Billet de blog 30 mars 2015

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J'ai été emmerdée dans la rue

Samedi 28 mars, 21h47. Je sors de chez une amie après une soirée d’anniversaire pour en rejoindre une autre. Je suis en robe, j'ai mis un gros pull de mec sans forme, peut-être pour paraitre moins "allumeuse". Par A.

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Samedi 28 mars, 21h47. Je sors de chez une amie après une soirée d’anniversaire pour en rejoindre une autre. Je suis en robe, j'ai mis un gros pull de mec sans forme, peut-être pour paraitre moins "allumeuse". Par A.

J’ai les idées claires, je suis sobre. Je suis l’itinéraire que m’indique le GPS de mon téléphone. Pourtant, je me perds dans les ruelles sombres du quartier de Choisy, Paris, treizième arrondissement. Je croise un couple de quinquagénaires. Je leur demande comment rejoindre l’Avenue de Choisy. L’homme, très aimable, m’indique le chemin. Il me précise aussi « Ne passez surtout pas par ce parc mademoiselle et marchez vite, ne courrez pas, mais marchez vite. Essayez de rejoindre rapidement l'avenue, le plus rapidement possible». Je le remercie et pars, alerte. Après quelques mètres, très peu d’ailleurs, j’entends une voix derrière moi : « Eh mademoiselle, si t'es perdue j'peux t’accompagner t’sais. ». Une voix étrange qui résonne encore dans ma tête, cette voix qui ne te rassure pas du tout et qui t’indique qu’il faut que tu presses le pas. Ce que j’ai fait. Je me retourne pour voir sa silhouette, erreur de ma part probablement, il était encapuchonné, en tenue de sport peut-être. Pendant un instant, j’ai l’impression qu’il va me rattraper, mais il ne le fait pas. Je presse encore le pas en essayant de ne pas montrer que je suis paniquée, et pourtant qu’est-ce que je l’étais! Il continue à me parler, «Eh, chérie ! Fais pas semblant de ne pas m’entendre, je peux t’aider tu sais. Avec moi tu seras en sécurité.». Ça dure 100 mètres à peu près, 100 mètres où il me parle et où je presse le pas, petit à petit. Les 100 plus longs mètres de ma vie, les 100 mètres dont tu ne vois pas le bout. Mais heureusement, le bout arrive. On est alors dans une rue un peu plus éclairée, avec plus de passants, il arrête de parler, mais je sens qu’il est toujours derrière moi, pas loin. J'entends son pas lourd. J’ai mon téléphone contre moi, le numéro d’un ami déjà composé, prête à appeler. Il est derrière moi et dans ma tête, tout se bouscule : « Et s’il me rattrape ? Et si je ne trouve pas de commerce où me réfugier ? Et s’il jette mon téléphone ? Et si je n’arrive pas à crier ? Qu’est-ce que je dois faire ? Qu’est-ce que je ne dois pas faire ? Reste calme, ne lui montre pas que tu es paniquée, ne cours pas. Pourquoi tu n’es pas restée sur le grand boulevard ?!». La peur me noue l’estomac. J’ai envie de courir mais je sais que c’est la chose à ne pas faire dans ce genre de situation, c’est ce qu’on m’a dit à l’école pendant les séances de prévention. Il est là, derrière moi, il attend surement qu’on rejoigne une ruelle sombre sans personne pour pouvoir agir. Mais nous arrivons avenue de Choisy. Je repère un restaurant où des familles finissent leur repas. Je rentre. Je pousse un soupir de soulagement. Le patron me voit et me dit « Un type étrange vous a suivi? ». J’acquiesce. Il me dit de m’asseoir, va dehors pour vérifier qu'il n'est plus là, m’apporte un verre d’eau, s’assied en face de moi: c’est fini, je suis en sécurité. Je commence à pleurer, de soulagement, de peur, mais c'est fini, il me donne des mouchoirs et me réconforte. Il a l'air d'avoir l'habitude de ce genre de situation. Il a refusé que je parte seule. 

J’ai eu de la chance. Ça aurait pu être pire, j’aurais pu ne pas trouver de restaurant, mon ami aurait pu ne pas me répondre mais j’ai trouvé un restaurant et mon ami m’a répondu. J’ai eu beaucoup de chance, mais aussi très peur. On peut se dire que j’exagère parce qu’il ne m’a rien fait in fine mais cette voix qu’il avait, cette voix rauque, telle qu’on la décrit dans les films, cette voix me dit que j’ai eu beaucoup de chance.

A.

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