Exposition : Poussin croyait-il en Dieu ?

Le plus grand peintre français du XVIIe siècle a successivement été catalogué comme athée, philosophe, libertin ou chrétien. Le Louvre repose la question. Passionnant.

Exposition : Poussin croyait-il en Dieu ?

    Nicolas poussin (1594-1665), le grand réformateur de la peinture française, l'auteur des « Quatre Saisons » qui font partie des chefs-d'Å?uvre du Louvre, parlait peu et écrivait encore moins. Les autres le font à sa place depuis près de quatre siècles. Le Louvre relance un débat pertinent à une époque où chacun s'interroge sur la spiritualité, avec une magnifique exposition « Poussin et Dieu » qui réunit les Å?uvres religieuses de l'artiste, venues du monde entier, du Vatican à l'Amérique. Mais peindre à de multiples reprises la Sainte Famille ou Moïse sauvé des eaux ne signifie pas que l'on ne jure que par Dieu.

    Au XVIIIe, Poussin passe pour un philosophe et un érudit, affranchi de toute religion. Voire pour un libertin épris de ses nymphes. Le XIXe le voit au contraire en peintre chrétien par excellence. Même les marxistes, au XXe siècle, s'en emparent, parce que Poussin a toujours accordé une grande importance historique, documentaire, à tout ce qu'il peint. Ce qui en ferait un réaliste. « C'est un monument, transformé par chacune des époques successives. Poussin est un objet politique, un mythe qui échappe à toute catégorie, ce qui est le propre de chaque génie. Il s'accorde une totale liberté artistique et poétique », résument Nicolas Milovanovic et Mickaël Szanto, les deux commissaires de l'exposition.

    Des couleurs sidérantes

    Ceux-ci ont réuni une centaine de pièces au dossier, 63 peintures, 34 dessins et 2 estampes. Devant ces merveilles, on donne raison aux contemporains de Poussin, au XVIIe, qui considéraient de son vivant cet artiste longtemps installé à Rome comme le « Raphaël de la France ». Un peintre d'une modernité abyssale : dans l'une de ses « Sainte Famille », venue de Detroit, la Vierge joue avec l'Enfant Jésus comme une mère d'aujourd'hui qui le fait sauter sur ses genoux. Du naturel, du quotidien, de l'amour. L'une de ses Vierges, aussi, ressemble presque à une bohémienne. On comprend que tous les athées se soient jetés sur cette vision peu commune de la mère de Dieu.

    Les couleurs, sidérantes, font office de juge de paix, de valeur étalon : il y a un bleu Poussin reconnaissable entre mille, qui pourrait avoir été breveté comme le bleu Yves Klein. Ses rouges incroyables, taches incandescentes, comme le surgissement de la couleur dans un film en noir et blanc. Ses ciels, uniques par la qualité photographique du contraste entre les nuages cotonneux et l'azur. Poussin a inventé la mise au point absolue en peinture, presque le flash. « Il voulait voir ses tableaux en 3D avant leur réalisation. Il étudiait chaque ombre en déplaçant de petites figurines dans une boîte avant de peindre », expliquent les commissaires. Tout cela sous Louis XIII et les débuts de Louis XIV. Un point pour la science et le grand art.

    Poussin avait tout compris : il faisait de la religion une affaire privée. « On ne saura jamais le fin mot de l'histoire », reconnaissent les experts. Le plus grand artiste français du XVIIe siècle a voulu mêler deux mondes, l'antique et le profane. Passionné par Moïse, il établit un pont entre l'Ancien et le Nouveau Testament, à une époque de conflits. Comme aujourd'hui. Tolérant, curieux, passionné : on a besoin plus que jamais de Poussin au XXIe siècle. Il invite à parler peinture et religion. Et à croire à la beauté.

    « Poussin et Dieu », au Louvre (Paris I er), jusqu'au 29 juin, 9 heures-17 h 30 sauf mardi, 21 h 30 mercredis et vendredis. Tarif : 13 â?¬, gratuit moins de 18 ans. Infos : www.louvre.fr. Le catalogue offre 500 pages de tentatives de réponse à la spiritualité du peintre (Hazan, 45 â?¬).