
POLITIQUE - Elle est lassée des dérapages de son père. Marine Le Pen a exprimé son "profond désaccord sur le fond et sur la forme" avec les propos tenus jeudi matin par Jean-Marie Le Pen à propos des chambres à gaz (le président d'honneur du FN a réitéré ses déclarations sur le "point de détail" de l'Histoire, dires pour lesquels il a déjà été condamné).
Elle récuse aussi l'idée avancée par le patriarche selon laquelle il y a, au Front national, autant de "fervents gaullistes" que de "fervents pétainistes". "Cette déclaration n'a aucun sens. Je n'en connais aucun au Front. En revanche, je connais un candidat qui pour avoir repris la devise de Pétain est convoqué devant la Commission de discipline", a aussi rétorqué sa fille qui fait ce qu'elle peut pour prendre ses distances et tenter de préserver son parti.
Une tâche d'autant plus délicate que Jean-Marie Le Pen a enfoncé le clou, dans l'après-midi, dans son journal de bord hebdomadaire enregistré avec en arrière-plan le logo du Front national. "Oui, j'ai une opinion et je ne change pas d'avis. Oui les chambres à gaz sont un détail de l'histoire de la Deuxième guerre mondiale, à moins que l'on ne m'oblige à croire que c'est la Deuxième guerre mondiale qui est un détail de l'histoire des chambres à gaz", lance-t-il (à partir de 11'45).
"L'avenir du FN c'est moi, pas lui"
Ce n'était pourtant pas la première fois (loin s'en faut) que Marine Le Pen recadre celui qui lui a donné les clés du parti il y a un peu plus de trois ans. En janvier déjà, elle l'avait désavoué après qu'il a soutenu les théories du complot en rapport avec les attentats de Paris et s'était désolidarisée de lui quand il avait parlé d'humour après le dérapage de Dieudonné sur Charlie Coulibaly.
En juin 2014, une vive passe d'arme avait également opposé la fille à son père quand ce dernier avait promis "une fournée" à tous les artistes opposés à son parti après l'évocation de propos de Patrick Bruel. Le FN avait alors brièvement mis fin à l'hébergement du journal de bord hebdomadaire de l'ex-président du parti tandis que les deux membres de la famille s'écharpaient par médias interposés. Jean-Marie Le Pen publiait une lettre ouverte à sa fille tandis que cette dernière donnait une interview à Valeurs actuelles. "L'avenir du FN, c'est moi, plus lui", expliquait Marine Le Pen.
Aujourd'hui encore elle tente de minimiser les conséquences des propos de son père sur l'image du Front national. Alors qu'on lui demande ce qu'elle peut faire contre Jean-Marie Le Pen qui entache sa volonté de normalisation du FN, elle a répondu: "Rien. Ces déclarations n'entachent pas le crédit du FN mais le sien." Il y a dix mois, un proche de la présidente disait déjà la même chose. "Jean-Marie Le Pen est un cas particulier lié à son statut et à son passé. Mais il n'incarne plus le FN aujourd'hui ni aucun courant", affirmait ce cadre du parti.
Et si Marine Le Pen retournait cela à son avantage?
Les deux protagonistes sont en réalité en désaccord sur la stratégie que doit suivre le parti. Jean-Marie Le Pen continue de défendre l'utilité des polémiques dans la progression du FN, tout le contraire de sa fille. "Les polémiques que nos adversaires ont créées à notre sujet nous ont permis de nous défendre et d'exposer nos idées", veut croire celui qui a atteint le second tour de la présidentielle en 2002. Les propos de Marine Le Pen confirme cette analyse. "Les polémiques l'arrachent lui au néant médiatique, pas le Front", riposte la présidente du FN. Dans une interview à Causeur elle va même plus loin: "Le Pen (père) conserve les réflexes d'un contestataire. Nous sommes devenus un parti de gouvernement", dit-elle.
Jean-Marie Le Pen a "une divergence d'analyse...par BFMTV
Ces dérapages récurrents sont-ils un frein à la dédiabolisation du FN? Sur ce points, les spécialistes de l'extrême-droite ne sont pas tous d'accord. "En réaffirmant ces valeurs, Jean-Marie Le Pen n'offre aucun possibilité au FN de sortir de sa marginalité. Ce qui la toujours intéressé, ce n'est pas de prendre le pouvoir mais de le parasiter. C'est la que se joue la fracture générationnelle avec sa fille", estime Jean-Yves Camus, président de l'Observatoire des radicalités à la Fondation Jean-Jaurès.
Mais Cécile Alduy, chercheuse et enseignante à Stanford estime pour sa part que "Jean-Marie Le Pen alimente le storytelling de la dédiabolisation de sa fille". En exprimant un "implicite idéologique" du FN, il offrirait à sa fille une possibilité de se moderniser à ses dépens.
Aux départementales, aucun candidat qui a dérapé n'a été élu
Mais les faits récents, et plus particulièrement ce qu'il s'est passé à l'occasion des départementales, semblent donner raison (pour le moment) à la première analyse. A l'occasion de ce scrutin, une centaine de candidats FN avaient été pointés du doigt pour leur dérapage sur les réseaux sociaux. Cela n'avait pas empêché la majorité d'entre eux (54%) de se qualifier pour le second tour, comme si l'électorat premier du FN n'était pas choqué par ce genre de déclaration. Cela avait en revanche joué contre eux pour rassembler une majorité d'électeurs au second tour. Aucun n'a en effet été élu conseiller départemental.
Le dilemme est le même pour Marine Le Pen mais à une échelle plus grande. Si elle souhaite conquérir le pouvoir, en remportant un jour la présidentielle, elle doit pouvoir trouver des alliés qui appelleront à voter pour elle au second tour. D'où sa volonté de marginaliser le président d'honneur du FN à défaut de pouvoir tuer le père, un tabou absolu au sein du parti fondé par Jean-Marie Le Pen il y a quarante ans. "Au delà de la difficulté familiale, cela aurait un réel coût politique", pense Jean-Yves Camus qui rappelle le très bon score réalisé au dernier congrès. "Nous sommes en désaccord profond. J'en ai pris acte et je veux croire, quand même, que ceux qui nous rejoignent, ceux qui votent pour nous, ont compris", lance-t-elle un brin désabusée au Figaro ce jeudi.