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En Thaïlande, une guérilla oubliée sous les tropiques

Alors que l'agitation politique à Bangkok mobilise l'attention des médias du monde entier, le sud du pays est le théâtre d'une guerre larvée entre les musulmans d'ethnie malaise et les forces du pouvoir central.

Par  (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)

Publié le 10 décembre 2013 à 18h47, modifié le 11 décembre 2013 à 10h17

Temps de Lecture 13 min.

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Plus de 10 000 hommes de l’armée régulière thaïlandaise sont déployés dans le sud du pays. Ici, des troupes dans la province de Yala, en novembre.

Une grande maison de bois sur pilotis, au bord de la route. Devant, les arbres de la jungle bercent leurs palmes. Derrière, de hauts et minces caoutchoutiers s'alignent dans les forêts d'hévéas. Sur le mur du grand salon dénudé trône une immense photo de la Kaaba, le saint des saints de La Mecque. Berangae se situe à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de la ville de Pattani, chef-lieu de l'une des trois provinces insurgées du Grand Sud thaïlandais.

Sur la terrasse qui donne sur les cocotiers et la route, Yaenass-ah, une femme de 56 ans, raconte, avec moult détails et sans cesser de tripoter son grand voile noir, comment son fils Aziz, 26 ans, est mort le 15 octobre après une descente de forces spéciales de l'armée thaïlandaise traquant la piste de séparatistes musulmans.

« Il était 14 h 30. J'ai vu des pick-up remplis de soldats en noir s'arrêter devant chez moi. Certains ont encerclé la maison et d'autres se sont précipités dans notre plantation d'hévéas, où j'ai entendu des tirs de fusil. » Elle imite le son de la mitraille : « Pam, pam, pam ! » Parfois, Yaenass-ah est secouée de rires nerveux ou son visage rond bordé de noir s'éclaire de sourires mal à propos, comme s'il s'agissait, face à ses interlocuteurs étrangers, de créer une sorte de distance dans un récit tragique.

« MAINTENANT, ON NE SAIT PLUS QUI TUE QUI »

Peu après, poursuit la dame, elle a réveillé de sa sieste Aziz, étudiant dans une école coranique, pour lui demander d'aller voir de quoi il retournait. Il s'est levé, il est sorti, et les militaires se sont emparés de lui avant de l'emmener dans la maison d'à côté. « J'ai essayé de les suivre, ils m'ont repoussée. J'ai tenté de leur demander ce qu'il se passait, mais je ne comprenais rien : je ne parle pas thaï. A 17 heures, j'ai entendu d'autres coups de feu venant de la plantation. » Elle refait : « Pam, pam, pam ! », mais de manière plus précipitée, pour faire comprendre que le rythme des tirs était cette fois-ci plus soutenu. Les soldats sont partis à 19 heures. Elle n'a jamais revu son fils.

Yaenass-ah, dont le fils, Aziz, a été tué le 15 octobre par les forces spéciales de l’armée thaïlandaise.

Plus tard dans la soirée, des voisins lui ont dit que trois corps sans vie gisaient dans une salle de l'hôpital du district de Tung Yang Daeng. L'un d'eux était celui d'Aziz. Son visage était défiguré par les balles. « L'armée ne m'a pas prévenue. Un officier qui n'était pas membre des forces spéciales, car il était vêtu d'un uniforme camouflé classique, est venu plus tard chez moi pour me dire que ses hommes n'avaient rien à voir avec les soldats en noir. Mais pourquoi ne m'a-t-on rien dit ? J'ignore encore qui l'a tué et pourquoi. » Elle ne rit plus, maintenant : elle essuie discrètement avec son voile des larmes qui perlent. « Je ne sais pas qui est responsable de sa mort. Je n'accuse personne, je ne sais pas, je n'ai aucune preuve. Maintenant, on ne sait plus qui tue qui. »

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