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Pourquoi aucun logement n'a été réquisitionné depuis un an

En décembre 2012, la ministre du Logement annonçait des réquisitions imminentes. Pas si simple...
par Marie Piquemal
publié le 11 décembre 2013 à 7h22
(mis à jour le 11 décembre 2013 à 15h20)

L'année dernière, à la même époque, la ministre du Logement Cécile Duflot sortait l'arme ultime contre la crise du logement : réquisitionner fissa ces bâtiments laissés vides par leurs propriétaires, alors que des personnes dorment dans la rue dans le froid, faute de pouvoir se loger. Le 8 décembre 2012, invitée sur Canal+, la ministre promettait des réquisitions «dans les jours qui viennent», avant de se reprendre et d'expliquer que les procédures, une fois lancées, demandaient un peu de temps avant d'aboutir.

Sauf qu’un an après, aucun bâtiment n’a été réquisitionné en tant que tel, ni à Paris ni ailleurs. Selon le ministère, une petite dizaine de procédures sont encore en cours en Ile-de-France, et donc susceptibles d’aboutir. Il y en aurait aussi une autre dizaine en Midi-Pyrénées, et une trentaine en région Paca. Maigre bilan.

«L’objectif n’a jamais été la réquisition pour la réquisition»

Présenter les choses sous cet angle serait bien trop réducteur, et n'aurait pas de sens, dit aujourd'hui le cabinet de Duflot. Qui répète : «L'objectif n'a jamais été la réquisition pour la réquisition. Le but, c'est que les propriétaires remettent sur le marché, le plus rapidement possible, un maximum de logements.» La réquisition serait donc avant tout un épouvantail pour effrayer les propriétaires et les inciter à vendre leurs biens ou à les remettre sur le marché locatif.

En Ile-de-France, se félicite le cabinet de Duflot, sur les 8 000 bâtiments identifiés comme réquisitionnables, les trois quarts auraient depuis été remis sur le marché entre décembre 2012 et aujourd'hui. Parfois, un simple courrier du préfet a suffi à secouer les propriétaires, assure le ministère. «L'effet dissuasif a très bien fonctionné.»

Pour le «quart restant» (environ 2 000 logements), à l'examen de terrain, certains bâtiments étaient tellement vétustes que les services de l'Etat ont jugé inopportun de les réquisitionner, les réorientant vers des programmes de restructuration de l'habitat indigne. D'autres avaient entre-temps été transformés en commerce ou bien carrément démolis. Pour les 500 logements où les services de l'Etat n'ont trouvé aucune justification à la vacance, «des négociations ont été engagées avec les propriétaires», poursuit le cabinet. Avec toujours cette idée de trouver un arrangement… Ce n'est pas dans l'intérêt de l'Etat d'en arriver à la réquisition en tant que telle. Pourquoi ? La procédure est très, très lourde. Et pas simple juridiquement.

Les leçons de 2001

Curieusement, deux cadres légaux coexistent. Une ordonnance de 1945, qui permet de réquisitionner tout local vide (immeuble, maison ou appartement) depuis plus de six mois, appartenant à une personne privée ou à une entreprise. La loi de 1998, elle, permet seulement la réquisition des bâtiments vides depuis plus de dix-huit mois et détenus exclusivement par des investisseurs institutionnels (banques, sociétés d’assurance, mutuelles, entreprises…) L’Etat verse alors en échange aux propriétaires une indemnité proche des loyers HLM. Cécile Duflot a choisi de s’appuyer uniquement sur cette loi, craignant que l’ordonnance de 1945 ne soit pas assez solide juridiquement.

Avant elle, seule Marie-Noëlle Lienemann, ministre du Logement sous Jospin en 2001, avait tenté de l'utiliser. Un essai pas franchement concluant. Sur les 4 000 logements vides repérés, seuls 220 avaient été réquisitionnés, selon l'ancienne ministre, qui expliquait, dans une interview à Libération l'an dernier, avoir manqué de temps. «Il faut créer un vrai service permanent pour suivre de près et en continu le parc de logements vacants, conseillait-elle à Cécile Duflot. C'est le meilleur moyen de mettre la pression sur les propriétaires pour remettre les bâtiments vides sur le marché. Et débusquer les bobards.»

Peu de logements sous le coup de la loi

Duflot a demandé aux préfectures où le manque de logement est le plus criant «d'identifier un vivier d'agents mobilisables.» Ainsi, en Ile-de-France, quelque 70 agents de l'Etat ont été formés et assermentés pour négocier avec les propriétaires récalcitrants et engager, si besoin, les procédures de réquisition. Un travail de fourmi, surtout au démarrage. Leur première tâche a été de dépiauter les fichiers fiscaux sur la taxe des logements vides (applicable à partir de deux ans de vacance). En Ile-de-France, 90 000 logements étaient ainsi taxés au 1er janvier 2011. Dans le lot, tous ceux appartenant à des propriétaires privés ont été exclus du champ - puisque ne tombant pas sous le coup de la loi de 1998. Ensuite, «les services se sont concentrés sur les bâtiments comportant au moins dix logements vides. En deçà, ce n'est tout simplement pas rationnel d'investir tant de moyen», précise le cabinet de la ministre. C'est ainsi que de 90 000 logements identifiés comme vacants, les services de l'Etat sont passés à la liste réduite de 8 000…

Jean-Baptiste Eyraud, le président de l'association Droit au logement, est vraiment déçu. «Le problème, on le connaît. La loi de 1998 permet aux propriétaires d'échapper à la réquisition en accordant un délai de deux ans pour remettre leur bien sur le marché.» L'association réclame depuis des années la suppression de ce délai. «Duflot s'y était engagée publiquement, dans l'hémicycle, en novembre 2012, rappelle Eyraud. Elle avait dit que si les procédures n'aboutissaient pas, elle prendrait des mesures dans le cadre de sa prochaine loi. Elle ne l'a pas fait.»

Ajouté à 15 heures. Le ministère rappelle que la loi Duflot  du 18 janvier 2013 contient deux articles concernant la procédure de réquisition.

«L'article 7 prévoit que le délai de vacance à partir duquel un bien peut être réquisitionné est abaissé à 12 mois , contre 18 mois auparavant. L'article 8 vise, lui, à empêcher un propriétaire d'échapper au régime de réquisition en prétextant des travaux à des fins purement dilatoires. Le propriétaire doit ainsi dire dans les deux mois s'il compte louer son bien: il a ensuite trois mois pour le remettre effectivement en location. Passé ce délai, le préfet reprend la procédure de réquisition. Si le propriétaire manifeste son intention d'entreprendre des travaux, il dispose d'un mois pour présenter un échéancier de travaux et des devis. Ces documents sont soumis à approbation du préfet et quelle que soit la nature des travaux prévus, le chantier ne pourra excéder 24 mois.»

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