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Alors que le testament d’Alfred Nobel est exposé pour la première fois au public, à Stockholm, Charles de Laubier, auteur notamment de « La presse sur internet », s’interroge : à quand un prix Nobel de l’information ? Il serait temps de faire évoluer la liste des prix, selon lui : l’information devrait être reconnue et honorée.
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
Cela fait 120 ans cette année que l’industriel suédois Alfred Nobel a écrit – en France où il vécu une quinzaine d’années – son testament par lequel il a légué sa fortune de multimillionnaire afin qu’elle soit reversée chaque année à des personnalités pour services rendus à l’humanité. Il a retenu cinq disciplines que sont – dans l’ordre de ses instructions testamentaires – la physique, la chimie, la médecine (« physiologie ou médecine« ), la littérature, et la paix (« fraternisation des peuples, abolition ou réduction des armées permanentes, formation et diffusion de congrès de la paix »). Ce testament de 1895, où sont consignés ces cinq prix, est actuellement montré pour la première fois au public, en Suède.
L’information, la discipline manquante
À part un prix de sciences économiques institué en 1968 par la Banque de Suède « en mémoire d’Alfred Nobel », plus aucune autre discipline ne fut ajoutée depuis. Comme si aucun autre domaine ne méritait cette reconnaissance au rayonnement désormais international et à la portée universelle.
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Pourtant, en ce début du XXIe siècle, un septième prix mériterait sa place dans la société mondiale et médiatique qui est la nôtre aujourd’hui : le Nobel de l’information. Cette discipline manquante fait d’autant plus défaut que la récompenser reviendrait à consacrer et à encourager tous ceux qui œuvrent pour la vérité et la transparence, avec, in fine, la préservation et l’extension de la démocratie aux quatre coins du monde.
Au moment où l’inventeur de la dynamite couche sur quatre pages – aujourd’hui jaunies – ses dernières volontés pour faire don de sa fortune, les télécommunications (télégraphe et téléphone) ont été inventées depuis peu. Mais il est alors loin d’imaginer que près d’un siècle plus tard un réseau dénommé internet allait devenir un outil planétaire de communication, d’information et d’éducation au profit du plus grand nombre.
C’est pour mettre les prix Nobel au diapason de cette nouvelle société mondiale de l’information qu’une septième discipline – l’information – devrait être reconnue et honorée. Si ce n’est pas une discipline à caractère scientifique, telle que la physique, elle n’en est pas moins essentielle pour l’humanité, comme la paix.
Assange, Snowden, Falciani, au péril de leur vie
Qu’ils soient journalistes, lanceurs d’alerte, citoyens ou organisations, les lauréats potentiels peuvent se distinguer en divulguant – parfois au péril de leur vie – des informations capitales pour le monde entier C’est le cas justement de trois informaticiens qui ont chacun révélé des informations d’intérêt public et international.
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Julian Assange publia à partir de mi-2010, sur son site web Wikileaks, des documents militaires de la guerre en Afghanistan puis, plus généralement, des télégrammes diplomatiques américains compromettants. Edward Snowden, lui, mit au jour mi-2013 les programmes (dont « Prism ») – menés illégalement par les États-Unis – de surveillance et d’espionnage généralisé des communications de nombreux pays, y compris de ses propres alliés européens.
Quant à Hervé Falciani, il s’empara entre 2006 et 2008 de fichiers de la banque suisse HSBC pour que soit dévoilé entre 2013 et 2014 un vaste scandale d’évasion fiscale de la part de plusieurs dizaines de milliers de clients de par le monde.
Cette affaire surnommée « SwissLeaks » est à ne pas confondre avec l’autre scandale financier appelé « LuxLeaks », lequel implique cette fois le Luxembourg et de nombreuses multinationales, suite aux révélations fin 2014 de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ). Cette organisation mériterait d’ailleurs elle aussi de recevoir le prix Nobel de l’information, à l’instar par exemple du Comité international de la Croix-Rouge qui a été prix Nobel de la paix à trois reprises (en 1917, 1944 et 1963).
Nos trois informaticiens – un point commun relevant de la pure coïncidence mais illustrant plus que jamais l’importance prise aujourd’hui par le traitement numérique de l’information : ils sont chacun convaincus d’agir en leur âme et conscience pour que le monde devienne meilleur, quitte à prendre un grand risque pour eux-mêmes et à provoquer des ondes de chocs sans précédent – mais salvatrices – dans de nombreux pays.
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Réhabilitons-les en les faisant prix Nobel !
Assange, Snowden et Falciani sont depuis poursuivis en justice et font l’objet de mandats d’arrêt internationaux : le premier par la Suède pour viol et agression sexuelle, le second par les États-Unis pour espionnage et vol, et le troisième par la Suisse pour espionnage économique et violation du secret bancaire. L’Australien est réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis juin 2012 ; l’Américain a trouvé asile en Russie depuis juillet 2013 ; le Franco-italien est assigné à résidence en Espagne depuis décembre 2012.
Arrêtons cette chasse à l’homme et réhabilitons-les en les faisant prix Nobel de l’information ! Aucun d’entre eux ne se prétend « héros » ; ils ont seulement œuvré pour le bien de l’humanité grâce à leurs informations révélées. Pourtant, tous les trois sont toujours considérés comme des hors-la-loi et des traîtres.
Cela n’a pas empêché Julian Assange de voir son site internet d’information Wikileaks proposé pour le prix Nobel de la paix de 2011. En vain. Il a néanmoins reçu le prix Média 2009 d’Amnesty International (ONG ayant été elle-même prix Nobel de la paix en 1977), et a été désigné personnalité de l’année 2010 par « Forbes », « Time » et « Le Monde ».
Pour sa part, Edward Snowden a été proposé en 2014 pour le prix Nobel de la paix. À défaut de l’obtenir, il a tout de même été lauréat cette année-là d’un « prix Nobel alternatif », également d’origine suédoise : le Right Livelihood Honorary Award. Il fut aussi proposé pour le prix Sakharov de la liberté de pensée.
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La liste des Nobel ne devrait pas être figée
La Fondation Nobel, qui gère l’héritage du célèbre donateur, devrait maintenant – 115 ans après sa création – évoluer avec son temps et instaurer un prix Nobel de l’information. Certes, elle a déjà refusé à deux reprises par le passé l’idée d’un nouveau prix, celui de l’environnement. Elle n’a pas jugé bon non plus de créer un prix de mathématiques (sous prétexte que le vieil homme ne l’avait pas prévu).
Cependant, il a fallu attendre quarante-sept ans pour avoir un prix « Nobel » d’économie – à titre posthume : comme quoi, tout est possible. Cette fondation basée à Stockholm, qui supervise la remise des six titres le 10 décembre de chaque année (anniversaire de la mort d’Alfred Nobel), après avoir été décernés en octobre, ne devrait pas figer ad vitam æternam la liste des Nobel.
Rajouter une discipline ou deux par siècle serait légitime, raisonnable et salutaire. Tim Berners-Lee, le père du Web, a plaidé en décembre 2013 – lors d’une réunion à l’ONU sur les droits de l’homme – en faveur d’« une forme de reconnaissance internationale pour les lanceurs d’alerte ». Avec ou sans Nobel, il serait donc temps de prendre une initiative historique en ce sens.