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Plongé dans la crise, l’Angola révèle son vrai visage

Avec la chute du cours de l’or noir, le deuxième pays producteur de pétrole d’Afrique voit ses revenus s’effondrer. Les difficultés économiques qu’il traverse aujourd’hui dévoilent l’ampleur de sa mauvaise gouvernance.

Le Monde

Publié le 06 avril 2015 à 16h11, modifié le 19 août 2019 à 12h54

Temps de Lecture 5 min.

De jeunes Angolais,  le 20 janvier 2010 à Luanda.

En apparence, rien n’a changé dans les rues ensoleillées de Luanda. Il y a toujours les mêmes embouteillages, les mêmes vendeurs à la sauvette, les mêmes chantiers de construction. Pourtant, tout a basculé en début de l’année. Dans les supermarchés, les prix se sont mis à flamber. Au guichet des banques, il est devenu impossible de retirer des dollars et difficile de repartir avec une grande quantité de kwanzas, la monnaie nationale. Certaines entreprises ont dû licencier des salariés, celles qui employaient des expatriés n’ont pas renouvelé tous les contrats. Les administrations ne vont pas recruter massivement comme elles en avaient l’habitude.

L’Angola, qui affichait jusqu’à présent parmi les plus forts taux de croissance d’Afrique, est en crise. Tout est de la faute de la récente baisse du prix du pétrole. Ces derniers mois, il a été divisé par deux, passant d’environ 110 à 50 dollars entre juin 2014 et janvier 2015. Pour l’Angola, dont 75 % des recettes fiscales proviennent de l’or noir, c’est la catastrophe. Le pays a vu son budget chuter de 72 à 54 milliards de dollars. Il a dû couper ses dépenses de 25 %. En un an, son taux d’endettement est passé de 31 % à 45 % de son produit intérieur brut.

Mais le gouvernement, dirigé depuis plus de 35 ans par le président José Eduardo dos Santos, se veut rassurant. Il affirme que la situation est sous-contrôle, que l’avenir du pays n’est pas en péril et que la politique de lutte contre la pauvreté sera maintenue. Toutefois, le président angolais a, dès son discours de nouvelle année, reconnu que 2015 serait « difficile » et demandé à chacun d’accepter la cure d’austérité annoncée. « Cet appel à faire des sacrifices a bien du mal à passer alors qu’il n’y a pas de transparence sur la façon dont l’argent public est dépensé », souligne Siona Casimiro, le rédacteur en chef de la publication catholique O Apostolado.

Un surplus chaque année

La question des réserves financières du pays en est le meilleur exemple. Après la crise mondiale de 2008, l’Angola avait déjà connu un coup d’arrêt similaire à la situation actuelle. Échaudé par cet épisode douloureux, le pays avait assaini ses finances et opté pour une gestion prudente. Le budget angolais serait dorénavant établi à partir d’un prix du baril inférieur à celui du marché, ce qui permettrait de dégager un surplus chaque année. En 2014, l’Angola a ainsi mis de côté 6,38 milliards de dollars.

Selon l’opposition angolaise, sur les quatre dernières années, ce ne sont pas moins de 30 milliards de dollars qui ont été récoltés. « Le problème, c’est que nous ne savons pas où est passé cet argent, déplore Raul Danda, le chef du groupe parlementaire du principal parti d’opposition, l’Unita. Tout porte à croire qu’il a servi à payer des dépenses de la présidence, les habituelles faveurs et autres actes de corruption du régime. »

Interrogé sur ce point à l’Assemblée nationale, le ministre des finances, Armando Manuel, a expliqué que les réserves accumulées ne suffiraient pas à elles seules à résoudre la situation. L’ensemble des excédents enregistrés en 2014, « de l’ordre de 16 milliards de dollars, ne couvre pas la chute du prix du pétrole de 60 dollars qui se traduit par une perte de recettes de 25,9 milliards de dollars » en 2015, a souligné le ministre.

Accroître les inégalités sociales

Reste que cette démonstration n’a pas convaincu, ni les députés de l’opposition, ni une grande partie de l’opinion publique. Affirmant que le montant des réserves était largement surestimé par l’opposition, Armando Manuel n’a en effet pas été capable d’en fournir le chiffre exact. Plus largement, c’est toute la gestion des finances publiques qui est mise en cause.

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En 2011, le Fonds monétaire international avait identifié 31,4 milliards de dollars de dépenses inexpliquées entre 2007 et 2010. Malgré les éclaircissements de l’exécutif angolais, une somme de 4,2 milliards de dollars était restée sans justification. Résultat, en 2014, l’Angola occupait encore le bas du classement de l’ONG Transparency International sur la perception de la corruption, à la 161e position sur 175. Pour beaucoup, la crise ne va faire qu’empirer la situation et accroître les inégalités sociales déjà considérables.

En Angola, 54 % de la population vit encore avec moins de deux dollars par jour. A l’opposé, une élite restreinte, composée de la famille présidentielle et de quelques autres proches, détient des fortunes. Dans ce contexte, le président dos Santos avait été réélu en 2012 sur la promesse de maintenir la croissance, mais surtout de mieux distribuer les richesses. Un engagement qui sera bien difficile à tenir. « Nous devons faire des économies mais le pouvoir ne diminue ni le budget de la police et de l’armée, ni celui des hautes instances de l’Etat, dont la présidence et l’Assemblée nationale, déplore Elias Isaac, le directeur de l’association Open Society. Par conséquent, les coupes vont toucher le secteur social et les investissements, qui sont pourtant les moyens d’améliorer les conditions de vie de la population. »

« Rien ne va changer, malheureusement »

Cette année encore, la défense et la sécurité vont recevoir plus (15 % des dépenses totales) que la santé et l’éducation (13 % seulement), une constante en Angola depuis la fin de la guerre civile en 2002. « Pour les plus pauvres, rien ne va changer malheureusement. Et ce sont les quelques familles qui avaient rejoint la classe moyenne qui vont souffrir le plus, prévoit le professeur d’histoire Fernando Gamboa. Avec la dévalorisation de la monnaie et l’inflation généralisée, elles vont voir leur pouvoir d’achat diminuer. » Pour les plus aisés, « la fête va continuer », assure le journaliste et activiste anti-corruption Rafael Marques.

Sur son site MakaAngola.org, il rapporte notamment que le budget 2015 prévoit 13,6 millions de dollars pour l’achat de mobilier, décoration et équipement destiné au palais présidentiel et 2,2 millions pour la construction de 24 000 logements et maisons à Viana, un quartier populaire à la périphérie de Luanda. « Cela signifie donc, commente le journaliste, que le nouvel intérieur du président dos Santos et de sa famille coûte cinq fois plus cher que les 24 000 logements que le chef de l’Etat entend faire construire pour la population à Viana. »

Pour le moment, le pouvoir semble garder le contrôle de la situation. Il appelle l’opposition à l’unité nationale pendant cette période difficile, et tient un discours rassurant auprès des investisseurs étrangers et des banquiers. Il fait en sorte de continuer à payer les salaires des fonctionnaires. Mais que se passera-t-il si la baisse du prix du pétrole se prolonge trop longtemps ?

Benoît Tellou

Le Monde

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