Mort du patron de Total : un crash et beaucoup de questions

    Le 20 octobre 2014, le patron de Total, Christophe de Margerie, trouvait la mort à Moscou. Selon le mari de l'hôtesse de l'air décédée dans le même crash d'avion, de nombreuses zones d'ombre subistent.

    Mort du patron de Total : un crash et beaucoup de questions

      Il n'a jamais parlé. « Ma vie est brisée, confie Patrick Vervelle, le mari de Ruslana, l'hôtesse de l'air qui accompagnait, le 20 octobre 2014, Christophe de Margerie, le PDG de Total. Je veux la vérité. » Près de cinq mois et demi après le drame, cet homme cherche toujours à percer le mystère du crash aérien dans lequel ont péri l'homme d'affaires et trois membres d'équipage, dont Ruslana.

      Ancien musicien dans un orchestre de l'armée de l'air, Patrick Vervelle, 59 ans, père de deux enfants, se repasse, inlassablement, le film des événements. Juste avant minuit, sa vie a basculé lorsque le Falcon 50 d'Unijet affrété par Total s'est fracassé contre une déneigeuse qui n'avait rien à faire sur la piste.

      Quelques jours plus tôt, « Ruslana m'annonçait, heureuse, qu'elle s'envolait pour Moscou ». Hôtesse sur XL Airways, Ruslana, d'origine ukrainienne, était une habituée de ces vols privés. « Elle avait déjà accompagné Johnny Hallyday, Vincent Bolloré et Christophe de Margerie », explique son mari. Le dimanche 19 octobre, le Falcon 50 EX immatriculé F-GLSA se pose à l'aéroport de Vnoukovo à Moscou où Christophe de Margerie a rendez-vous avec le chef du gouvernement russe, Dmitri Medvedev. « Lundi, Ruslana m'a téléphoné, elle devait atterrir le lendemain à 1 heure du matin au Bourget. En regardant les informations le mardi matin, je n'ai pas fait tout de suite le rapprochement. A 8 h 30, j'ai reçu un coup de fil de l'employeur de Ruslana. Le ciel m'est tombé sur la tête. Ma fille a dû s'occuper de tout, du rapatriement du corps et des obsèques. »

      «J'ai commencé à avoir des doutes»

      Après la douleur vient le temps des questions. « Fin novembre, la gendarmerie du transport aérien m'a convoqué ainsi que le patron d'Unijet et les familles du pilote, Yann, et du copilote, Maxime. Le capitaine nous a fait un compte rendu oral de son enquête à Moscou. C'est là que j'ai commencé à avoir des doutes. » Premier élément troublant : « Que faisait non loin des pistes un convoi de trois déneigeuses alors qu'il n'y avait pas de neige (voir infographie ci-contre) ? » Autre incohérence, « la Jeep du superviseur raccompagne l'un des chasse-neige au hangar, le deuxième reste sur place mais Vladimir Martynenko, le conducteur de l'engin qui a causé le crash, quitte soudain le convoi, se dirige puis traverse la piste où le Falcon attend. »

      Pourquoi Martynenko, 63 ans, n'a-t-il pas attendu les ordres de son supérieur ? Mystère. Où allait-il ? « Il a assuré qu'il était perdu mais il n'y avait pas de brouillard, et il travaille à Vnoukovo depuis dix ans, s'étonne Patrick Vervelle. La police a affirmé qu'il était ivre alors qu'il n'avait que 0,6 g d'alcool dans le sang. » Autres questions sans réponse : comment se fait-il que la tour de contrôle n'ait pas vu la déneigeuse sur la piste ? Le radar au sol aurait dû déclencher l'alerte. Etait-il en panne ou la jeune contrôleuse aérienne stagiaire qui s'est occupée du Falcon l'a-t-elle ignorée avant de donner l'autorisation de décollage ?

      A 23 h 57, le jet s'élance. Dix secondes plus tard, le pilote aperçoit l'engin. « Qu'est-ce que c'est que ça ? » lance-t-il, d'après le compte rendu des gendarmes. C'est le point le plus stupéfiant : « Martynenko a traversé la piste puis fait demi-tour et arrêté sa déneigeuse pile dans la trajectoire de l'avion », indique Patrick Vervelle. Ensuite ? « Il a coupé le contact, éteint les phares et est descendu de son engin ! » La collision a lieu trois secondes plus tard, toujours selon les gendarmes.

      On retrouvera Martynenko errant, hagard, non loin de là. Pourquoi était-il retourné sur la piste ? « On l'ignore », a répondu le capitaine de gendarmerie. Dernier fait suspect, s'il est avéré, « la cheminée télescopique du chasse-neige était relevée », souligne Patrick Vervelle, qui tient cette affirmation d'un pilote ayant eu accès au rapport du BEA sur le crash. Comme si tout avait été fait pour ne laisser aucune chance au jet et à ses occupants.

      Ce week-end, Patrick Vervelle se rend à Moscou afin de rencontrer l'avocat de Martynenko et l'équivalent russe du Bureau d'enquêtes et d'analyses. Si la police russe évoque, depuis le début, une « négligence criminelle » des personnels de l'aéroport et du contrôle aérien, le mari de Ruslana veut en avoir le cÅ?ur net. « Il y a beaucoup trop de zones d'ombre dans cette affaire », conclut-il.

      INFOGRAPHIE. Ce que l'on sait du drame. LP/Infographie