité de la vie élégante, fin 1833. « Napoléon n’est poétique et vrai que sans le charlatanisme impérial. Dépouillé des oripeaux de la royauté, il devient immense. L’homme puissant est toujours simple et calme », écrit l’auteur de La Comédie humaine.

« Louis-Philippe veut réconcilier la France et réinscrire petit à petit l’Empire dans l’histoire du pays. L’œuvre de Seurre a véritablement focalisé l’attention du politique, devenant un objet du débat public »

Le 1er juin 1833, la statue est fondue à l’atelier du Roule, rue Marbeuf, à Paris, en présence d’Adolphe Thiers, ministre de Louis-Philippe pendant la monarchie de Juillet et futur président de la IIIe République. Le bronze provient de seize canons russes et autrichiens, prise de guerre de la campagne de 1805, jusqu’alors entreposés à l’arsenal de Metz. La statue sera inaugurée en haut de la colonne Vendôme quelques semaines plus tard, le 28 juillet. « Louis-Philippe veut réconcilier la France et réinscrire petit à petit l’Empire dans l’histoire du pays. L’œuvre de Seurre a véritablement focalisé l’attention du politique, devenant un objet du débat public », précise Sylvie Le Ray-Burimi. Quand le voile tomba, Louis-Philippe aurait même crié : « Vive l’Empereur ! »

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

Ce rêve d’une France apaisée va faire long feu. L’emblème de Napoléon va en payer le prix. Si les révolutionnaires de 1848 le laissent en paix, c’est curieusement Napoléon III, au cours du Second Empire, qui précipite son destin. Celui que Victor Hugo surnommait le « Césarion » décide de remplacer le Napoléon soldat de la colonne Vendôme par un Napoléon impérial, drapé à l’antique, comme son oncle aimait se voir représenté. En 1863, le bronze de Seurre est envoyé au rond-point de Courbevoie – l’actuel rond-point de la Défense – dans la perspective de l’Arc de triomphe et des Champs-Elysées. C’est à cette période vraisemblablement que des anciens de la Grande Armée viendront y graver leur nom.

« Figure tutélaire des combattants »

« Ce qui s’est passé ensuite, lorsque les Prussiens sont entrés dans Paris en 1870, reste un mystère », dit Sylvie Le Ray-Burimi. Le Napoléon de Seurre passionne et fait l’objet de nombreuses publications. Les historiens évoquent trois scénarios, après que, dans Paris assiégée, la rumeur eut couru qu’un officier prussien voulait s’emparer de la statue et la traîner, corde au cou, jusqu’à Berlin. Première hypothèse : le gouvernement de la Défense nationale, désireux de cacher le monument aux Invalides, le fait embarquer sur la Seine, mais la barge de transport, mal équilibrée, sombre. Le bronze se casse au niveau du cou. Deuxième possibilité : Etienne Arago, maire de Paris en 1870, souhaitant lui aussi sauver le Petit Caporal, l’immerge volontairement dans la Seine, près du pont de Neuilly, afin de le mettre à l’abri. Enfin, dernière solution : des antibonapartistes profitent de la confusion pour couler la statue et s’en débarrasser définitivement.

« Louis XIV nous loge, Napoléon nous nourrit »

Bibliothécaire de la Fondation Napoléon, Chantal Prévot, coauteure avec Irène Delage, de l’Atlas de Paris au temps de Napoléon (Parigramme, 2014), penche plutôt pour l’acte de bravoure d’Arago : « Mais comment le savoir précisément ? Lors de la Commune de Paris, en 1871, énormément de documents ont brûlé. » « Je pense que ceux de la Brigade des sapeurs-pompiers sont restés intacts », espère la conservatrice du Musée de l’armée.

Après quatre mois passés au fond de l’eau, la statue aurait été repêchée par Hector-Martin Lefuel, architecte en chef du Nouveau Louvre, et placée dans le dépôt des marbres de l’Etat, qui dépendait de la direction des Beaux-Arts. Quarante ans plus tard, le 11 mars 1911, le général de division Niox, directeur du Musée de l’armée, fait hisser le bronze dans la galerie des Invalides, à la place du moulage en plâtre de Seurre érigé là pour incarner l’Empereur malgré tout. L’œuvre occupe l’une des places les plus prestigieuses : face à l’entrée de la cour d’honneur et au-dessus du portail de l’église des soldats. « Les cercueils des militaires à qui la République rend aujourd’hui hommage passent sous les yeux de l’Empereur, sorte de figure tutélaire des combattants », rappelle Sylvie Le Ray-Burimi.

Statue de Napoléon, réalisée par Charles Marie Emile Seurre en 1833, après sa restauration. L'oeuvre retrouve, jeudi 2 avril, l’hôtel des Invalides, à Paris, où elle est installée depuis 1911.

Prélèvements

« Ce retour en 1911, comme celui de 2015, sont d’excellentes nouvelles, juge Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon. Même si certains pensent que l’Empereur prend trop de place à l’hôtel des Invalides, créé par Louis XIV, l’endroit est vraiment un lieu napoléonien. Le souverain s’y est beaucoup intéressé. Il allait visiter les pensionnaires et y a décidé de la fondation d’un centre d’accueil pour aveugles. » Une querelle de puristes, diront quelques-uns. Car il est une phrase répétée depuis bien longtemps par les employés de l’un des monuments les plus visités de Paris : « Louis XIV nous loge, Napoléon nous nourrit. »

Dans les coulisses, José Ferreira, responsable de l’atelier métal du Musée de l’armée, travaille déjà à lever le mystère du Petit Caporal. Le restaurateur est allé ausculter la statue dans le hangar de Pontault-Combault où elle était entreposée, « mais, même à la suite du nettoyage, il ne m’a pas été possible, après examen des assemblages au niveau du cou, de conclure si la tête avait été sectionnée ou pas ».

Jeudi 2 avril, l’expert profitera du grutage de la statue pour réaliser des prélèvements – « pas d’inquiétude, ce ne sont que des microgrammes » – qui passeront au crible d’un appareil, le Fluorescence X : « Nous allons envoyer des radiations sur les matières prélevées. Les atomes vont réagir et, selon les types de vibration enregistrés, nous connaîtrons précisément leur nature. » Les éléments recueillis seront envoyés au laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France pour analyse finale. Le temps de la machine administrative étant ce qu’il est, les résultats pourraient n’être connus que d’ici plusieurs semaines. Dans le meilleur des cas, avant l’anniversaire de Waterloo, le 18 juin ? Mais, au fait, qui représentera la France lors de la commémoration de la bataille où, précise Thierry Lentz, « tous les chefs d’Etat de l’Union européenne ont été invités » ? La question de savoir si François Hollande y sera n’est, semble-t-il, toujours pas tranchée.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.