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«Le profil Amina»: Syrienne, lesbienne et canular (ENTREVUE/VIDÉO/PHOTOS)

«Le profil Amina»: Syrienne, lesbienne et canular

En entretenant une relation amoureuse avec une blogueuse prénommée Amina, la Montréalaise Sandra Bagaria n’aurait jamais imaginé dans quel genre d’aventure elle s’embarquait.

«Le profil Amina» de Sophie Deraspe

Entre supercherie et Printemps arabe, l’histoire d’amour virtuelle s’est transformée en véritable fiasco dévoilant au passage les pièges et les dangers de l’ère du tout numérique. Sophie Deraspe revient sur cette tromperie avec le documentaire Le profil Amina, dans nos salles dès vendredi.

Le rendez-vous a été donné dans un café bondé proche du marché Jean-Talon. À défaut du téléphone, Sandra Bagaria privilégie l’entretien les yeux dans les yeux, elle qui pendant des mois a entretenu une idylle avec une personne qu’elle croyait bien vivante… et pourtant.

«Amina n’a jamais existé, lance-t-elle un verre de vin blanc à la main. Que voulez-vous, je suis une grande romantique.»

Aujourd’hui, Sandra prend les choses plutôt bien. Elle a depuis tourné la page. Toutefois, en 2011, l’affaire avait fait grand bruit. Une femme de Damas d'origine américano-syrienne se présentant sur son blogue comme une lesbienne qui lutte pour la liberté en Syrie attire l’attention des médias internationaux.

«Elle est apparue au bon moment, raconte la Montréalaise de 37 ans. Elle était belle, intelligente et courageuse. Elle avait tout pour plaire. Elle représentait notre idéalisation de ce qui se passe au Proche-Orient. Son pouvoir d’attraction existait dans un orientalisme que nous, en tant qu’Occidentaux, continuions d’entretenir.»

Elle n’a jamais douté tombant follement amoureuse. «Oui, quelquefois j’ai douté, rétorque-t-elle. J’ai eu des moments où je me posais franchement des questions. J’ai ma part de responsabilité. Je venais de sortir d’une relation qui ne s’était pas bien terminée. Et puis, je ne suis pas une fille qui sort beaucoup. Je me sentais seule. C’était l’hiver. Il faisait froid... j’avais besoin d’admirer une personne.»

La fabrication d’Amina

Les deux femmes ne se sont jamais vues, hormis par écrans interposés, limités par des échanges de photos, de courriels et de texto. Un quotidien basé sur la confiance. «Je lui ai dévoilé mon intimité. J’étais convaincu de sa présence. Tout ce qu’elle rapportait était si bien documenté. Sa vie à Damas, la peur qu’on l’arrête à cause de son homosexualité affichée ou de ses combats contre les abus du régime. C’était si fort et si réel.»

Et puis, arrive l’entrevue publiée dans les pages du Guardian. Un long papier où une journaliste du respectable quotidien britannique relate sa rencontre avec la fameuse blogueuse. «À partir de ce moment-là, toutes mes suspicions ont volé en éclat. Pour moi, Amina existait en chaire et en os.»

Pourtant Amina et son blogue «A Gay Girl in Damascus» demeure fictif monté de toutes pièces par Tom MacMaster, un professeur américain d’histoire médiévale. Le documentaire de Deraspe décrit sous la forme d’une enquête à l’échelle internationale les dessous de cette pure invention et la chasse aux scoops des médias prêts à tomber dans tous les pièges du sensationnalisme jusqu’à la découverte de la fumisterie version 2.0.

«C’est vrai, cela m’a fait un choc d’apprendre la vérité. Je me suis impliqué. J’ai dévoilé toute mon intimité. Quand je regarde en arrière, je réalise que j’ai vécu un véritable cycle amoureux avec la découverte de l’être aimé, ses charmes, le coup de foudre et la trahison pour conclusion.»

Malgré tout, elle ne regrette rien. «Je ne veux pas l’effacer. Cette expérience fait partie de moi. Je n’ai pas à avoir honte de mes sentiments qui étaient honnêtes. J’étais vraiment amoureuse et je voulais vraiment aider cette personne à regagner sa liberté.»

Un sociopathe

Si l’on en croit Sandra, l’homme derrière Amina est vraiment tombé amoureux d’elle. «Il a voulu être Amina, et ce bien avant que l’on commence à correspondre. Au niveau psychique, sa construction s’est faite sur des années, certainement à partir de 2006. Il connaissait la Syrie pour y avoir été plusieurs fois. Et puis, il y a eu notre histoire qui a pris des proportions auxquelles il ne s’attendait pas.»

Dans le documentaire, on voit Sandra faire le voyage à Istanbul pour le confronter, une scène improbable dans laquelle l’Américain tente de s’excuser sans grande conviction. «Cet homme est un sociopathe et un pervers, déclare-t-elle. Pour arriver à ce point de manipulation, il faut être malade. Je devais le voir afin de pouvoir passer à autre chose.»

Elle semble déchirée entre la colère et la sérénité. «Il me fait surtout de la peine, dit-elle. En plus d’être malhonnête, c’est un homme malheureux qui a abusé de ma confiance et de beaucoup d’autres.»

À y réfléchir, ce qui la rend la plus triste, ce n’est pas sa propre déception, mais tout le mal qu’il a fait aux Syriens. «Il a mis des gens en danger. Lorsqu’il a orchestré l’enlèvement d’Amina pour en finir avec ses stratagèmes qui commençaient à fissurer son propre anonymat, des gens à Damas sont allés à la recherche de la jeune femme au péril de leur vie.»

Au fond, Amina n’était qu’un rêve, un mirage. Néanmoins, la Montréalaise dit toujours croire à la bonté des gens. Elle finit par lâcher cette phrase étonnante. «Même si Amina est une tromperie, cette femme a existé en moi. Elle fera toujours partie de ma vie. Et je n’ai pas à faire mon deuil, puisqu’elle n’est pas morte.»

Elle rappelle d’ailleurs que des Amina, il en existe beaucoup sur notre planète, dans les régions où le droit des femmes est bafoué tous les jours. «À leur manière, elles sont toutes des Amina!».

Elle continue d’avoir des contacts avec des Syriens, là-bas à Damas ou Alep. «Je ne peux pas les abandonner. Leurs souffrances sont bien réelles. Aujourd’hui, la guerre dans ce pays ne fait plus la une des journaux. C’est déjà de la “old news”», regrette-t-elle.

Sandra n’est plus célibataire. Avant de terminer l’entrevue, elle explique avoir rencontré quelqu’un. «Je n’ai pas attendu longtemps avant de lui proposer qu’on fasse connaissance autour d’un café, juste pour être certaine cette fois qu’elle existe vraiment», conclut-t-elle en riant.

Le profil Amina – Les Films du 3 mars – Documentaire – 85 minutes – Sortie en salles le vendredi 10 avril 2015 – Canada, Québec

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