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Archéo & paléo

Refuge nazi en Argentine : qu'en est-il vraiment ?

Récemment, des archéologues ont annoncé la découverte d'un "repaire nazi" au nord-ouest de l'Argentine. Mais qu'en est-il vraiment? Retour sur une histoire qui a enflammé les réseaux sociaux.
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Repaire
Un prétendu "repaire nazi" au nord-ouest de l'Argentine.
© Courtesy Daniel Schavelzon

CACHETTE. L’annonce, relayée par le quotidien britannique The Guardian, a enflammé les réseaux sociaux. Une "cachette nazie" aurait été mise au jour dans le nord-ouest de l’Argentine par Daniel Schavelzon, un spécialiste d’archéologie urbaine à la Faculté d’architecture de l’université de Buenos Aires. Celui-ci, accompagné d’archéologues du musée Andrés Guacurari affirme, en effet, avoir trouvé au cœur du luxuriant parc Téyu Cuaré, à quelques kilomètres de la petite ville de San Ignacio, près de la frontière paraguayenne, trois bâtiments en ruine qui auraient pu abriter des criminels de guerre après la Seconde Guerre mondiale.

Des nazis auraient développé le projet secret de construire des abris pour les dignitaires du régime

"Nous avons trouvé des pièces de monnaie allemandes datant de cette période dans les fondations de la maison", a-t-il indiqué au quotidien argentin Clarin, premier récipiendaire de cette information. "Au milieu de la Seconde guerre mondiale, des nazis auraient développé le projet secret de construire des abris pour les dignitaires du régime dans différents endroits isolés pour venir se cacher en cas de défaite", précise-t-il.  

Pour l’équipe argentine, ces trois bâtiments auraient été bâtis au début des années 1940, ce qui correspondrait approximativement aux dates des monnaies de 1938 à 1941 retrouvées dans les ruines rongées par la végétation. Un fragment de porcelaine made in Germany, de vieux tessons de bouteilles d’huile et d’autres flacons divers, ainsi que des bouts de carrelage typique de l’Angleterre des années 1930-1940, auraient également été retrouvés sur place.

(Crédit des images représentant les pièces et la porcelaine retrouvée : © Courtesy Lorena Salvatelli/Museo Andrés Guacurari – MisionesOnline)

MYTHES. L’information est cependant à analyser avec prudence car, dans la région, les mythes ont la vie dure. L’un d’entre eux veut par exemple que Martin Bormann, conseiller d’Hitler et l’un des dignitaires les plus puissants du IIIe Reich, y ait trouvé refuge. Dans la province de Misiones – ainsi nommée en raison des nombreuses missions jésuites qui s’y installèrent dès le XVIIe siècle - une pancarte de l’office du tourisme local affichait ainsi il y a encore une dizaine d’années à l’entrée du bâtiment: "Dans les années 1950, remis à neuf il a été habité par le plus fidèle serviteur d’Hitler, Martin Bormann". Or celui-ci n’a jamais mis les pieds en Amérique du sud.

Mort en 1945, son corps a été retrouvé en 1972 à Berlin, lors de travaux de terrassement, et a été officiellement identifié par des tests ADN effectués en 1998. La rumeur de sa présence en Argentine est probablement liée, selon le Guardian, à une affaire de faux fichiers de dignitaires nazis vendus dans les années 1970 par des policiers argentins au Hongrois Ladislas Farago, auteur du best-seller "A la recherche de Martin Bormann" (1974). Les récits de réfugiés nazis ont ensuite fait flores, à l’instar du roman "Ces garçons qui venaient du Brésil" (1976), d’Ira Levin.

Les officiers SS et membres du parti ont été accueillis avec une certaine bienveillance 

A la suite de ses déclarations, l’archéologue Daniel Schavelzon a fait preuve de plus de prudence. Il précise en effet que l’abri qu’il a retrouvé n’a probablement pas été utilisé, car à leur arrivée en Argentine après la défaite de l’Allemagne nazie, les officiers SS et anciens membres du parti ont été accueillis avec une certaine bienveillance par le président Juan Peron (1946-1955 puis 1973-1974). La plupart d’entre eux n’ont donc pas eu à se dissimuler dans la jungle pour vivre (lire encadré). L’archéologue concède également que la datation et l’origine allemande de certains des objets ne conduit pas nécessairement non plus à la présence de nazis sur place… Tout en avouant ne pas "trouver d’autres explications à l’existence de ces structures sur un site aussi inaccessible dans ces année-là".

L'Argentine a connu une forte immigration allemande dès le début du XXe siècle

Pourtant, de nombreuses raisons peuvent être mises en avant pour expliquer la raison de la présence de ces vestiges, à commencer par la très forte immigration allemande sur place, commencée dès le début du XXe, soit bien avant la Seconde Guerre mondiale. C’est dans cette province de Misiones que se trouve en effet concentrée la plus importante et la plus ancienne communauté allemande d’Argentine. Aujourd’hui, plus de trois millions d’argentins d’origine allemande vivent d’ailleurs dans le pays. Dès lors, pourquoi s’étonner de la présence de cinq pièces allemandes, retrouvées qui plus est parmi d’autres monnaies provenant du Brésil, du Paraguay, ou d’Angleterre ?

D'autres pièces retrouvées sur le site. © Credit photo Courtesy Lorena Salvatelli/Museo Andrés Guacurari – MisionesOnline

 

 C’était juste une spéculation de ma part que la presse a amplifié"

En outre, ces ruines évoquées par l’archéologue et censées avoir été un refuge nazi… étaient déjà connues du public ! Elles sont situés à proximité d’autres bâtiments dont la construction remonterait au XVIIe et XVIIIe siècle,  tout comme le célèbre couvent de San Ignacio Mini, à quelques kilomètres de là. Le 24 mars, dans The Times of Israël (quotidien en ligne basé à Jérusalem), l’archéologue argentin a d’ailleurs fait machine arrière. "C’était juste une spéculation de ma part que la presse a amplifié", a-t-il affirmé pour se justifier. Lorena Salvatelli, archéologue et directrice du musée Andrés Guacurari, souhaite toutefois que ces travaux de fouille soient achevés pour être définitivement fixée. 

 

Eichmann, Barbie, Mengele... Les nazis en Argentine

Après la guerre, de nombreux nazis, allemands ou autrichiens, ont trouvé refuge en Amérique du sud, en particulier en Argentine. Ainsi, Adolf Eichmann, principal architecte de l'Holocauste et de la déportation des Juifs, y sera capturé par les services secrets du Mossad israélien dans les années 1960, avant d'être clandestinement exfiltré vers Israël pour y être jugé et exécuté. Parmi les autres nazis qui ont longtemps trouvé refuge dans  le pays se trouvaient également Josef Mengele, le médecin-bourreau d’Auschwitz surnommé "l’ange de la mort". Après s’être enfuit au Paraguay, il avait gagné le Brésil où il se serait noyé en 1979. Sa tombe a été retrouvée six ans plus tard dans la petite ville d’Embu, où il avait été inhumé sous un faux nom. L’examen de ses restes pratiqué à l’Institut médico-légal de Sao Paolo a permis une identification définitive. Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon, réussira quant à lui à fuir d’Argentine en Bolivie avant d’être extradé vers la France où il est mort en 1991 après avoir été jugé. Quand à Eduard Roschmann, dit "le Boucher de Riga", il obtint la nationalité argentine en 1968 avant de se rendre au Paraguay, où il est mort en 1977 alors qu’il était sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis la même année par le tribunal de Hambourg. 

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